Sur les traces d’une nouvelle mer des sargasses
A bord de l’Antea, un navire de la flotte océanographique française, les chercheurs ont navigué pendant 25 jours entre la Guyane et l’Est de la Floride. Première campagne scientifique du genre supervisée par l’institut de recherche pour le développement (IRD) et l’institut méditerranéen d’océanologie (MIO). Une seconde expédition les a menés à traverser l’Atlantique à bord du Yersin, un navire océanographique de la Principauté de Monaco.Ils ont récolté plus de 2000 échantillons de la faune et de la flore associées aux radeaux de sargasses. Des indices précieux pour déterminer l’origine des algues brunes.
Nous sommes aux balbutiements de la connaissance sur les sargasses. Nous avons besoin de combler les lacunes
- Jean Blanchot, océanographe tropical.
Regardez le film documentaire réalisé par l'IRD :
Les chercheurs sont partis sur les traces d’une nouvelle zone d’accumulation et de redistribution des sargasses. Elle se situe au large des côtes guyanaises. “Les algues brunes prolifèrent dans l’océan tropical atlantique nord et uniquement là. Avant, nous les connaissions dans la mer des sargasses. Mais là, elles seraient sorties de la mer des sargasses pour une raison inconnue”, explique Jean Blanchot.
La mer des sargasses est une “mer sans rivages composée d’algues brunes, regroupées par les vents et les courants. Animée d’un courant marin circulaire”, elle aurait été observée en 1492 par les équipages de Christophe Colomb. Elle s’étend sur plus de 3 millions de kilomètres carrées à l’Est de la Floride et des îles des Bermudes.
L’anthropisation du bassin amazonien, cause des échouages?
Pour se développer, les algues ont besoin d’un ensemencement, de conditions favorables, d’engrais et de l’absence de prédateurs. Principale hypothèse à leur prolifération: l’anthropisation du bassin amazonien.L’action de l’homme sur la planète est de plus en plus importante. Il se déplace sur la mer, franchit la mer des sargasses avec de gros bateaux, c’est peut-être une hypothèse de la sortie des algues. L’agriculture se développe dans des milieux où il n’y avait pas d’agriculture autrefois. De ce fait, les grands fleuves comme l’Amazone se chargent en sels nutritifs qui peuvent, une fois arrivés en mer, vraisemblablement être utilisés par les algues
- Jean Blanchot
Établir la carte d’identité des sargasses
Les algues brunes empoisonnent le quotidien des populations. Elles menacent l’écosystème et l’économie des littoraux aux Antilles depuis 2011. Un phénomène que les scientifiques veulent mieux comprendre afin d’éclairer les décisions des élus locaux.“Pour aider à la compréhension des échouages, il faut connaître le coupable. Il y a 350 espèces de sargasses dans le monde. Sur les trois formes qu’on a identifié, il faut savoir exactement qui c’est. Et ensuite on pourra étudier la connexion entre les populations de l’Atlantique nord et celles que l’on voit actuellement aux Antilles, pour savoir s’il y a un lien entre les deux ou pas”, précise Thierry Thibaut, phycologue.
Établir la carte d’identité des sargasses constitue une étape déterminante. Leur ADN est en cours d’analyse pour déterminer le nombre d’espèces observées sur l’océan Atlantique.
Les sargasses, clone géant?
Dans une petite pièce de l’université Aix-Marseille, des sargasses de Martinique sont cultivées pour étudier leur croissance, leur mortalité. “Quand elles pourrissent, est-ce qu’elles libèrent des métaux? Du mercure par exemple?", se demande Thierry Thibaut.Leur reproduction est au cœur des travaux des phycologues. “Pour l’instant, aucun scientifique n’a vu de reproduction sexuée. Ça pose une grande question. Cela voudrait dire que tout ce qu’on voit (à la surface de l’eau NDLR), ce sont de petits bouts et que ces espèces se reproduiraient par fragmentation comme un fraisier. On coupe en petits bouts et ça pousse. Si cette hypothèse est avérée, ça veut dire qu’on aurait des clones”, indique Thierry Thibaut.
“Nous n’avons pas les moyens de travailler”
Malgré les échouages massifs et le signal d’alarme lancé par les élus locaux, les chercheurs lancent un appel aux ministères chargés de gérer le phénomène. “Il manque plusieurs centaines de milliers d’euros pour traiter les échantillons que nous avons en stock à l’institut méditerranéen d’océanologie”, déplore Jean Blanchot.La recherche devrait permettre d’établir des modèles de dispersion des algues à la surface de l’océan. Des modèles prédictifs plus fiables que ceux utilisés actuellement. Ils constitueraient une des armes de l’arsenal “anti-sargasses’ en cours de constitution. Les algues et leurs échouages massifs, un phénomène vieux de sept ans seulement, n’ont pas encore livré tous leurs secrets.