"Nous croyons en ce sport-là, fraternel et inclusif, (...) nous nous engageons pour éviter que notre nation place à sa tête une présidente qui incarne tout le contraire." Dans une tribune, une cinquantaine de sportifs se mobilisent contre le Rassemblement national. Ils appellent à voter Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite lors du second tour de la présidentielle 2022, le 24 avril prochain. Parmi les signataires, on retrouve cinq ultramarins : les réunionnais Dimitri Payet et Jackson Richardson, et les Guadeloupéennes Marie-José Pérec, Muriel Hurtis et Allison Pineau.
Les gestes politiques, sur les terrains ou sur les podiums, se font de moins en moins rares. S’impliquer en politique a longtemps été interdit aux sportifs professionnels, comme le rappelle Yvan Gastaut, historien du sport et maître de conférence à l’université de Nice : "Il y avait une sorte de loi du silence. L’idée que le sport était différent des autres manières de se présenter en scène, par rapport aux cinéastes, aux gens de théâtre, aux écrivains… Les sportifs étaient considérés comme ne faisant pas de politique. Ils sont plus enclins à le faire aujourd’hui qu’hier parce qu’on accepte davantage que les sportifs aient des opinions, c’était un peu saugrenu, il y a trente ou quarante ans." Les athlètes français s’engagent "à partir des années 2000, et notamment en 2002, avec l’arrivé de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle". Le Guyanais Bernard Lama, ancien international et gardien de l'équipe de France de football, avait par exemple appelé à l’époque "aller voter" et à "éradiquer le Front national".
Parce qu'ils sont très médiatisés et parce qu'ils s'adressent à une audience large, les sportifs peuvent avoir une réelle influence politique. Outre la médiatisation, "certains sports sont plus politisés que d’autres", pointe le chercheur. "Certains sports sont plus ouverts à ce que les athlètes s’expriment. Il y a peut-être plus de liberté dans la boxe que dans le monde du tennis par exemple."
S’engager sans prendre de risques
Les sportifs américains se sont impliqués dès les années 1960 dans la lutte contre les inégalités et les discriminations, "la prise de conscience en France vient plus tard, dans les années 1980-1990", explique l’historien. Et si de plus en plus de sportifs s’engagent, ils le font sur des sujets peu polémiques. "Le pur engagement politique c’est celui qui vous met en péril et qui met votre carrière en péril. Il est vrai que des athlètes ont mis en danger leurs carrières pour des engagements politiques.Qu'ils s'engagent sur les questions de notre temps, c'est très bien. Mais s’engager contre le Front national, ça ne mettra jamais en péril la carrière d’un sportif."
Les Américains Tommie Smith et John Carlos ont été exclus des JO de Mexico, en 1968, après avoir levé le poing sur le podium, pour dénoncer la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Plus récemment, en 2016, le joueur de football américain Colin Kaepernick a dû mettre fin à sa carrière pour avoir mis un genou à terre, symbole de la lutte contre les violences policières après la mort de Georges Floyd. "En France on n’a pas tellement d’exemple de ce volume-là, d’une personne qui se serait engagée au point de mettre en péril sa carrière, note Yvan Gastaut. D’ailleurs aujourd’hui c’est peut-être même le contraire, c’est plutôt une manière de booster sa carrière, car afficher une image de tolérance est aujourd’hui de bon ton."
Il s’agit d’engagements assez balisés, des positions contre le racisme, pour l’égalité des sexes etc. qui sont des positions aujourd’hui très partagées et un peu stéréotypées.
Yvan Gastauthistorien du sport
Certains sujets, comme la question de l’homosexualité dans le football par exemple, restent tabous. Olivier Rouyer, ex-international français, est le seul footballeur professionnel à avoir publiquement annoncé son homosexualité. C’était en 2008. Vingt ans après la fin de sa carrière.