Ce jeudi 22 avril 2021 est officiellement lancée la Chaire Outre-mer de Sciences Po, avec la présentation d'un comité scientifique qui doit plancher sur le programme de ce cursus universitaire inédit. Une chaire ouverte aux étudiants ultramarins mais pas seulement, et ce, dès la rentrée prochaine.
On l’attendait depuis cinq ans. La création de cette chaire dédiée aux Outre-mer est un projet assez ancien, compris dans la loi égalité réelle de 2017. "L'Etat et les collectivités territoriales d'Outre-mer encouragent et favorisent la création d'une chaire d'excellence consacrée à l'Outre-mer dans une grande école", peut-on lire dans son article 51.
Ce sera chose faite à la rentrée de septembre 2021 : les étudiants de Sciences Po pourront assister aux cours dispensés par la première chaire universitaire de France et d’Europe dédiée aux Outre-mer. Les étudiants de Paris mais aussi ceux des campus délocalisés de Sciences Po à Poitiers, Reims, Menton ou encore au Havre pourront bénéficier de ces enseignements.
A la tête de cette chaire, Martial Foucault, directeur du CEVIPOF : il est nommé titulaire; Mikaa Mered, enseignant spécialiste de la géopolitique des régions polaires, de la transition énergétique et des Outre-mer, à l’origine du premier master Outre-mer de France à l’ILERI (Institut Libre d’Etudes des Relations Internationales à Paris), en est le Secrétaire général.
Des Ultramarins majoritaires dans le Comité scientifique
Ce jeudi 22 avril commence l’aventure universitaire avec le lancement d’un site internet dédié et l’installation d’un comité scientifique qui aura pour mission de réfléchir au programme de la chaire. Neuf directeurs de recherche et dix personnalités invitées spécialistes des Outre-mer ont deux mois avant de rendre leur copie, lors d’une conférence de presse inaugurale prévue le 2 juillet.
"La volonté était d’y associer des académiques, mais aussi des représentants du milieu de la culture et aussi quelques hauts fonctionnaires qui ont pu avoir par le passé des responsabilités Outre-mer”, indique Martial Foucault.
Des universitaires, “des directeurs de recherche et autres spécialistes des Outre-mer , soit ici dans l’Hexagone, soit dans les territoires comme La Réunion, la Guadeloupe ou La Polynésie”, précise Mikaa Mered, vont ainsi travailler conjointement avec deux hauts fonctionnaires, un journaliste et une artiste.
“Avec une majorité d’Ultramarins”, souligne le Secrétaire général de la chaire. Parmi les personnalités invitées, seuls trois spécialistes ne sont pas originaires des Outre-mer, mais ils ont à chaque fois une expertise en la matière : le professeur et géographe Jean-Christophe Gay, l'historienne Sarah Mohammed-Gaillard, spécialisée dans l'histoire de l'Océanie et de la politique de la France dans le Pacifique Sud, et Jean-Jacques Brot, ancien préfet de Guadeloupe, de Mayotte et ancien haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie - “qui a donc une expérience des trois bassins”-.
Les autres personnalités invitées du comité scientifique sont ultramarins, à l’image de la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy ou encore du juriste originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon Eric Thiers, chercheur associé au CEVIPOF, conseiller d’Etat et Secrétaire général du Haut-commissariat au plan.
Un programme en six axes
Deux mois, donc, pour définir plus en détail un programme en six axes. Il fera l’objet d’"une réflexion de la part du conseil scientifique mais aussi de concertations très étroites et très directes avec les collectivités locales ultramarines, avec un certain nombre d’agences de l'Etat, les entreprises et les associations des territoires qui seront intéressées", explique le titulaire de la Chaire.
►Premier axe : lnstitutions et Faits politiques
“Le rapport aux faits politiques c’est aussi l’analyse électorale, souligne Martial Foucault. "C’est pour cela que sur cette question, le CEVIPOF sera en première ligne. Parce que j’ai remarqué depuis fort longtemps que quand on veut regarder une analyse électorale très fine dans l’Outre-mer, on ne la trouve pas”, développe celui qui a travaillé sur l’analyse référendaire en Nouvelle-Calédonie en tant que directeur du CEVIPOF.
►Deuxième axe : Cohésion sociale et Territoires
Cet axe portera sur les enjeux de la cohésion sociale et de la cohésion territoriale. “Je souhaite qu’on aborde la question des intercommunalités, celle de l’autonomie des collectivités locales et leur rapport à la centralité parisienne", déclare Martial Foucault.
►Troisième axe : Citoyenneté et Cultures
Au coeur de cet axe, l'étude des systèmes de valeurs Outre-Mer, de la diversité linguistique, religieuse et ethnique, du rapport à la citoyenneté et aux notions de souveraineté, d’autonomie et d’indépendance.
