Sibeth Ndiaye au gouvernement : nouveau symbole du racisme et du sexisme en politique ?

Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, lors de sa prise de fonction le 1er avril 2019.
Comme chaque remaniement - six depuis le début du quinquennat Macron - celui du 31 mars a été longuement commenté. Parmi les critiques émises, de nombreuses remarques sexistes et racistes à l'encontre de Sibeth Ndiaye, promue porte-parole du gouvernement. Un cas loin d'être isolé. Récit.

Le dernier remaniement en date du gouvernement, dimanche 31 mars, a suscité de très nombreuses réactions. La raison principale : la nomination de Sibeth Ndiaye au poste de porte-parole, certains faisant mine de croire, dès le lendemain de l'annonce, à un poisson d'avril.

 

Racisme et sexisme

Ce qui apparait très singulier est que les attaques portent moins sur le fond, que sur la personne. Elles s'en prennent ad personam à Sibeth Ndiaye, via des propos racistes et sexistes. Elles concernent sa double nationalité franco-sénégalaise, sa couleur de peau, ses cheveux crépus laissés au naturel lors de sa prise de fonction ou encore, ses tenues vestimentaires colorées (Nous avons choisi de ne pas relayer ici les attaques les plus violentes).


Des propos qui rappellent ceux concernant Christiane Taubira, ancienne Garde des Seaux, comparée à un singe en une du journal Minute ou à une "sauvage", "dans un arbre accrochée aux branches plutôt qu'au gouvernement", voire invitée "à retourner au bagne de Cayenne".
 

#Qu'est-ce qui est reproché à Sibeth Ndiaye ?

Dans les commentaires critiques, heureusement, pas uniquement des remarques sexistes et racistes. Beaucoup ont aussi rappelé des propos tenus par Sibeth Ndiaye lorsqu'elle était conseillère presse d'Emmanuel Macron. Par exemple, cette phrase déclarée à L'Express en juillet 2017 :
 

J'assume parfaitement de mentir pour protéger le président.

 
Une parole hors contexte, selon elle, puisqu'elle a expliqué avoir voulu protéger la vie privée du Président. Mais ce n'est pas la seule déclaration à retenir l'attention des détracteurs. Selon le Canard Enchaîné, en juin 2017, alors que beaucoup de journalistes cherchent à confirmer les rumeurs de décès de Simone Veil, Sibeth Ndiaye aurait répondu par texto : "Yes, la meuf est dead". 
 
Un SMS démenti par l'intéressée mais qui la poursuit depuis, comme son franc-parler de communicante lorsqu'elle qualifie de "job" son nouveau poste de porte-parole du gouvernement. 
 

"Bon noir, mauvais noir"

Mais très vite, on revient à la couleur de peau de la nouvelle porte-parole du gouvernement. Dans plusieurs tweets, Sibeth Ndiaye est ainsi comparée à une autre femme noire passée sous les ors de la République : Rama Yade, secrétaire d'Etat chargée des Affaires étrangères puis chargée des Sports sous Nicolas Sarkozy. "On peut très bien être femme, Ministre et Noire et respecter la fonction et les gens. Exemple : Rama Yade", écrit ainsi Olivier Marteau, auteur, dans un tweet supprimé depuis. 
 

"Le procédé du bon noir versus le mauvais, version misogynie, ça faisait si longtemps", ironise la journaliste Nassira El Moaddem. 
   

Intersection des discriminations

Pour Danièle Obono, "On est là l'intersection de de plusieurs discriminations" et surtout, "une réalité vécue par des millions de nos concitoyens et concitoyennes parce qu'elles sont femmes, parce qu'il ou elle sont noirs, arabes, musulmans". 
 

C'est la combinaison du racisme et du sexisme, une forme de "misogynoir". (...)

On peut, on doit même avoir un certain nombre de désaccords avec la politique du gouvernement et les nouvelles personnes qui ont été nommées et c'est sur ce fond là que doit se faire le débat politique.

Malheureusement quand il s'agit de femmes, de femmes noires, racisées, ça porte toujours pour un certain nombre de commentateurs et commentatrices sur leur couleur de peau, la texture de leurs cheveux, la manière dont elle s'habille.


