Tour de France 2023 : où sont les coureurs ultramarins ?

Jean-René Bernaudeau, le manager de l'équipe cycliste TotalEnergies qui vit plusieurs mois de l'année en Guadeloupe, a repéré aux Antilles et à La Réunion des coureurs comme Yohan Gene, Rony Martias ou Thomas Voeckler.
Depuis trois éditions, aucun cycliste ultramarin ne participe au Tour de France. Pour comprendre cette absence, Outre-mer la 1ère est allé demander l'avis du manager général de TotalEnergies, Jean-René Bernaudeau, qui avait notamment fait venir dans son équipe les Guadeloupéens Yohann Gène et Rony Martias.

Donavan Grondin, Thomas Voeckler, Lorrenzo Manzin, Yohann Gène et Rony Martias… Tous ont un point commun : ils sont passés par l’équipe professionnelle (actuellement TotalEnergies) ou la réserve de jeunes (Vendée U) de Jean-René Bernaudeau.

Mais depuis 2020 et la troisième et dernière participation du Guadeloupéen Kévin Reza, les Ultramarins ne sont plus alignés au départ du Tour de France, appelé aussi la Grande Boucle. On a tenté de comprendre pourquoi avec Jean-René Bernaudeau, un amoureux de la Guadeloupe qui y vit deux mois par an.

Outre-mer la 1ère : Certains expliquent l’absence d’Ultramarins et notamment d’Antillais par le fait qu'ils préfèrent être des stars chez eux, notamment quand ils font les Tours de Guadeloupe et de Martinique. Êtes-vous d’accord ?

Jean-René Bernaudeau : C'est exactement ça. Quand j'ai dit à Yohann [Gène] et Rony [Martias] : "Vous allez découvrir la Belgique avec le froid, avec des couvre-chaussures, vous serez traités comme tout le monde, ça sera dur, tu ne verras pas ta famille", ils ont dit banco, ils l'ont fait, ils ont été faire le Tour des Flandres, Paris-Roubaix... Ce sont des courses violentes.

Mais ils n’avaient pas touché au star-system des îles. Parce que quand on est une vedette en Guadeloupe avec le beau temps, avec les palmiers, avec la plage, la gloire, un peu d'argent et que nous on leur dit : "Tu vas aller en Belgique affronter le froid, les bordures, la galère"... Yohann [Gène] a pleuré pas mal de fois. Mais c'était le prix à payer pour avoir un diplôme de champion.

 

Est-ce donc un problème d’envie ?

La jeunesse, elle a envie. Elle a juste un seul problème, c'est l'éloignement des compétitions internationales et le déracinement. J'ai toujours incité Rony Martias et Yohann Gène quand il faisait des grosses saisons à rentrer chez eux retrouver leur famille, leurs origines, pour se reconstruire, parce que jamais, jamais, on ne doit oublier que ce déracinement existe.

Même si la Guadeloupe est la France, on a quand même une autre façon de vivre, et à chaque fois, je les revoyais après un séjour familial, ils étaient euphoriques, heureux. Et j'ai eu beaucoup de joie, des joies qui ne s'achètent pas.

 

Y aurait-il alors un problème de formation ?

Il n’y a pas de problème de formation, il y a un problème que les dirigeants ont plutôt envie que le club de tel endroit soit plus fort que le club de tel endroit, alors que le seul et unique problème des Ultramarins, c'est l'éloignement.

[Il faut] avoir des budgets pour avoir des délégations, avec des jeunes mais aussi des dirigeants. On doit plus former les dirigeants que les jeunes, puisque la jeunesse ultramarine a beaucoup de talent. Il faut des délégations [dans les Outre-mer] avec un point de chute [dans l’Hexagone], parce que ce déracinement, il existe. Et quand ces jeunes viendront toujours au même endroit, avec des courses importantes, des automatismes, ils vont se sentir chez eux. Mais il faut que les dirigeants comprennent que le seul problème qu'ils ont, c'est l'éloignement.

 

Pensez-vous faire venir des jeunes Ultramarins prochainement ?

Je ne le referai pas, d'abord parce qu'aujourd'hui, c'est un projet global qui doit se faire avec une délégation. Je ne veux plus le faire à moins qu’il y ait des rassemblements de jeunes avec leurs entraîneurs locaux, qu’on éduquera chez nous [en Vendée] dans des courses internationales et c'est le seul prix pour que ça reparte.

Mais nous, ça nous coûte très cher, il n’y a pas la reconnaissance des dirigeants. J'ai la reconnaissance des habitants, quand je me promène à Sainte-Anne, j'ai des embrassades, des gens qui me disent merci. Mais jamais je ne rencontre les dirigeants, jamais.

Moi aujourd'hui je n’en ai pas besoin, j'ai juste envie de rendre service et j'ai envie que toute cette jeunesse, que je connais bien dans les îles, ait une chance de réussir. Si je suis aujourd'hui présent dans le cyclisme, c'est parce que j'ai trouvé mon équilibre aux Antilles. La Guadeloupe m'a permis de me reposer, je suis chez moi en Guadeloupe, j'ai mes amis en Guadeloupe, je vis en Guadeloupe, donc je me reconstruis, j'en ai une reconnaissance pour toujours.