Ce sera la sixième femme, et la première femme noire, à entrer au Panthéon le 30 novembre. Le mausolée, dédié aux personnes ayant contribué de manière significative à l’histoire de France, l’accueillera symboliquement dans un cénotaphe, un tombeau habituellement vide, mais empli pour la circonstance d’un peu de terre de Saint-Louis dans le Missouri, la ville natale de Joséphine Baker ; de Paris, sa ville de cœur ; du château des Milandes où elle fonda un foyer ; et de Monaco où elle est enterrée. Sa famille ne souhaitait pas déplacer le corps de la célèbre artiste.
"Tout ce qui se prépare autour de l’entrée de ma mère au Panthéon a remué beaucoup de choses en moi sur le plan émotionnel, et des souvenirs", confie à Outre-mer La 1ere Jean-Claude Bouillon-Baker, le cinquième enfant de Joséphine Baker. Dans la réédition de son livre, "Un château sur la lune", il écrit notamment : "Quarante-six ans ont passé depuis que tu n’es plus. (…) La mort et le temps n’ont cessé de te grandir dans le coeur des femmes et des hommes. (…) Maintenant tu vas rayonner dans le sein sacré de la République".
Tu te serreras contre les bras fraternels d’Aimé Césaire, chantre de la négritude, et aussi ceux du malicieux Alexandre Dumas, quarteron blanchi par la postérité, qui aurait relaté fastueusement ton épopée s’il t’avait connue. Tous les trois ensemble accueillis sous cette coupole solennelle, longtemps après les mille et un détours de l’esclavage qui colora vos peaux et insurgea vos esprits. (…) Ma seule et unique maman, tu ne fus pas, tu es.
Une panthéonisation empreinte de solennité, mais également de tristesse et de mélancolie, pour Jean-Claude Bouillon-Baker. "Il y a tout qui ressurgit, et notamment le château des Milandes", ce magnifique endroit de Dordogne où Joséphine Baker avait installé ses enfants adoptés, sa "tribu arc-en-ciel", comme elle l’appelait, à partir des années cinquante. Arrivé aux Milandes en décembre 1955, à l’âge de deux ans, le petit Jean-Claude y passera son enfance et une partie de son adolescence. Jusqu’à ce que sa mère, artiste pourtant mondialement connue et multi médaillée de la Résistance, en soit brutalement expulsée en mars 1969 à cause de dettes accumulées.
"Tout cela nous oblige à replonger dans l’épopée et l’immensité de sa vie", rappelle Jean-Claude Bouillon-Baker. "Parmi toutes les personnalités qu’elle a côtoyées (Martin Luther King, Duke Ellington, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Fidel Castro, le général de Gaulle, Edith Piaf, Louis Armstrong, Grace Kelly, Jacques Brel, le roi du Maroc Hassan II, pour ne citer que ceux-ci, ndlr), mon seul regret est qu’elle n’ait jamais rencontré Nelson Mandela, car tous deux sont des symboles de diversité. Mandela voulait créer une nation arc-en-ciel, elle a créé une tribu arc-en-ciel. Ils voulaient faire éclater le racisme à travers une multitude de couleurs. Ces deux-là se seraient aimés."
Extrait de "Un château sur la lune", de Jean-Claude Bouillon-Baker
"Une violence irrationnelle guidait certains gestes de ma mère. Une interrogation intime l’accompagnait pendant que nous grandissions. Allions-nous faire montre d’une tolérance aussi authentique que celle dont elle avait rêvé en nous adoptant ? Plus que tout, elle redoutait de voir surgir cette part enfouie, façonnée par des générations d’aïeux, que l’on nomme atavisme. La moindre insulte dans l’innocence de l’âge, le moindre jeu de mots lié à l’origine, la religion ou la couleur de l’autre réveillaient en elle la hantise du reniement.
(…) Plus qu’une autre mère, le spectacle d’un petit être qui s’extrait peu à peu de sa chrysalide la désemparait. Au fil des jours, elle souffrait certainement de moins nous sentir sous ses ailes, protégés par son rire et sa tendresse débordante. Ce lien unique qu’elle avait inventé et rattaché au néant de nos vies antérieures ne pouvait se distendre comme celui des autres enfants avec leurs parents. Le miracle ne devait pas s’interrompre ni même se dissiper lentement."
► Jean-Claude Bouillon-Baker, "Un château sur la lune", éditions Hors Collection, 275 pages, 19,50 euros.
► À lire aussi : la très complète BD biographique "Joséphine Baker", par Catel Muller et José-Louis Bocquet (avec Jean-Claude Bouillon-Baker comme conseiller historique), éditions Casterman, 568 pages, 26,95 euros.
Joséphine Baker en douze dates
3 juin 1906. Naissance de Freda Josephine MacDonald à Saint-Louis dans le Missouri, Etats-Unis.
17 septembre 1921. Mariage avec Willie Howard Baker à Philadelphie.
22 septembre 1925. Arrivée de Joséphine Baker à Paris. Le 24, avant-première de la compagnie "La Revue Nègre" au Théâtre des Champs-Elysées. C’est un triomphe. Les représentations s’enchaînent dans la capitale, mais aussi à Bruxelles et à Berlin.
3 juin 1927. Remariage avec un Italien, Giuseppe Abatino, dit Pépito, qui devient son agent. En 1928 et 1929, Joséphine Baker fait des tournées dans toute l’Europe, ainsi qu’en Argentine, au Brésil, au Chili et en Uruguay.
30 novembre 1937. Mariage avec Jean Lion, un industriel et homme d'affaires, après le décès de Pépito l’année précédente. Joséphine obtient la nationalité française. Elle se sépare de Jean Lion en juillet 1939.
Octobre 1939. Suite à la déclaration de guerre à l’Allemagne nazie, Joséphine Baker commence à réaliser des missions de renseignements pour la Résistance française naissante, grâce à ses nombreuses relations et son important carnet d’adresse. Elle transmet également des documents secrets vers Londres.
Août 1943. Joséphine rencontre le général de Gaulle qui lui remet la Croix de Lorraine pour faits de résistance (elle recevra également plus tard la Croix de guerre avec palme et la Légion d’honneur). L’année suivante, elle est nommée sous-lieutenant, affectée à l’Etat-major de l’Armée de l’air (elle avait passé un brevet de pilote d’avion en 1935).
Juin 1947. Mariage avec le chef d’orchestre Jo Bouillon et acquisiton du château des Milandes en Dordogne. Le couple adoptera douze enfants de toutes couleurs et nationalités.
28 août 1963. Joséphine Baker participe à la célèbre marche sur Washington pour la liberté et prononce un discours aux côté de Martin Luther King. En novembre, le président Kennedy est assassiné. L’artiste va lui rendre un dernier hommage devant sa dépouille.
3 mai 1968. Joséphine est cribblée de dettes, et le château des Milandes est mis en vente aux enchères. En juillet, elle fait une attaque cérébrale et est hospitalisée. Elle est expulsée des Milandes en mars 1969.
Août 1969. Joséphine Baker et sa famille s’installent sur les hauteurs de Roquebrune, près de Monaco, grâce à l’aide de la princesse Grace Kelly. Les années suivantes, la chanteuse enchaîne les concerts dans le monde entier.
12 avril 1975. Décès de Joséphine Baker à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris après être tombée dans le coma deux jours avant. Ses obsèques, le 15 avril, rassemblent plus de 20.000 personnes. Elle est inhumée au cimetière marin de Monaco le 19 avril.