Pagakalasio Tafili a les larmes aux yeux, lui qui est si souvent cantonné aux tâches obscures, le voilà en pleine lumière. Applaudissements de ses coéquipiers. Le numéro trois prend la parole : "Je ne m’y attendais pas du tout, vous me touchez en plein cœur. Alors merci d’avoir cru en moi Jean-No, merci les gars, c’est énorme pour moi. Mon grand-père disait toujours que rien n’est impossible alors ce soir on va gagner à Oyonnax ", nous raconte Paga, encore très ému d’évoquer cet instant.
La suite ? Vannes s’impose à Oyonnax 30/20 et fait chuter le leader invaincu de Pro D2.
Paga est un joueur important du vestiaire, il apporte beaucoup de cohésion affective à l’équipe avec cette dimension humaine qui est très forte, même paternaliste. Sur le terrain il s’est mis à niveau à force de travail. 100 matchs ce n’est pas rien au vu de son parcours.
Le parcours atypique d’un fils de maçon
Pagakalasio Tafili nait sur l’ile de Futuna, à Alo, il y a 33 ans. Ce sont des religieuses italiennes qui lui donnent ce prénom, signifiant "plante de grâce". L’enfant à peine baptisé est promis à un bel avenir. Très vite ses parents vont à Nouméa pour travailler, emmenant les cinq frères et sœurs dans leurs valises. Mais Paga ne se projette pas dans le rugby. Il travaille comme maçon aux côtés de son père dans l’entreprise familiale.Un jour, en 2009, son voisin du quartier d'Auteuil, Sefo Alahigano le convainc de le suivre à l’entraînement du club de rugby du RC Mont-Dore. Paga lui demande alors quelles sont les règles. Sefo lui répond : "Très simple Paga, tu prends le ballon et tu avances."
Cela plaît au colosse, qui ce soir-là, joue avec ses chaussures de sécurité car il n’avait pas de crampons. "Et là sur le terrain j’ai ressenti le contact, les sensations de combat que j’adorais, je me suis mis à vraiment aimer ce sport qui me correspondait", se souvient Paga. Il se marie avec Malia la même année en mai mais ne se doute encore de rien.
Il est champion de Nouvelle-Calédonie avec son club, mais très vite veut partir jouer dans l'Hexagone. Là-bas les frères Taofifenua, Abraham Tolofua ou Laurent Pakihivatau sont des modèles. Ils ont participé à l’épopée du FC Grenoble, battu seulement en demi-finales du top 16 en 1999. Mais les filières ne sont pas encore de mise entre l'Hexagone et les clubs des Iles. Comme par exemple celles existant entre le Stade Toulousain, l’ASM Montferrand et l’URC Dumbéa. Olivier Pecqueux, le président, et Patita Talalua, l’entraîneur du RC Mont Dore, vont lui permettre de tenter l’aventure.
Corrèze, terre d’accueil
Talalua a joué en Corrèze à Mallemort en Fédérale, et apprend que ce club recherche un pilier et un deuxième ligne. Il va faire le lien. Paga et son petit frère Chris débarquent en Corrèze en 2011, Paga a alors 24 ans. Un sacré pari vu son âge. (Ndlr, Chris joue actuellement à Vienne et l’autre frère Lomualito à Périgueux, tous deux en Fédérale 1).Les frangins Tafili font le voyage le 28 septembre. Deux saisons dans le froid mais au cœur d’une terre de rugby vont endurcir le Futunien. En 2013 Il est recruté par Tulle qui monte en Fédérale 1.
Ma vie était rythmée par mon travail, livreur, barman, videur dans une boîte de nuit et les entraînements. La Fédérale 1 c’est très dur, il fallait gagner sa place contre des Tongiens ou des Georgiens, redoutables piliers. J’ai relevé le défi.
En novembre 2016, coup de fil de Bretagne : les dirigeants de Vannes ont remarqué le numéro 3 du SCT lors d’un match opposant les deux clubs. La demande est pour être joker médical mais c’est un coup d’essai qui va se transformer en coup de maître.
"Jean-Noël m’a appelé et je m’en souviens encore. Tout s’enchaîne, le président Cloarec me remet le maillot, je viens et je gagne ma place. Je signe mon premier contrat pro en 2017 pour trois ans et ça change ma vie. J’en parle à Malia, on est heureux. Franchement je n’avais pas en tête de faire 100 matchs à ce moment."
L’entraîneur Breton a eu du flair : "100 matchs c’est un chiffre qu’il fallait déjà atteindre au regard de son parcours car il est arrivé dans le rugby professionnel assez tard par une porte dérobée. Joker médical ça aurait pu être un aller-retour express vers Tulle, mais il a tenu. Il a bossé et s’est imposé dans ce poste spécifique et exigeant de pilier droit."
