Surpopulation carcérale : le trompe-l'œil des chiffres Outre-mer

La surpopulation carcérale est légèrement plus élevée en moyenne dans les Outre-mer que dans l’Hexagone. Mais ces chiffres cachent une réalité contrastée. Le problème touche particulièrement les hommes et les détenus en attente de jugement ou condamnés à des peines courtes.

En théorie, la norme européenne impose un minimum de 3 m² par détenu dans les cellules collectives. En théorie seulement. Dans les faits, les prisons françaises sont surpeuplées. Au 1er novembre 2022, il y avait 4 479 places de prison disponibles en Outre-mer pour 5 510 détenus, soit une densité carcérale de 123 %. C’est légèrement plus que dans l’Hexagone, avec 56 219 places pour 67 299 prisonniers, soit une densité carcérale de 119,7 %. Mais ces moyennes masquent des réalités très diverses.

"Le taux de surpopulation carcérale en Outre-mer est assez similaire à la moyenne nationale, reconnait Odile Macchi, responsable du pôle enquête au sein de l’Observatoire international des prisons (OIP), une association qui lutte pour le respect des droits de l’homme dans le milieu carcéral. Mais le problème est accru par les conditions de détention, qui sont particulièrement difficiles en Outre-mer." En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnait la France pour ses prisons indignes. Sur les neuf établissements pointés du doigt, trois étaient ultramarins : le centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe), celui de Ducos (Martinique) et la prison de Faa-Nuutania (Polynésie). 

Sept dans une prison... pour trois

Huit établissements d’Outre-mer dépassent les 120 % d’occupation. La prison de Matā'utu, à Wallis et Futuna, affiche une densité carcérale affolante de 233,3 %, le taux le plus élevé des Outre-mer. Loin des 144 % de la prison de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, pourtant régulièrement pointée du doigt pour des conditions de détention indignes. L’explication est simple : la prison de Matā'utu ne propose que trois places, mais accueille sept détenus. À Nouméa, le nombre de prisonniers est bien plus élevé –environ 600- et certains détenus sont même logés dans des containers, par manque de place.

Au centre pénitentiaire de Nouméa, certains prisonniers sont logés dans des containers.

 

On a quatre établissements –pour les quartiers maison d’arrêt- qui sont supérieurs à 150% de surpopulation. Baie-Mahaut, Ducos, Majicavo et Remire-Montjoly.

Odile Macchi, responsable du pôle enquête au sein de l’Observatoire international des prisons (OIP)

En moyenne en Outre-mer, ce sont les détenus emprisonnés pour de courtes peines qui subissent le plus la surpopulation carcérale. En maison d'arrêt –les structures qui accueillent les détenus en attente de jugement ou condamnés à des peines courtes- la surpopulation carcérale est en moyenne de 142 %. Ce chiffre n'est "que" de 103 % pour les structures destinées aux prisonniers incarcérés pour plus de deux ans.

Des chiffres sous-estimés selon les associations

Les détenus d’Outre-mer sont très largement des hommes : sur 5510 prisonniers, on ne compte que 155 femmes, soit un total d'environ 3 %. Les chiffres du gouvernement ne précisent pas dans les moyennes globales si les prisonniers sont des hommes ou des femmes. Or la question a son importance, car les quartiers réservés aux femmes sont rarement pleins. Mécaniquement, inclure les femmes dans le calcul global fait baisser artificiellement la moyenne. 

Les taux d’occupation des prisons occultent systématiquement un élément essentiel : les taux spécifiques aux quartiers hommes. Dans ces quartiers, la surpopulation est encore plus affolante que ce que laissent croire les chiffres communiqués par l’administration.

Observatoire international des prisons

Ainsi, seuls 84 % des lits réservés aux femmes sont occupés à la prison de Ducos, en Martinique. À Faa-Nuutania (Polynésie), à Majicavo (Mayotte), ou à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), les quartiers des femmes ne sont remplis qu’à moitié. Le chiffre de 123 % d’occupation carcérale en Outre-mer est donc sous-estimé.

La surpopulation carcérale, ce n’est pas qu’une question de place. "Quand deux ou trois personnes occupent une cellule prévue pour une seule personne, tout se dégrade plus vite. Tous les aménagements, tout le personnel est prévu par rapport à la capacité théorique des établissements", rappelle Odile Macchi. La surpopulation carcérale aggrave les problèmes de vétusté et d’insalubrité et prive les prisonniers de leurs droits. Quand une prison est occupée à 200 %, au-delà des matelas au sol et des détenus entassés dans leurs cellules, il y a deux fois moins de personnel prévu pour la réinsertion ou la formation des prisonniers.