On est capable de les collecter ces algues, mais il faut les valoriser. C’est ce que Sargasse project veut faire.
Pierre-Antoine Guibout
"Petit chimiste"
Ce juriste d’entreprise s’est donc lancé dans l’aventure. A force de ténacité et peut-être par goût "du petit chimiste" dans son enfance, Pierre-Antoine Guibout a étudié, cherché ce qu’on pouvait obtenir avec ces algues sargasses.Il a commencé à en faire une pâte avec une recette qu’il a mise au point dans le but de fabriquer du papier. Depuis longtemps au Mexique, des villageois fabriquent du papier avec ces algues brunes.
Au fur et à mesure des expériences, le juriste d’entreprise de Saint-Barth a concocté une recette qu’il garde précieusement. Car pour obtenir une pâte homogène, les algues doivent être plongées dans un liquide dont la composition demeure "le secret du chef".
Une fois la pâte obtenue, elle est versée sur un cadre. Par un système de tamisage et de presse, une feuille peut ainsi être créé et affinée au moyen d’une éponge. "C’est la même technique que pour les papyrus dans l’Egypte antique et ça donne un papier avec du caractère qui peut-être brun ou blanc cassé grâce à un procédé naturel".
Prix Innovation d'Outre-mer
Mais Pierre-Antoine Guibout ne souhaite pas devenir fabricant de papier. Il vise plus loin. Le juriste fonde beaucoup d’espoir dans sa pâte 100% sargasses. Son projet commence à séduire. En novembre 2019, il a ainsi remporté le prix innovation d’Outre-mer, un concours organisé par Outre-mer Network sous l’égide de BPI France, la banque publique d’investissement.Ce prix lui a donné des ailes et le soutien de personnalités comme Daniel Hierso, fondateur d’Outre-mer Network. En mars dernier, juste avant le confinement l’entrepreneur a réussi à faire un voyage dans l’Hexagone qu’Outre-mer la 1ère a pu suivre.
►Le reportage de France Ô/ Outre-mer la 1ère
Station F, le campus des start-up
Pierre-Antoine Guibout a rendu visite à Daniel Hierso à la station F à Paris, le plus gros centre de start-up en Europe.
Daniel Hierso, il a 20 ans d’expérience dans l’entreprenariat. C’est un guide. Il sait très bien orienter les entrepreneurs au mieux et il a un regard bienveillant sur tous les Outre-mer. Après c’est à moi de prendre les décisions qui vont s’imposer mais je suis avide de conseil et tous les conseils sont bons à prendre.
Pierre-Antoine Guibout
A Saint Barthélemy, il n’y a pas d’incubateur de start-up. Pierre-Antoine Guibout apprécie de venir à la station F où il sent une dynamique exceptionnelle. Côté scientifique, il a décidé de faire appel à l’expertise d’un laboratoire spécialisé dans l’étude des algues depuis 40 ans. Il s’agit du CEVA (Centre d’étude et de valorisation des algues) à Pleubian près de Paimpol.
Un laboratoire spécialisé dans les algues
Le CEVA dispose d’un savoir-faire unique avec les algues vertes qui ont envahi les côtes de la Bretagne. Le laboratoire a déjà eu à suivre des projets concernant les sargasses. Le responsable de la direction Valorisation, Ronan Pierre, prend très au sérieux le dossier Sargasse Project.Les analyses coûtent chères (plus de 3000 euros par échantillon). Pierre-Antoine Guibout fait donc appel aux services du CEVA de manière très réfléchi et avec parcimonie. Mais c’est un investissement d’avenir d’autant que le laboratoire oriente l’entrepreneur vers des marchés potentiellement porteurs.
On a une très forte demande On est contacté toutes les semaines pour des emballages biossourcés à base d’algues donc ça répond à une demande du marché.
Ronan Pierre
Le CEVA aide l’entrepreneur à optimiser le produit, améliorer son rendement en valorisant d’autres fractions de l’algue. "Si on compresse cette pâte, ajoute Pierre-Antoine Guibout, on peut en faire une matière aussi dense que le bois. On peut imaginer pleins de supports possibles en fonction des clients intéressés par l’achat de cette pâte".
Des perspectives variées
De sa Bretagne natale à Saint-Barthélémy où il réside, Pierre-Antoine rêve de lancer une nouvelle filière. Les perspectives paraissent immenses. Après sa visite dans l’Hexagone, l’entrepeneur a vécu lui-aussi le confinement en famille à Saint-Barthélémy. Mais le projet a avancé.Le CEVA lui a fait parvenir des analyses permettant de déposer un brevet "beaucoup plus complet que le précedent". Pierre-Antoine Guibout a réalisé grâce au CEVA que les effluents, le liquide crée par la pâte 100% sargasses pouvait être utilisé dans les cosmétiques.
Le projet se concentre toujours sur la pâte à papier/carton mais dernièrement à la vue des nouveaux résultats, Pierre-Antoine Guibout fonde de sérieux espoirs sur un autre type de débouché afin de répondre à des demandes de type mobilier urbain 100% sargasses (banc, poubelle par exemple).
Investissements
L’entrepreneur a donc profité du confinement pour passer commande de deux premières machines beaucoup moins artisanales qu’à présent : une presse hydraulique affinée afin d'effectuer des tests de haute compression de la pâte, et une machine capable de reproduire en miniature la fabrication du papier en mode industriel.Avec ces instruments, il espère valider en direct les demandes des industriels sur les caractéristiques attendues du papier/carton. L’arrivée massive des sargasses en cette période justifie toujours l’intérêt du projet. Pierre-Antoine Guibout a peut-être trouvé son or noir.