Une étudiante Comorienne piégée par la guerre entre la Russie et l'Ukraine

Moina-Fatima étudie à la National University of Trade and Economics de Kiev.
Que sont devenus les étudiants étrangers en Ukraine depuis l’attaque de la Russie ? Nous sommes allés à la rencontre de Moina-Fatima, une étudiante comorienne en 2ème année de commerce internationale et de management à la National University of Trade and Economics de Kiev. Elle a fuit les bombardements russes pour rejoindre la frontière polonaise et rallier la France. Elle témoigne pour Outre-Mer la 1ere.

"Je me souviens de tout. Du premier jour où j’ai posé mes pieds en Ukraine. C’était le 26 décembre 2019. J’étais habillée d’un jean, d’un tee-shirt, d’un anorak et d’une petite valise rose offerte par l’une de mes tantes et j’avais la tête recouverte d’un châle. Je n’avais même pas de gants et il faisait si froid que j’avais les dents serrées, mes mains complètement gelées. J’étais comme une toute petite souris grelotante", se souvient Moina-Fatima.

Cette jeune Comorienne, titulaire d’un BAC Littéraire, est déterminée à réussir son parcours universitaire. "A mon arrivée, c’est Madame Irina de mon université qui est venue me chercher pour à l’aéroport afin de me ramener à ma cité universitaire. J’étais tellement impressionnée par toutes ces lumières, le tramway, les magasins, le Mac Donald, de voir pour la première de la neige". Moina-Fatima s’adapte petit à petit à sa nouvelle vie. "Je pensais très fort à ma maman malade alors hospitalisée à Dar-Es-Salam en Tanzanie. Je ne faisais que pleurer à mon arrivée. J’appelais tant que je pouvais ma famille pour chercher du réconfort. Grâce à Dieu, je me suis fait très vite une bande de potes dans ma promotion : Assia et Aïna (Chine), Ange (Congo), Kara et Aïcha (Cöte-d’Ivoire), Roughisse (Azerbaidjan), Alya (Nigéria), Yasser, Djamel, Mimou (Algérie). Je me suis fait aussi des amis Ukrainiens. Dès le départ, ils m’ont aidé", poursuit-elle.

Une mention spéciale à Chris Saïd Daniel "le seul Comorien que je connaissais en Ukraine. Il m’a beaucoup aidé à mon arrivée. On communiquait au téléphone. Etudiant dans une autre ville, à Poltava, depuis que je suis ici, je ne l’ai jamais revu. J’espère vraiment qu’il va bien."

Bombardement et nuit très longue

C’est mercredi 23 février au soir que tout bascule "alors qu’on était dans notre chambre avec mon amie, on a entendu un grand boom ! C’était je pense un bombardement en centre-ville. Tout le monde s’est mis à crier, à pleurer dans la résidence, y compris nous. On avait très très peur. On est quand même allées à la fenêtre. On a commencé à "snaper", à filmer avec nos smartphones. C’est à ce moment-là que des membres de la sécurité de la résidence universitaire se sont mis à hurler : davaï, davaï, davaï [Faites vite, sortez, sortez] !", se rappelle-t-elle en cherchant ses mots.

"J’avais très peur. Mon amie aussi. On a pris nos manteaux. On a couru dehors. Je pleurais et je n’arrêtais pas d’implorer Dieu devant des camarades de classe encore plus choqués et en larmes que moi. Je croyais vraiment que c’était la fin, qu’on allait mourir. J’ai tout de suite appelé, en sanglots, ma famille aux Comores et en France. Au bout du fil ma famille pleurait avec moi, autour de moi dans un froid glacial des milliers d’étudiants pleuraient, élèves ukrainiens comme étrangers pleuraient, la sécurité pleurait aussi. C’était la panique totale. Personne ne rassurait personne !" raconte émue la jeune femme. De minuit à 8 heures du matin, tous les étudiants restent éveillés à l’extérieur de leurs bâtiments respectifs. Le 24 février au matin, ils sont rassemblés au rez-de-chaussée ou au sous-sol des résidences pour aller dormir à même le sol.

Départ précipité

Au troisième jour des combats, Moina-Fatima n’a plus le choix. "Dans ma tête c’était vivre ou mourir. Je voulais vivre. J’ai pris mon ordinateur, une seule paire de chaussures et quelques habits auxquels je tenais et que je n’avais jamais portés jusque-là." Les trémolos remontent le long de sa gorge quand elle se rappelle qu’elle a laissé des objets précieux dans sa fuite. "La robe de ma maman, les livres d’invocations qu’elle m’a offert et qu’elle lisait à chaque fois sa prière terminée. Le fait de les avoir oublié me fait encore très très mal au cœur car je pensais les avoir pris avec moi tout comme mes documents officiels. Heureusement, que j’ai des copies de mes diplômes dans ma boite mail", se rassure-t-elle.

Avec son amie congolaise Ange et deux autres étudiants : Alfred et Steven, Moina-Fatima quitte la résidence universitaire pour prendre la direction de la gare de Kiev. Dehors, la police est partout. Sur le chemin de la gare, une grosse explosion retentit. "C’était notre université, frémit-elle. Elle avait été frappée de plein fouet. Notre peur a redoublé tout comme nos pas. Forcément, c’était difficile à vivre de savoir qu’on avait laissé des ami(e)s sur place là-bas, notamment mon amie Roughisse qui a été blessée." Arrivés à la gare, le petit groupe constate l’afflux de population, les quais bondés et des habitants de Kiev qui se disputent pour pouvoir monter dans les trains. La pression, elle se fait plus grande quand une seconde détonation retentit dans le ciel de Kiev : "On a entendu une grosse explosion près de la gare. Ce qui signifiait que des combats avaient lieu."

