Six jeunes chercheuses originaires des Outre-mer ou dont le travail est en lien avec les territoires ultramarins ont été récompensées ce jeudi 1er octobre par le prix Jeunes talents L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science.
Pierre Lacombe•
Depuis sa création en 1998, le programme "L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science" a accompagné et mis en lumière plus de 3 000 femmes scientifiques. Cette année, 35 jeunes chercheuses ont été récompensées par les membres du jury de sélection de l’Académie des sciences. Parmi elles, six sont originaires des Outre-mer ou travaillent en lien ces territoires.
Cynthia Sinyeue, issue d’une tribu kanake de l’île de Lifou en Nouvelle-Calédonie, effectue des recherches dans la valorisation des résidus de bois pour en faire des médicaments, Aurélie Boisnoir qui vit et travaille en Martinique se passionne pour les microalgues toxiques présentes en mer des Caraïbes, Lorène Jeantet cherche à comprendre les tortues de Guyane pour mieux les protéger, Jordane Corbeau travaille à l'Observatoire Volcanologique et Sismologique de Martinique et Valentine Meunier étudie les coraux calédoniens.
J'étais en vacances lorsque j'ai appris la nouvelle, je pensais que c'était une erreur. C'est une formidable reconnaissance pour mon travail, mais aussi pour la Nouvelle-Calédonie.
Cynthia Sinyeue
Cynthia Sinyeue est en 3e année de doctorat et réalise actuellement une thèse à l’Institut des Sciences Exactes et Appliquées de l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Ses travaux sont dédiés à la valorisation des résidus de bois, particulièrement celle des molécules utiles à la lutte contre les maladies. "Je soigne les maladies par le bois", affirme-t-elle, ajoutant, "j'utilise le bois pour fabriquer des médicaments qui demain pourront-être utilisés dans la lutte contre les maladies comme le cancer ou même la Covid-19".
L'eau est également au coeur de ses recherches. "L'eau contient une très forte concentration de nickel en Nouvelle-Calédonie. Je travaille notamment sur la fabrication de membranes de filtration pour capter les métaux et obtenir une eau plus saine".
Cynthia Sinyeue espère que ces recherches contribueront à apporter des solutions naturelles à la fois au traitement des maladies et au réchauffement climatique, deux problématiques qui touchent au cœur son île natale.
Aurélie Boisnoir : la Mer des Caraïbes sous bonne surveillance
Aurélie Boisnoir habite à Ducos en Martinique et réalise un post-doctorat à l’Ifremer. Ses travaux se concentrent sur les microalgues présentes en mer des Caraïbes et qui occasionnent des problèmes sanitaires et économiques dans la région.
A ce jour, peu d’études récentes s’étaient intéressées à leur identification génétique ou à la caractérisation de leurs toxines.
Mon rêve serait de trouver des solutions depuis les Antilles pour mieux gérer les risques liés à la présence de ces microalgues toxiques, tout en collaborant avec des chercheurs du monde entier.
Aurélie Boisnoir
À travers le programme "Pour les Femmes et la Science", la chercheuse espère susciter des vocations chez les jeunes ultramarins, afin qu’ils prennent conscience de la richesse des écosystèmes qui les entourent et de la nécessité de les étudier pour mieux les connaître, et donc, mieux les préserver.
Lorène Jeantet : Comprendre les tortues pour mieux les protéger
Son rêve le plus cher est que "le déclin de la biodiversité cesse" : à travers ses recherches, elle y contribue avec humilité et détermination.
Pour Lorène Jeantet, le programme Jeunes Talents représente l’opportunité de sensibiliser l’opinion au déclin des tortues marines en Guyane, et de montrer que l’intelligence artificielle et les progrès technologiques peuvent être des alliés de la biodiversité.
Jordane Corbeau : prédire toujours mieux les séismes
Dans le cadre de ses travaux de thèse, elle découvre la région des Caraïbes. Elle s’intéresse plus particulièrement à Haïti après le terrible tremblement de terre qui secoua l’île en janvier 2010, à la recherche de la compréhension de la dynamique des frontières de plaques tectoniques.
À la suite de son doctorat, elle intègre l’Observatoire Volcanologique et Sismologique de Martinique où elle poursuit ses recherches sur l’activité sismique de la frontière de la plaque Caraïbe. Elle analyse les catalogues de la sismicité dans le temps et dans l’espace afin de détecter des signes potentiels précurseurs d’une rupture sismique majeure, dans le but d’améliorer l’aléa sismique pour la région des Petites Antilles. Les observations de la chercheuse installée en Martinique montrent en effet une augmentation de l’activité sismique dans une zone qui a déjà connu une rupture majeure par le passé.
À terme, l’objectif de la chercheuse est d’utiliser des techniques d’intelligence artificielle afin de traiter des milliers d’enregistrements sismiques et de faire ressortir des signes précurseurs de ruptures qui pourraient échapper au regard humain.
Valentine Meunier: mettre en valeur le lien entre plancton et récifs coralliens
La biologiste et ses deux directrices de recherche ont mis en évidence pendant un épisode de blanchissement, que les coraux se nourrissaient davantage de plancton diazotrophe, une espèce abondante en Nouvelle-Calédonie et particulièrement riche en azote. Leur résistance au stress causé par un changement de température en était grandement améliorée. Cette nouvelle connaissance représente un véritable espoir pour la conservation des récifs coralliens et pour plus de 600 millions de personnes dans le monde vivant dans des zones côtières protégées par les récifs.
Valentine Meunier rêve "d’une prise de conscience planétaire quant à l’impact des activités humaines sur l’environnement marin" et plus particulièrement sur les coraux, dont la valeur exceptionnelle pour la biodiversité mais aussi pour le développement économique et humain est encore sous-estimé.
Stéphanie Jacquet : apporter sa pièce au grand puzzle des relations entre virus et hôtes
Dans sa thèse, elle démontre notamment que certains facteurs environnementaux, comme le vent ou la mer, et des facteurs écologiques, comme le mode de dispersion ou encore le cycle de vie, ont un impact sur l’aire de distribution d’un type de moucheron qui est le vecteur principal d’une maladie bovine.
Ses travaux les plus récents visent à comprendre comment les chauves-souris, hôtes de nombreux pathogènes transmissibles à l’Homme, coexistent avec les virus. Pour cela, elle étudie les mécanismes cellulaires permettant la défense de ces mammifères contre les virus, comparativement à d’autres espèces animales. Stéphanie Jacquet a mis en évidence certaines caractéristiques génétiques spécifiques aux chauves-souris qui contribueraient à leurs défenses antivirales uniques.
Briser le plafond de verre
À travers ce "Prix Jeunes Talents", ces cinq jeunes chercheuses s'associent pleinement au programme "L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science" dont l'objectif est d'encourager d'autres filles à s’accomplir pleinement dans des parcours scientifiques.
Si les femmes représentent aujourd’hui 28 % des chercheurs, le plafond de verre reste particulièrement persistant dans le domaine de la recherche : près de 90 % des postes à responsabilités dans le secteur de la recherche sont occupés par des hommes. "Il existe des freins invibles qui empêchent la progression de chercheuses. Il faut exploser ce plafond de verre", conclue Aurélie Boisnoir.