Clément Giraud est un marin atypique. Eveillé à la course au large aux Antilles, façonné professionnellement par la mer Méditerranée, révélé par les embruns des trois océans sur le Vendée Globe, il vient de faire le tour de la Terre en bateau. Une performance qui n’est pas due au hasard.
Il existe des marins qui sont muets, d’autres qui sont taiseux, quasiment la même chose à une nuance près. Et enfin d’autres qui sont volubiles. Loïck Peyron en est un. Clément Giraud désormais fait aussi partie de cette caste d’homme des mers qui ont toujours la banane, le sourire quelles que soient les circonstances, près de qui on passerait des heures à écouter nous raconter leur histoires.
"Un premier Vendée ça n’est jamais anodin, ça change un homme et tant mieux. Ca crée autant de joies que de frustrations. Il faut accepter et apprécier la totalité des choses qui vont arriver", nous disait Loïck Peyron, expert en la matière de cette course avec les bons mots choisis.
Trois jours après son arrivée Clément Giraud commence à peine à récupérer et poser les pieds sur terre, à se réveiller d’un rêve qui a duré trois mois et demi. Il a juste recommencé à dormir et en a terminé avec ses siestes.
"On a passé une belle et longue soirée mardi soir et on a refait le match hier chez Cali (Arnaud Boissières) avec l’arrivée de Miranda (Merron). Mais j’ai mal partout, au dos, aux jambes qui ne veulent plus me tenir. Il va falloir que je réhabitue mon corps à la gravité terrestre. Ce n‘est pas le mal de terre mais je cherche à comprendre un déséquilibre qui n’existe plus alors je danse quand je parle."
Un nouveau Clément
C’est le premier constat. Il n’est pas de lui mais de son frère qui lui a dit être devenu un marin avec un grand M. Compliment fraternel que Clément valide, et argumente à sa façon :
"De régatier je suis devenu marin. Oui c’est vrai j’ai pris un pied pas possible à essayer d’être au plus près de ce que la mer et les éléments nous donnent et nous imposent. Trois jours avant l’arrivée c’était dantesque, comme dans le Sud et en même temps on a confiance dans le bateau et ses limites. On est complétement dans le truc, aucune possibilité de s’en échapper, mais on doit l’accepter."
Sur un Vendée Globe on n’est plus dans l’humain, il faut devenir liquide comme l’eau et raide comme le carbone du bateau. Il faut trouver surtout cet équilibre permanent, comprendre pourquoi c’est un gros kif. Et je me suis régalé.
Un brin masochiste monsieur Giraud. Accepter de souffrir de se faire mal, moralement surtout. Certaines périodes de cette aventure autour de la terre ont marqué le marin Martiniquais. Comme celle des fêtes, si particulière pour le père de famille qu’il est, et qui avait laissé à quai ses enfants Capucine et Aimé, avec sa femme Hortense : "Noël a été un moment dur à passer, c’est un moment familial que tu ne dois pas passer sur un Vendée Globe. Ça m’a coûté cher psychologiquement mais là tu te dis, Noël on s’en fout. Je le fais juste pour mes proches mais je reste dans mon quotidien et il n’y pas de journées spéciales à bord."
Alors pour ne pas sombrer Clément a du s’organiser, rester dans une rythmique de métronome, avec une organisation militaire, alors qu’il n’y a pas plus bordélique (sic) que lui. Cette discipline lui a permis d’avancer et de tout faire fonctionner à bord, et même d’y fêter ses quarante ans.
Avec le cœur Antillais
Jamais Clément ne s’est départi de ses origines, là où il est né, là où il a grandi. Rappelant sur les pontons des Sables d’Olonne que Victor Jean-Noël à Sainte-Anne en Guadeloupe et les autres marins antillais lui ont donné le gout de la course au large dans son esprit, lui qui était avant tout surfeur de vagues.
"Je n’ai pas fait le choix de rester aux Antilles, j’ai fait le choix de venir ici me former, et ça m’a coûté très très cher, mais ça m’a apporté énormément. Et le résultat est que je suis arrivé à boucler un Vendée Globe, c’est juste fabuleux."
Paradoxe, il arrive au moment où, à quelques jours près, la Martinique est annoncée comme terre d’arrivée de la Transat Jacques Vabre 2021 (départ le 7 novembre prochain) et renoue avec la grande course au large. Une occasion à ne pas manquer pour Clément.
"Une Jacques Vabre je dis oui, une route du Rhum aussi. Il y aura un retour aux sources dans les deux cas. Quand j’ai décidé de quitter la Réunion où je vivais avec mes parents et je venais de passer mon brevet d’état de voile, j’ai toujours imaginé pouvoir rentrer à la maison un jour, en ayant traversé, avec cette fierté de l’avoir réussi, que ce soit en Martinique ou en Guadeloupe. A un moment la mer nous appelle."
A chaque fois que je passais à la latitude des Antilles, à l’aller ou au retour, j’étais dans leurs senteurs, leurs couleurs, c’était chimique. Je sentais ça et j’en avais besoin, ce serait tellement bon de revenir dans mes îles avec une course comme la Transat Jacques Vabre.