La poignée de main de Bernard Laporte
Si on feuillette l’album souvenir de Paga, le meilleur se situe lors de la première saison, un match contre …Oyonnax qui redescendait de Top 14. Vannes vient d’enchainer des victoires contre Béziers et Albi, mais est encore mené à la 70ème minute de jeu. Le match durera 88 minutes avec la gagne au bout (19/16), un gros match du Futunien et surtout une surprise dans les vestiaires.Sa rencontre avec Bernard Laporte président de la FFR : "Invité par le club il est descendu nous voir après le match et est venu me serrer la main en me demandant mon âge. Je lui dis que j’ai trente ans. 'Tu as fait un gros match ce soir, continue comme ça', me dit-il. Je lui réponds 'c‘est peut-être trop tard pour moi, mais vous savez je rêve toujours de jouer pour la France, porter le maillot bleu.' "
La demi-finale de la saison 2019 malgré la défaite contre Brive, reste aussi gravée dans sa tête, même si elle marque la fin d’une belle aventure Bretonne.
"Dans ce retour aux sources corréziennes, j’ai montré aux Brivistes qu’ils auraient pu me recruter. Toute ma famille était là, ma maman et mes frères qui habitent Brive, et tous mes amis aussi. Ils ont vu le match que j’ai fait. Il y beaucoup de Wallisiens à Brive, et aussi mon ami Tamea Maka de Mallemort. J’étais fier de porter le maillot breton contre le CAB."
Les valeurs de partage et de respect
Sur les terrains du stade de la Rabine à Vannes ou ceux de la Pro D2, Paga est ce qu’on appelle un pilier de devoir. Il fait le job et rassure. Son capitaine Jérémie Abiven l’a vu arriver en 2016, ce qu’il pense de son co-équipier est le sentiment de tout un club envers le Futunien."Paga c’est l’homme serein, sur qui on peut compter, il est fiable et nous amène une bonne énergie, explique-t-il. Quand il a débarqué, j’ai d’abord vu la taille de ses énormes cuisses. Il est très vite rentré dans le bain et on a vu que c’est un pilier solide. C’est aussi un bon mec qui sait se fondre dans le groupe. Un père de famille avec des valeurs car il est dans le partage, la famille le respect. Ce sont des valeurs importantes au rugby. Il sait ce qu’on pense de lui et nous on est content de jouer avec lui."
C’est vrai que Tafili impose le respect. Il n’a jamais pris de carton rouge et, durant un match, envoie souvent des signaux positifs aux arbitres dans le jeu ou en mêlée.
Je suis discipliné, lucide, je fais attention à ce que je fais. Quand j’entends "numéro 3" je sors tout de suite, je suis très respectueux des arbitres. A la fin je les salue toujours en les regardant dans les yeux pour qu’ils ne m’oublient pas.
Croire en ses rêves, croire en Dieu
Le cadre du 100ème match est revenu illico presto dans la longère de Plougoumelen. Là où est le cœur de vie de la famille Tafili, et où se retrouvent souvent des joueurs du club pour un cochon, un Kava et quelques chants improvisés à la guitare. Paga a le sourire, car maintenant il y a son aîné Ryan, 16 ans, qui est en espoirs à l’académie du RCV, Orlando et Ezéquiel le plus petit avec les cheveux longs.Il commente les matchs de l’Equipe de France de ce mois de novembre : "C’est bien de voir tous ces gamins de Wallis et Futuna et de Nouvelle-Calédonie en équipe de France, le petit Moefana, les frères Tao et leur cousin, Neti, Mauvaka, Tolofua. Je suis fier d’eux. Mon âge ne me permet plus de rêver à ce maillot bleu, si ce n’est pas moi ça va être mon fils, Ryan ou mes neveux à Brive Giovanni et Chanel qui le porteront."
A Plougoumelen, trône aussi le portrait de son papa Petelo Sanele et de son frère Marco, décédés il y a peu. C’est aussi pour eux qu’il continue. Noël approche, une période particulière pour ce Futunien, très croyant. Le message est simple et fort, à l’image de l’homme : "Il faut croire en ses rêves, se fixer des objectifs, ne pas les perdre de vue et rester sur le bon chemin. Ma famille me porte, mes valeurs et la foi aussi. Pour nous, croire en Dieu c’est ce qui nous permet de progresser dans la vie. Il faut toujours se remettre en question."
Et malgré des contacts avec Castres ou Agen, Paga a résigné avant le confinement du Printemps pour trois saisons avec Vannes. Peut-être montera-t-il en top 14 avec le club Breton à la fin de cette saison particulière ? Ce serait une belle histoire pour le fils du maçon du quartier de Montravel, qui a appris à parler Breton. "Juste pour les annonces des combinaisons dans le jeu", précise-t-il.
Kenavo ar wech all Paga *! Le colosse du RCV sourit, il a très bien compris.
*Au revoir à bientôt, en Breton