Tatouage des peaux noires, des préjugés bien ancrés

Katie McPayne est tatoueuse depuis six ans.
Peau plus dure, qui cicatrise mal, où la couleur ne se voit pas... Certains tatoueurs refusent de tatouer les peaux noires et métisses. Des idées reçues à combattre pour la tatoueuse d'origine martiniquaise Katie McPayne. Retour sur ces pratiques discriminantes avec cet article publié sur notre site le 27 février 2023.

"Est-ce que ce type de tatouage est possible sur peau noire ?", s'interroge une internaute sur Twitter. "J'ai trouvé la perle rare : une tatoueuse spécialisée en tatouage pour peau noire", se réjouit une autre. Si le tatouage se démocratise –environ 20% des Français sont tatoués– certains tatoueurs refusent de travailler sur peau foncée. "Il y a beaucoup d’a priori, confirme la tatoueuse Katie McPayne, avant de lister les idées reçues les plus courantes. De toute façon, ça cicatrise mal, la peau est dure, plus épaisse, c’est compliqué à tatouer, la couleur rend mal…" La jeune femme d’origine Martiniquaise exerce depuis six ans à Rennes.

Elle définit son style comme "doux, coloré et fin". Exactement ce que certains tatoueurs refusent de faire sur des peaux foncées, sous prétexte que les pigments ne se verraient pas assez. Les préjugés sont bien ancrés et certains de ses clients ont une certaine appréhension avant la séance, notamment parce qu’ils ont été refusés dans d’autres salons. "On me dit ‘ j’ai la peau noire, je ne sais pas si c’est un problème’ ou. ‘ Je veux de la couleur, mais ils ne veulent pas, ils disent que ce sera moche", raconte-t-elle.

Les tatoueurs qui font de la couleur ont tendance à ne poster sur leurs réseaux que des peaux blanches. Les clients potentiels peuvent se dire que ‘ça ne marche pas sur une peau noire’.

Katie McPayne

Méthode particulière

Katie McPayne tatoue tous types de peau, et reproche à certains de ses confrères et consœurs de renoncer au moindre obstacle. Le stencil – ce calque coloré qui indique le tracé au tatoueur– est généralement violet, une couleur qui ressort mal sur les peaux foncées. "Avec le bon éclairage, on voit bien. Il y a des solutions : il existe des stencils rouges ou verts pour mieux voir sur les peaux noires, mais beaucoup de tatoueurs ne le savent pas", regrette-t-elle. Pour rendre les pigments plus visibles aussi, il existe des solutions. Katie McPayne travaille avec plusieurs sous teintes, un peu comme si elle créait une base claire pour mieux accueillir la couleur et la faire ressortir.

Si certaines personnes renoncent au style qu’elles veulent, d’autres se privent carrément de tatouage, persuadées que la peau noire cicatrise mal et que le rendu sera moins propre. "La peau n’est pas plus dure, ce n’est pas vrai, tranche Katie McPayne. Les tatouages sur peaux noires ont souvent du relief, mais ce n’est pas forcément parce que la peau cicatrise mal, c’est surtout parce que les tatoueurs tatouent mal." Elle y voit un cercle vicieux : parce qu’ils pensent que les peaux noires sont plus épaisses, certains professionnels augmentent le voltage de l’aiguille ou injectent l’encre plus profondément dans la peau pour que la couleur ressorte mieux, ce qui complique la cicatrisation. "Ensuite, on se dit 'les peaux noires, c’est difficile'", soupire-t-elle. 

Manque de formation

Les peaux foncées ont des particularités. Elles sont par exemple plus sujettes aux chéloïdes, des cicatrices en relief, et ont tendance à enfler plus rapidement. Mais travailler avec la peau du client, qu’elle soit fine, épaisse ou striée de vergetures, fait partie du travail du tatoueur. "Il faut savoir s’adapter. Si tu ne veux pas de contraintes, il faut faire peintre et travailler sur des feuilles", sourit Katie McPayne.

Pour moi, c’est de la fainéantise, un refus de s’adapter et de se former. J’ai arrêté d’y voir de la malveillance, ils ne se posent pas de questions, c’est tout.

Katie McPayne

Dans le milieu du tatouage, la formation se fait souvent sur le tas, avec un mentor. Si ce dernier ne travaille jamais sur peau foncée, l’apprenti tatoueur risque, lui aussi, de refuser de tatouer des peaux noires ou métisses. "Quand quelqu’un te prend sous son aile, mais qu'il n'a que des clients blancs et que ça s'est mal passé la seule fois où une personne noire est venue se faire tatouer, tu ne le referas pas. C’est un biais de confirmation", considère la tatoueuse.

Katie McPayne s'est servi de sa propre expérience pour améliorer sa technique et s'adapter aux peaux foncées, notamment en observant comment ses tatouages vieillissaient. "Quand on cicatrise, on cicatrise plus foncé. Ça peut prendre des mois, ça devient maronnasse, mais ensuite la couleur apparait", dit-elle en pointant l'un des dessins qui ornent son bras. Le tatouage, vert, a mis presque un an avant de ressembler à sa version définitive. Cicatrisation, rendu des couleurs, gestion de la peau qui enfle... Les informations autour du tatouage des peaux noires et métisses sont peu accessibles. Mais les choses changent, et Katie McPayne reçoit régulièrement des messages de tatoueurs et de tatoueuses qui souhaitent se former.