Victor Jean-Noël a suivi l’arrivée de Clément, et les reportages qui ont suivi sur l’antenne de Guadeloupe la 1ère. Le formateur de si nombreux marins s’est déclaré ému par cette attention : "Ce qu’a dit Clément me touche énormément. Lorsqu’on est enseignant notre récompense ne va pas au-delà du juste sentiment d’avoir bien servi ces enfants. On fait tout avec notre cœur et avoir un retour pareil de sa part c’est incroyable."
Une spiritualité qui l’aide aussi
Clément Giraud est aussi un mystique, il a souvent fait des allusions à sa foi, certes à demi-mot, sans le dire vraiment. La peur de déranger un monde pas si conventionnel que cela. Car sur l’océan, il faut bien se raccrocher à quelque chose d’autre que son bateau par moments. Sur terre il a été élevé comme ça, en Guadeloupe notamment, avec cette tradition catholique bien ancrée.
"Il y a toujours ce respect là en moi. Quand j’étais en Guadeloupe à Matouba, ça me faisait plaisir de chanter la messe à l’église avec les copains de l’école les dimanche matin. Je marchais aussi une heure et demi pour aller au catéchisme. Sans compter les Chanté Nwèl, là-bas c’est un peu Péï Bon Dié.
Il faut du dogme, mais la foi que j’ai mis dans ce projet et l’investissement c’est par rapport à l’immensité universelle, c’est ça qui fait ma force. J’ai fait mon chemin avec Jésus Christ gamin et aujourd’hui je ne mens pas il y a quelque chose, mais ce n’est pas mon unique conducteur. J’ai toujours eu la foi, je suis chrétien, je crois en une énergie universelle, à ma bonne étoile et j’ai appris à transposer cela dans la vie de tous les jours."
Et aussi dans son Vendée Globe. Peut-être était-ce une force supplémentaire pour mener son aventure à bon port. Les mots qu’il prononça dans le chenal à son arrivée étaient déjà choisis dans sa tête.
C’est introspectif ce que je viens de vivre, je ne sais comment dire, peut être que j’ai été béni des dieux ou touché par la grâce mais c’est top quoi.
Progresser encore et toujours
Clément a passé des moments sportifs difficiles durant ce tour du monde. Notamment les quinze premiers jours quand il s’est fait décrocher du peloton et s’est retrouvé à l’arrière suite à un mauvais virement de bord dans la descente de l’Atlantique. "Je me suis tiré une balle dans le pied, mon ego en a pris un sacré coup. Ensuite j’ai mis de côté pour ne pas être dans le rouge, j’ai pris du temps et me suis accordé du repos je suis re-rentré dans des systématiques de vie. Tout est reparti."
Clément parle aussi de repères à retrouver. Peut-être prendre des conseils auprès d'un autre marin.
En poussant un peu il nous ouvre quelques pistes. "Ça peut être une grande star mais pas la peine d’aller chercher aussi loin. Benjamin (Dutreux) et Damien (Seguin) m’ont bluffé, ils m’ont vraiment impressionné. Je suis très loin de leur niveau, ces gars tu les vois débouler comme ça, ils mettent tout le monde d’accord. Elle est belle leur histoire. Surtout Damien un extraterrestre qui fait ça avec une seule main. Naviguer avec lui demain si je lui demande ce pourrait être génial car j’aurai plein de choses à apprendre avec. Damien est exceptionnel, c’est un potentiellement un futur vainqueur du Vendée Globe."
Si c’était à refaire, j’ai besoin de tout repenser, de "remettre l’église au centre du village . Chacun à sa place. Il faut aussi que je trouve mon mentor si je veux continuer. Quelqu’un qui a fait plusieurs fois le tour du monde pour m’apporter des réponses.
Avec ses bons repères et ses pensées profondes Clément a su aussi s’entourer des bonnes personnes. Depuis presque la moitié de sa vie avec Hortense, et ponctuellement pour ce projet sportif avec Julie Rocher. Le yin et le yang du marin côté sud de France à Toulon. Elles sont les deux points d’équilibre de Clément. Et tout se mélange car on est dans un petit projet familial avec de grandes idées.
Enfin ce coup du destin incroyable avec Erik Nigon qui lui prête un bateau pour le rêve de sa vie. "C’était son Vendée Globe et mon plaisir. J’étais un peu son mécène affectueux et ce bateau devait naviguer. J’ai bien vécu cela, pas par procuration, mais en rassurant Clément parfois. Il fallait juste qu’il ramène le bateau avec lui", déclare sobrement le propriétaire de l’Imoca. Les deux hommes se sont promis de naviguer ensemble. "Si en novembre je rentre en Martinique avec Erik sur ce bateau qui m’a permis de faire le tour de la terre ce serait énorme, une continuité mais pas une fin en soi", répond Clément.
La chance sourit aux audacieux aime-t-il dire, mais Clément Giraud n’a pas de réponses aujourd’hui sur la suite de sa carrière. Tout juste nous avouera-t-il qu’il va couper un bon mois, se balader en camping-car dans la France en famille. Un autre périple avec moins de stress et juste un peu de bonheur en plus.