Les quatre étudiants africains essayent coûte que coûte de monter dans un premier train mais on le leur refuse à la fois parce qu’il y a beaucoup de monde et aussi à cause de leur "couleur de peau". Elle poursuit : "La priorité est donnée avant tout aux Ukrainiens. Pas aux étrangers. La police nous a même demandé d’aller acheter des billets alors même que personne n’a l’idée de faire la queue pour un billet. Nos vies étaient en jeu." La lutte pour prendre le train est terrible pour tous. "Un train est arrivé à 4 heures du matin. Il y avait encore beaucoup de monde. Il a fallu grimper à l’arrière d’un wagon pour prendre la direction de Lviv. C’est à ce moment-là que je me suis blessée sérieusement à la jambe À l’intérieur du train, Ange et moi avons donné 20 euros à un étudiant africain qui nous a aidé à monter et qui a remis la somme à un contrôleur du train je pense. On est arrivé à Lviv au bout de 9 heures de voyage parce que le train devait passer par des chemins détournés pour éviter les convois et les soldats russes."

40 kilomètres de marche à pied pour atteindre la frontière

Une fois arrivés à destination les quatre étudiants se cotisent pour se payer un taxi jusqu’à la frontière polonaise. "Chacun d’entre nous a sorti 30 euros pour payer le conducteur soit 120 euros la course. Mais il y avait tant de monde que nous aurions pris au moins cinq jours pour arriver à la frontière de la Pologne. Il y avait trop d’embouteillages. Après quelques heures, on s’est décidés à quitter le véhicule et à poursuivre le chemin à pied." Les quatre amis marchent donc bagages en main une quarantaine de kilomètres de "16 heures à 3 heures du matin".  "J’ai vu des mères pleurer jusqu’à perdre la tête car ayant égarées leurs enfants en chemin. Les gens tombaient parce que très fatigués, malades ou blessés. Ils essayaient de se relever vite pour ne pas se faire piétiner et surtout ne pas être retenus sur place en Ukraine. J’ai également vu des personnes allongées après je ne peux pas dire si elles étaient mortes après des combats ou bien suite à un accident de voiture. Quoiqu’il en soit on voyait les ambulances faire des allers-retours et tout cela dans un immense vacarme et désordre", explique Moina-Fatima.

Le chemin est long et douloureux mais les quatre amis parviennent jusqu'à la frontière polonaise. "Il y avait un grand portail. Pour le passage en Pologne, les soldats ukrainiens privilégiaient les Ukrainiens, les femmes, les enfants, les jeunes, les adultes et laissaient les Noirs de côté. Alors qu’on voulait passer la frontière, les soldats ukrainiens et les Ukrainiens eux-mêmes, nous disaient vous les Noirs allez de l’autre côté. Mais c’était pareil pour les autres réfugiés. Tous les étudiants criaient alors : We are students, we are students – nous sommes étudiants, nous sommes étudiants !!! Mais ils n’en avaient rien à faire. On est restés comme ça à protester contre ces mauvais traitements et à défendre nos droits comme ça jusqu’à 3 heures du matin."

Passer coûte que coûte en Pologne

Comme bon nombre de réfugiés, Moina-Fatima souhaite rentrer à tout prix en Pologne. Après quelques péripéties, les soldats ukrainiens reviennent expliquent aux étudiants étrangers que seules les femmes peuvent traverser la frontière ukraino-polonaise. Énième effusion de tendresse, pleurs et douloureuse séparation avec les garçons. En Pologne, un visa est délivré à Ange, un autre à Moina-Fatima. Après un détour par un camp de réfugiés, les deux étudiantes de Kiev rejoignent la gare routière.

"Par téléphone, mon grand frère, installé en France, m’encourageait beaucoup. Il m’a conseillé de prendre un bus pour la capitale polonaise : Varsovie. Le bus était gratuit", explique Moina-Fatima. "Mon frère est parvenu à réserver une chambre dans un hôtel de la capitale polonaise. Il a aussi réservé le train Varsovie-Berlin. Grâce à ses amis présents en Pologne, il m’a envoyé un peu d’argent. Après quatre heures de route, on est arrivé à Varsovie." Les deux étudiantes finissent par prendre le train pour l’Allemagne. En ligne de mire la Belgique pour Ange où elle doit retrouver sa tante et la France pour Moina-Fatima. "On a eu énormément de chance car dans notre wagon les policiers allemands ne sont pas passés. On avait très peur car on a entendu une annonce qui disait que tous les ressortissants en provenance d’Ukraine n’avaient pas le droit de quitter le train car ils devaient être conduit dans un centre d’accueil pour réfugiés. À notre arrivée à Berlin, on est descendu en courant du train. On pouvait voir les autres réfugiés bloqués par la police", raconte-t-elle. Le grand frère de Moina-Fatima est venu ensuite, en voiture, récupérer sa sœur et son amie à mi-parcours entre l’Allemagne et la Belgique. Avant de ramener sa sœur à l’abri en France. Une histoire qui se termine bien pour la jeune femme. Mais si Moina-Fatima est en sécurité, elle n’oublie pas ses amis restés là-bas.