A Saint-Martin, des vols et trafics de voitures facilités par la double nationalité de l'île

Dix vols de voitures par semaine, c'est le décompte de la gendarmerie sur la partie française de Saint-Martin, un territoire qui connaît depuis plusieurs mois une recrudescence de ces délits, liée à un vaste trafic, parfois très organisé, entre les parties hollandaise et française de l'île.
 
Mercredi, à Mont Vernon, Sophia, 39 ans, en a fait l'expérience: sa voiture neuve, achetée en janvier pour remplacer celle détruite par l'ouragan Irma, a disparu de la place de parking sur laquelle elle l'avait garée la veille, dans sa résidence.
 

La majorité des véhicules volés côté français s'évaporent côté hollandais

Le visionnage des caméras montre des voleurs "qui arrivent en voiture et en trois minutes ils repartent avec ma voiture sans aucune effraction, sans briser la vitre". Le lieutenant-colonel Sébastien Manzoni, à la tête de la gendarmerie, évoque dix voitures volées chaque semaine dans la partie française de Saint-Martin, qui compte moins de 30.000 habitants. Mais la réalité serait bien supérieure, selon un détective privé interrogé par le journal local Le Pélican.
    
"J'interviens là où la gendarmerie ne peut aller pour trouver des preuves matérielles et tangibles qui vont servir en justice", indique sous couvert d'anonymat le détective, habilité à enquêter des deux côtés de l'île. Selon lui, la majorité des véhicules volés côté français s'évaporent côté hollandais.
 

Pas de fichier de voitures volées côté hollandais  

En cause, un système "d'enregistrement des plaintes totalement différent". "Les deux systèmes d'exploitation ne sont pas compatibles", explique-t-il, et les données ne peuvent pas être croisées. Un véhicule volé en partie française et transporté en partie hollandaise est selon lui indétectable. "La police néerlandaise bien souvent ne recherche même pas le véhicule volé du côté français".
    

"Pour l'heure, c'est extrêmement difficile de retrouver les voitures volées", reconnaît le lieutenant-colonel Manzoni. "La partie hollandaise n'a pas de fichier de voitures volées aussi élaboré que le nôtre et les échanges d'informations, qui existent tout de même, devront être plus importants. C'est +LE+ sujet du moment, beaucoup d'enquêtes sont en cours".
 

Pratiques étonnantes de facilité 

Parmi ces enquêtes, menées par le parquet détaché de Saint-Martin, l'une vise un "voleur notoire" de voitures basé côté hollandais et qui opérait en partie française. Il a été incarcéré, en attente de son jugement.

Le détective privé détaille plusieurs pratiques étonnantes de facilité. Un véhicule volé qui passe côté hollandais peut être immatriculé officiellement. "Rares sont les gendarmes ou la police néerlandaise à vérifier le numéro de série de la voiture en soulevant le capot du véhicule" ou en regardant sous les sièges, ajoute l'enquêteur, alors que c'est l'unique moyen de différencier un véhicule d'un autre.
    
"Une simple photocopie de carte grise permet d'immatriculer un véhicule en partie hollandaise", dit-il. Il souligne aussi la recrudescence des vols sur commandes pour obtenir des pièces automobiles. "Si auparavant les voleurs se contentaient de voler à même le véhicule les pièces voulues, aujourd'hui ils partent directement avec la voiture". 
    

Des vols fictifs

Les sociétés de location de voitures sont aussi visées par les voleurs. L'une d'elles a vu disparaître cinq véhicules neufs depuis le début de l'année, soit
10% de son parc. "Deux de mes voitures sont toujours géolocalisées et s'affichent toujours sur nos écrans, côté hollandais" mais "la gendarmerie nous a demandé de ne pas intervenir, de patienter", a expliqué le propriétaire.  
    
Mais parfois, ce sont les vols de voiture qui sont fictifs: "un propriétaire immatriculé côté français peut vendre son véhicule côté hollandais, avec des papiers de vente en bonne et due forme, et déclarer ensuite à la gendarmerie et à son assurance le vol de la voiture. Il n'y aura pas de recherches", explique encore le détective, et l'assureur sera arnaqué.
    
Les sociétés peuvent aussi créer deux entités, de part et d'autre de la frontière, pour bénéficier de la défiscalisation, possible uniquement côté français. La société du côté hollandais bénéficie alors d'un parc automobile doublement immatriculé et financé en grande majorité par la défiscalisation. Des enquêtes sont menées sur ces pratiques, selon le lieutenant-colonel Manzoni.