Récurrentes dans les Antilles et Guyane, les saisies de drogue interviennent souvent grâce à des fouilles que les douaniers peuvent réaliser en se basant sur un texte de loi bien précis : l’article 60 du code des douanes.
Daté de décembre 1948, il est très court et dit in extenso : "Pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes."
Traduction : il permet aux agents de "fouiller toute personne, tout véhicule, toute marchandise dans tous les lieux où la douane a l’autorisation de contrôle : sur la route, aux frontières, dans les aéroports, les gares, explique Estelle Torbal, secrétaire interrégionale du syndicat UNSA Douanes Antilles-Guyane. Cela concerne aussi tous les moyens de transport même les navires."
"L’article 60, c'est la base de notre profession", confirme Pierre-Marie Hilaire, secrétaire du syndicat autonome des douanes – CGT de la Guadeloupe (SAD-CGTG).
Il contrevient à la liberté de circuler
Or, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par un avocat de Bourges (Cher), le Conseil constitutionnel a déclaré le 22 septembre 2022 que cet article était contraire à la Constitution : le cadre où il peut être appliqué étant beaucoup trop flou, il contrevient à la liberté d’aller et venir et au droit au respect de la vie privée.
Les Sages ont cependant reconnu qu’abroger cet article 60 immédiatement "entraînerait des conséquences manifestement excessives", à savoir laisser aux trafiquants de drogue la liberté de circuler sans être inquiétés. Ils ont donc reporté la date de l’abrogation au 1er septembre 2023 pour laisser le temps au législateur de réécrire un texte.
Malgré cette précaution, des avocats de l’Hexagone se sont engouffrés dans cette brèche de l’inconstitutionnalité pour défendre leurs clients accusés de trafic de drogue. Plus étonnant, même si cela reste marginal, certains ont obtenu gain de cause auprès des magistrats. Ce fut le cas à Reims en décembre dernier où le juge a déclaré nulle une saisie de 2,3 kilos de cocaïne et a relaxé le mis en cause.
"On est plus prudent"
De telles situations se sont-elles produites en Outre-mer ? En Guyane, où le trafic de cocaïne a pris des proportions très inquiétantes, il n’y a "aucune difficulté pour le moment, rapporte Mustapha Khiter, avocat basé à Cayenne spécialisé en droit pénal et douanier. Pour le moment, les magistrats valident les contrôles sous le visa de l’article 60."
En Guadeloupe non plus, ce genre de cas ne s’est pas présenté pour l’instant d’après Pierre-Marie Hilaire, et ce, pour plusieurs raisons. La plupart des fouilles ne sont pas réalisées sur la route sur un ou des individus suspectés d’être impliqués dans un trafic, mais à l’aéroport ou dans le port.
"Quand nous faisons des contrôles de conteneurs préalablement ciblés, nous avons toujours un représentant de la société de transport", explique-t-il. Selon lui, la présence de ce représentant offre un cadre juridique car elle permet aux douaniers d’ouvrir le conteneur, de le fouiller dans les règles et de constater à plusieurs l’infraction s’il y en a une.
L’autre raison, c’est que depuis la décision du Conseil constitutionnel, "on est plus prudent lors des contrôles pour essayer de faire bien, pour que ça ne puisse pas être retoqué", assure le représentant syndical de Guadeloupe pour qui l’annonce de l’abrogation "ouvre une boîte de Pandore pour les avocats".
"Un blanc-seing à la criminalité"
Enfin en Martinique, la boîte de Pandore reste fermée pour l’instant. D’après la secrétaire interrégionale UNSA Douanes, le parquet de Fort-de-France a "été interpelé sur le sujet par des avocats" et il est très clair sur la question : "Il s’aligne sur la décision du Conseil constitutionnel" de reporter l’abrogation au 1er septembre 2023.
Elle trouve logique de laisser le texte pour l’instant en vigueur "pour permettre aux douanes de continuer à faire le travail", sinon ce serait signer "un blanc-seing à la criminalité" : "Si on ne peut pas fouiller un véhicule, une valise, on n’a aucun élément pour caractériser l’infraction", et donc saisir la drogue et entamer des poursuites judiciaires.
70% du travail des douaniers
C’est pour cette raison qu’au moment de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, le syndicat UNSA a fait part de "la sidération des personnels".
Même son de cloche du côté du SAD-CGTG : "Quand on fait l’abrogation de cet article, c’est mettre en péril le fondement des contrôles douaniers", confirme Pierre-Marie Hilaire.
Des contrôles qui concernent pour une large part les drogues : environ 70% de l’activité de surveillance des douaniers de Martinique et de Guadeloupe relèvent du trafic de stupéfiants.
Les douaniers ne souhaitent plus qu’une chose désormais : qu’un nouveau texte sorte au plus vite.
Un texte à réécrire rapidement
"Il est important que le texte soit réécrit rapidement en concertation avec les douaniers de terrain qui expérimentent les contrôles tous les jours, en respectant les recommandations du Conseil constitutionnel, de façon qu’on ait une assise solide pour faire notre travail", abonde Estelle Torbal.
Un avis partagé par le représentant syndical SAD-CGTG qui a malgré tout certaines appréhensions sur le résultat : "On craint que nous n’ayons plus les mêmes latitudes à contrôler ouvertement, que ce soit plus restrictif et que ça laisse plus le champ libre aux délinquants ainsi qu’à leurs défenseurs."
Les douaniers espèrent en tout cas que le nouvel article qui n’avait pas été dépoussiéré depuis 74 ans sera finalisé bientôt pour qu’ils aient au moins l’été pour se l’approprier avant la fameuse date butoir du 1er septembre.