Danièle Obono, députée FI de Paris. 

 
Cette polémique me fait me poser des questions sur le modèle républicain, selon lequel on ne voit pas les couleurs, on est tous égaux. Malgré le fait que Sibeth Ndiaye accède à ce haut poste au gouvernement, ce qui revient, ce sont des remarques sur ses cheveux, sur sa coiffure. Ce modèle est-il un mensonge ?, interroge Mélanie Wanga. La journaliste co-présente Le Tchip, un podcast consacré à la pop culture afro diffusé sur Binge Audio.

En 2017 déjà, Ibrahima Diawadoh N'Jim, ancien conseiller de Manuel Valls, dénonçait dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, l’attitude de la sphère politique vis-à-vis de Sibeth Ndiaye.
 

Ce qui est plus préoccupant cette fois, c’est que la prétendue affaire Ndiaye a dépassé le cadre nauséabond de la fachosphère et de ses franges pour s’inviter dans le commentaire politique et dans la discussion des thèmes d’actualité, réflexe inconscient d’une élite qui ne voit pas que derrière ses ricanements s’exprime un refus de voir des profils atypiques réussir à leur tour.

La diversité, la différence, on l’aime bien lorsqu’on doit l’aider, on l’aime bien dans le sport ou la musique, plus vraiment lorsqu’elle est au cœur de la machine du pouvoir.

 

Double voire triple peine

George Pau-Langevin, député socialiste de Paris, est la première députée originaire de l’Outre-mer élue dans l’Hexagone en 2007. Elle aussi a été la cible de préjugés avant de décrocher sa désignation comme candidate au palais Bourbon. "À l’époque, la plupart des gens pensaient que c’était impossible d’être députée élue par le peuple si on n’était pas de la couleur de la majorité. Finalement, une fois que je suis arrivée à l’Assemblée nationale, ça s’est bien passé." George Pau-Langevin reste néanmoins lucide.
 

A chaque fois, il faut faire la preuve qu’on n’est pas là uniquement, comme on dit, parce qu’on est un quota, parce qu’on a eu une promotion canapé. Il faut toujours montrer qu’on est à sa place, qu’on a quelque chose à dire, qu’on fait bien son job. 

Les femmes doivent souvent faire plus que les autres pour montrer qu’elles sont compétentes. Si c’est une femme noire, forcément c’est deux fois plus, voire trois fois plus
.

- George Pau-Langevin, députée

 

Réguler les réseaux sociaux

Elles s'exposent à des propos racistes, sexistes, voire des insultes et des menaces. Laetitia Avia, députée LREM de Paris, a ainsi reçu sept lettres "d'un racisme inouï". A chaque fois, une plainte a été déposée. "Je ne dirai pas que ça n'affecte pas, parce que ça touche à l'identité", reconnaît-elle, ajoutant recevoir "quotidiennement" des insultes sur les réseaux sociaux. 
 
En réponse, elle propose une loi pour réguler la haine sur internet et notamment sur les réseaux sociaux "qui permettent une exacerbation de ces contenus haineux". Sur l'un d'eux, Twitter, un journaliste se félicite tout de même de voir une avancée depuis 2012, lorsque, à peine nommée ministre, Cécile Duflot était apparue en robe à l'Assemblée nationale, ce qui avait déclenché les quolibets et les huées de nombreux parlementaires. "On a tout de même fait un peu de chemin en 7 ans."
 
Salle des Quatre colonnes : "Elle a vraiment l’air de sortir de la brousse"
Mardi 2 avril, salle des Quatre colonnes à l’Assemblée nationale. Malgré le bruit ambiant, des propos insultants parviennent à nos oreilles. Des propos d’autant plus surprenants dans ce lieu feutré où les journalistes se pressent chaque semaine pour interroger les députés. Ils viennent de la bouche d’une consœur qui refuse d’être citée. Dans une discussion à bâtons rompus, elle évoque la nomination de Sibeth Ndiaye au gouvernement : "elle n’a pas les codes pour une porte-parole du gouvernement. Elle a vraiment l’air de sortir de la brousse. Elle parle comme nos enfants (…) Ça ne me dérange pas mais qu’on ne la nomme pas au gouvernement".