TÉMOIGNAGE. Hôpital : une Antillaise victime "d'injure raciste" sur son lieu de travail

Entrée de l'hôpital NOVO (Nord-Ouest Val-d’Oise) de Pontoise (photo prise pendant la crise sanitaire du Covid-19 en octobre 2020).
Imitation d'un accent antillais, photos de bananes ou cris de singe, une employée de l'hôpital de Pontoise dénonce avoir subi plusieurs actes racistes de la part de deux de ses collègues. Une plainte a été déposée pour "injure raciste".

"Je me suis crue dans un zoo." Pourtant, c'est bien sur son lieu de travail que Sandra (le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat) raconte avoir entendu des cris de singe. Des bruits proférés par deux de ses collègues, lorsqu'ils passaient devant son bureau.

Pendant trois mois, la Guadeloupéenne aurait subi des actes racistes au sein de son service à l'hôpital de Pontoise, dans le Val-d'Oise. Fin novembre, elle a déposé plainte.

Des cris de singe

Sandra est nouvelle dans ce service. Travaillant depuis trois ans dans le milieu hospitalier, la Guadeloupéenne a intégré ce nouveau poste en janvier 2023. Au départ, "pas de soucis particuliers". 

C'est au bout de quelques semaines qu'elle note "une ambiance décalée". Dans ce service majoritairement composé d'hommes, on s'amuse à "changer les serrures" ou à répondre au téléphone des autres. Des "blagues assez déplacées" selon Sandra, qui en devient la cible privilégiée. "Ils ont commencé à me surnommer Tatie Georgette, avec un accent antillais", retrace Sandra.

C'est durant l'été 2023, que les "blagues" ont changé de nature : "J'ai ramené des fruits, que je voulais partager. Ça partait d'un bon sentiment." Un de ses collègues n'est pas du même avis. "Tu nous prends pour des pigeons ? Demain, ce sera quoi, des cacahuètes ?", lui aurait-il lancé. "Après ça, ils n'ont pas arrêté de jouer sur le mot 'banane', explique Sandra. Ils ont commencé à faire des cris, et il y en a un qui s'est mis à faire le singe.

" Il faut prendre ça au second degré"

Le 31 août, Sandra reçoit sur sa boîte mail professionnelle des images scannées depuis l'imprimante du service : une photo de banane, et une photo de "singe mangeant des bananes". "Je ne peux plus les visualiser ces images, confie Sandra. Rien que d'en parler, ça fait ressortir les émotions que j'ai ressenties."

Ce quotidien, Sandra prend du temps avant de le partager. Par crainte de "représailles ou d'insultes", elle préfère garder le silence. 

Au début, je n'en ai même pas parlé à mon mari. Il voyait que j'avais un mal-être, mais je n'arrivais pas à l'exprimer.

Sandra

Sandra finit par se confier à la psychologue du travail et à une collègue. "Elle était nouvelle dans le service, elle a entendu les cris de singe, donc elle leur a dit d'arrêter, précise-t-elle. Mais malgré ça, ils ont continué." La réponse des deux individus : "Il faut prendre ça au second degré."

Harcèlement et incitation à la haine

Le 15 novembre, la direction de l'hôpital est informée de la situation et actionne la protection fonctionnelle, qui inclut notamment une avance des frais d'avocat. "On est allé à sa rencontre à plusieurs reprises, précise Josette Aatillah, secrétaire départementale de SUD-Santé-Sociaux 95-60. Et elle a finalement décidé de porter plainte.

Une première plainte pour harcèlement moral est déposée, complétée par les notions d'injures racistes" et d'incitation à la haine. "C'est quand même très rare de voir ce type de comportement au sein d'un hôpital, souligne Me Cabral, avocat spécialisé dans le droit du travail. C'est assez exceptionnel dans la stupidité et le caractère primaire du racisme."

Habitué à travailler avec le syndicat, l'avocat "déplore" un certain "relativisme" de la part de l'établissement : "Ces personnes restent totalement impunies à ce stade, elles ne sont même pas écartées temporairement du service le temps de l'enquête." 

Une requête appuyée par le syndicat. "Ce que l'on demande, c'est qu'il y ait une suspension de ces deux individus, insiste Josette Aatillah. C'est d'usage à l'hôpital, on met en place cette mesure pour protéger les deux parties en attente du déroulé de l'enquête."

Ouverture d'une enquête interne

Selon un communiqué fourni par l'hôpital, une "enquête interne a été immédiatement ouverte", pour identifier les auteurs des faits. "Des sanctions seront bien entendu appliquées dès lors que des harceleurs sont identifiés", ajoute le document, qui précise que la direction "condamne fermement toute forme de violence ou discrimination".

Contactée, l'Agence Régionale de Santé (ARS) souligne son engagement "dans la lutte contre les violences contre les personnels de santé et notamment dans la lutte contre les actes et propos racistes, antisémites et tous les actes de discrimination". L'organisme "encourage les victimes à signaler ces actes et propos" auprès de la plateforme nationale de signalement de l’Observatoire national de lutte contre les violences en santé. 

L'hôpital de Pontoise affirme avoir également proposé "un changement d'affectation" à l'agent, "qui n'a pas souhaité y donner suite". "Pourquoi ce serait à moi de partir ?, répond Sandra. Je n'ai pas demandé à subir ça." Depuis deux jours, la Guadeloupéenne a "déménagé" de bureau, tout en restant dans le même service.

Je ne me sens pas en sûreté, j'ai toujours peur de les croiser dans les couloirs.

Sandra

Elle a sollicité un rendez-vous avec sa direction pour leur exposer son ressenti. À l'issue de l'enquête, Sandra espère une chose : "ne plus les voir".