►Quatrième axe : Transitions écologiques
Des cours qui aborderont donc les questions de transitions écologiques, avec notamment un focus sur les énergies marines renouvelables et l’hydrogène. Comme point de départ, ce constat : 80% de la biodiversité française se trouve Outre-mer.“Je rêve de pouvoir développer une évaluation de ce que serait une transition, un virage sur l’énergie bleue en prenant comme laboratoire expérimental les Outre-mer et surtout pouvoir identifier les verrous de cette transition, enfin tout ce que cela nous enseigne pour la France hexagonale”, raconte le titulaire de la chaire.
►Cinquième axe : Trajectoires économiques
En fil rouge, cette question : quel est le modèle de convergence économique des Outre-mer ? Martial Foucault s’interroge : “n’est-ce qu’une question de croissance économique? Je voudrais qu’on puisse travailler sur cette idée que le développement économique ne peut pas être simplement regardé à travers le prisme d’un indicateur de croissance.”
►Sixième axe : Géopolitique & Intégrations régionales
Il s’agira de comprendre le regard des pays voisins vers l’Outre-mer : “autrement dit, le positionnement du Pacifique ou du Japon vis- à-vis des territoires en Océanie, même chose pour Mayotte et La Réunion”...
Avec la volonté de décentrer le regard : on n'étudiera “pas seulement l’Outre-mer vis-à-vis de l’Hexagone, mais l’environnement géopolitique des Outre-mer”, précise M Foucault.
Car cette chaire va traiter des Outre-mer français mais pas seulement. Mikaa Mered explique : “on va par exemple étudier l’impact du brexit sur les Outre-mer britanniques et sur les autres Outre-mer européens, on va évoquer la représentation des Outre-mer au niveau de l’Union européenne, les Outre-mer américains , d’autres Etats et qui ne sont pas connus comme la Norvège, Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Argentine, le Chili : bref , des Etats auxquels on ne pense pas forcément quand on parle d’Outre-mer.”
En tout, ce sont 14 autres pays administrant des territoires ultramarins dans le monde qui seront étudiés. "Cette connaissance des Outre-Mers étrangers viendra alimenter la réflexion sur les Outre-Mers français et [irriguera] l’ensemble des six axes de recherche de cette chaire" qui se veut bilingue, français-anglais, peut-on lire dans la plaquette de présentation officielle.
Formation initiale, formation continue et conventions prioritaires
Les étudiants du collège universitaire de Sciences Po, c’est-à-dire les étudiants des trois premières années, auront tous la possibilité de suivre un cours pluridisciplinaire sur les Outre-mer. "Jusqu’ici, la question de l'Outre-mer à Sciences Po, c’est surtout des étudiants ultramarins qui s’y intéressent”, raconte Mikka Mered.
Notre ambition avec cette chaire, c’est de dire aux étudiants hexagonaux : intéressez-vous aux Outre-mer! Ça existe, c’est là ! Allez-y, faites-y des stages, faites-y des alternances, passez votre troisième année là-bas.”
La possibilité d’emmener des étudiants de Sciences Po de troisième année en stage d’initiation à la recherche dans les territoires d’Outre-mer est en effet au coeur du projet.
Autre objectif : resserrer des liens dans le cadre des conventions d’éducation prioritaire avec les lycées sur place. “Pour permettre aux élèves de ces lycées de mieux se former pour passer le concours d’entrée à Sciences Po”, explique Mikaa Mered.
Un travail qui n’a pas été fait jusqu’ici selon Martial Foucault . “Certes il y a eu un conventionnement, mais pour des raisons d'éloignement géographique, il n’y a pas au sein de ces lycées de présence ni de participation de la communauté ‘Sciences Po’ sur place pour aider à préparer le concours, ce qui se fait dans l’Hexagone”, développe le titulaire de la Chaire. Par ailleurs, la question est aussi de voir comment augmenter ce nombre de conventions d’éducation prioritaire, “parce que si je prends un territoire comme Mayotte, souligne Martial Foucault, il y a très peu de choses.”
Dernier objectif : développer la formation continue, en particulier auprès des élus ultramarins sur place, dans les territoires. “Et j’aurais même tendance à vous dire les jeunes élus locaux", indique Mikaa Mered. "Ça veut dire quoi faire de la politique dans des contextes différents de celui de l’Hexagone?" Un cursus professionnalisant avec une formation certifiante à la clé leur est donc destinée.
Premières publications dès 2021
Le Secrétaire général de la chaire s’attend à ce que ce nouveau cursus trouve son rythme de croisière très rapidement. Il est confiant : “on aura beaucoup de notes publiées dans chacun des axes, un certain nombre de cours et séminaires seront mis en place et les stages d’initiation à la recherche pour les étudiants de troisième année seront ouverts à la rentrée 2021”.
Selon lui, la Chaire Outre-mer publiera ses premiers rapports structurels à la fin de l’année. “Aux alentours de fin novembre, on devrait avoir le premier grand rapport de la chaire sur un sujet d’analyse politique”. Et dès le mois de mai, des notes seront publiées : une première note scientifique de méthode, une autre axée sur la géopolitique et enfin, une troisième note portera sur l'analyse du comportement référendaire en Nouvelle-Calédonie.