Trop de compagnies aériennes sur les destinations Outre-mer ?

Meilleure santé financière pour Air France-Klm. Le groupe aérien franco-néerlandais voit ses comptes sortir du rouge en 2022 après deux années financières catastrophiques et des pertes massives. C’est ce qu’a tenu à dire le PDG d’Air France-KLM lors de la conférence de presse de présentation des résultats annuels 2022 qui s’est tenue au siège du Groupe à Paris.

Résultat d'exploitation de 1,2 milliard d'euros pour un chiffre d'affaires de 26,4 milliards d'euros, légèrement en dessous de celui de 2019 (27,2 milliards), dernier exercice avant la crise sanitaire.

Pour rappel, le groupe a perdu en 2020 et 2021 plus de dix milliards d'euros (7,1 milliards d'euros en 2020 et 3,3 milliards en 2021). Cette performance est d'autant plus remarquable que les capacités, en sièges kilomètres-transportés, restent encore en retrait de 15% par rapport à leur niveau d'avant-crise. Résultat : Air France-KLM a transporté 21 millions de passagers de moins qu'en 2019. Ben Smith compte atteindre sur l'ensemble de l'année  95% à 100% des capacités mises sur le marché en 2019.

Un retour au vert donc pour les deux compagnies aériennes. Mais la direction du Groupe Air-France KLM est-elle déconnectée du ressenti et des inquiétudes en matière de pouvoir d’achat et de continuité territoriale des Ultramarins concernant les prix des billets d’avion entre les Outre-mer et l’Hexagone ? Interrogé par Outre-mer la 1ère sur la hausse conséquente des prix des billets d’avion entre l’Hexagone et les territoires et collectivités d’Outre-mer ces derniers mois, Ben Smith – directeur général du groupe aérien franco-néerlandais depuis septembre 2018 – a répondu : "Les tarifs des billets d’avion entre la métropole et les Outre-mer sont probablement les plus intéressants que je n’ai jamais vu depuis quatre ans et demi que je dirige le groupe", a répondu le dirigeant.

Une hausse de 30 % en moyenne 

Une réponse d’autant plus étonnante que l’Indice des prix du transport aérien de passagers de décembre 2022, publié le 27 janvier 2023 par le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, fait état d’une augmentation annuelle moyenne des prix des billets d’avion au départ de la France de 20,6 %, toutes destinations confondues.

Sur un an, l’Indice fait état d’une hausse des prix de 30 % en moyenne vers les Outre-mer ! Au départ de l’ensemble des départements d’Outre-mer, l’augmentation des prix des billets d’avion atteint 34,6 % en moyenne au mois de décembre. S’agissant des Antilles, c’est encore pire : + 58,9 % pour La Martinique et + 47 % pour La Guadeloupe. "Effectivement, ce sont des tarifs qui ont subi l’inflation globale", a fini par reconnaitre Anne Rigail, la patronne de la compagnie Air France. "La particularité, c'est que le pétrole que nous devons prendre dans les iles caraïbes a subi une inflation additionnelle. On demande à la SARA – qui est le fournisseur de pétrole sur place – de revoir ses tarifs pour que l’on puisse effectivement rebaisser nos tarifs et ne pas transférer cette augmentation liée au pétrole qui a été décidée localement" a poursuivi Mme Rigail.

Par ailleurs, la directrice générale d’Air France a reconnu dans le même temps que, s’agissant de la compagnie tricolore, "Air France avait mis beaucoup de capacité sur les Outre-mer durant les deux années de crise pandémique parce que les outre-mer était une valeur refuge (sic) – la plupart des routes vers l’Asie étant fermées à cause de la pandémie (NDLR). Cette capacité avec d’autres transporteurs a fait que les tarifs durant la crise covid avaient baissé. (…) Donc, il faut bien comparer avec les tarifs 2019 et non pas avec le cœur de la crise".

Prise aux mots, Outre-mer la 1ère a vérifié les chiffres. Toujours d’après l’Indice des prix du transport aérien des passagers (des données publiques gouvernementales), au départ de l’Hexagone, les prix des billets d’avion en décembre 2022 ont augmenté de 22,8 % vers l’Outre-mer par rapport à décembre 2019, l’année de référence du transport aérien mondial, avant la crise sanitaire. Au départ des départements d’Outre-mer, l’augmentation des prix des billets d’avion est de 30,5 % en moyenne (45 % depuis les Antilles contre seulement 21,2 % depuis la Guyane et 11,9 % depuis La Réunion).

"Des aides pour nous couler"

Toujours à propos de la concurrence accrue qui avait fait baisser les prix de et vers les destinations ultramarines, les compagnies aériennes privées desservant les Outre-mer n’ont guère gouté la stratégie d’Air France.  "C’est une concurrence déloyale !" ont exprimé à maintes reprises les patrons d’Air Austral, d'Air Caraïbes, d’Air Tahiti Nui, de Corsair et de French Bee qui pointent le fait qu’Air France a bénéficié d’aides financières massives et de recapitalisation de l’État français durant la pandémie. "Des aides pour nous couler", avaient même confié l’un des patrons de compagnies ultramarines. Des transporteurs du ciel qui ont eu beaucoup de mal, au plan économique, à aligner leurs prix sur ceux de la compagnie nationale, du fait du manque de remplissage leurs avions (tant en passagers qu’en Fret) et des remboursements des prêts garantis par l’État (PGE).

"Des aides publiques infiniment moins importantes que les quelque 5 milliards d’euros de recapitalisation d’Air France ajoutés aux quelque 7 milliards d’euros d’aides publiques de l’État", ont décrié les patrons d’ATN et du groupe Dubreuil (propriétaires d’Air Caraïbes et de French Bee).

Or, justement, cette concurrence sur la desserte des destinations Outre-mer, Ben Smith a tenu à en dire un mot lors de la conférence de presse : "Le marché Outre-mer est vraiment le marché qui devrait voir une consolidation. Mais quatre compagnies aériennes (en moyenne) sur un seul réseau - des sociétés qui sont assez petites –, pour nous, ce n’est pas le plus optimal. Et pour les passagers, c’est quelque chose que l’on étudie. Est-ce qu’il y a une option qui pourrait être intéressante pour nous et un des autres opérateurs ? C’est quelque chose qu’on étudie !"

En d’autres termes, le grand patron du Groupe Air France-KLM est-il en pourparlers avec l’une ou l’autre des petites compagnies privées pour une négociation sur les prix, un rachat total ou partiel d’un concurrent ou pour étudier des accords dans le cadre de la continuité territoriale ? Ou tout simplement, Ben Smith annonce-t-il à demi-mot une offensive contre la concurrence privée, afin de réduire la concurrence sur ces destinations et de reprendre un peu plus la main sur ces lignes aériennes qui ont permis à Air France de s’en sortir économiquement pendant la crise Covid ? La guerre commerciale semble relancée plus que jamais, près de 35 ans après la fin du monopole de la compagnie tricolore sur les Outre-mer.

Les propos du PDG d’Air France-KLM tombent au moment même où la Commission Outre-mer du Sénat s’est saisie de ce problème des prix des billets d’avion et de ses conséquences sur la continuité territoriale entre l’hexagone et les collectivités ultramarines.

Affaire à suivre !