Le skipper martiniquais n’est pas dans les favoris du Vendée Globe. Il s’est battu pour être au départ d’un pari qui semblait perdu il y a tout juste un an, alors que son bateau avait pris feu. Histoire d’un amoureux de la mer allant au bout de ses rêves d'aventurier.
En regardant des chiffres bruts, c’est une évidence, question expérience maritime, le garçon a de la bouteille et il a bourlingué sur toutes les mers du monde : 130 régates et courses, en multicoques et monocoques, aux quatre coins du globe. Plus de 25 victoires et 40 podiums, 135 000 milles parcourus en équipage, 20 000 en double, 22 000 en solitaire. Et pourtant rien ne le prédestine à effectuer ce tour du monde en solitaire de 21 638 milles nautiques, d’autant que le sort s’acharne sur lui l’an dernier.
Le geste de gentleman d’Erik
En octobre 2019 au Havre, Clément voit son bateau (l’ex PRB de Vincent Riou) détruit dans un incendie peu avant le départ de la Transat Jacques Vabre. Quelques jours plus tard son partenaire titre jette l’éponge et renonce au Vendée Globe. Mais sa rencontre avec Erik Nigon est ce que l'on appelle pudiquement un symbole de la solidarité des gens de mer. Les deux hommes font connaissance sur les pontons, Clément prêtant une voile à Erik qui possède lui aussi un Imoca.
Paradoxe il obtient l’autorisation d’être au départ, sur un bateau avec lequel il n’était pas inscrit à l’origine. Mais Clément a tenu bon car paradoxalement l’appel du large a été tardif chez lui.
Enfant des îles
Le garçon naît à Schœlcher en Martinique, il part en Guadeloupe à l’âge de 6 ans et commence la voile et la planche à voile à Saint-François, à l’UCPA. Mais ça ne se passe pas bien du tout au début pour le petit blondinet : "Je n’arrivais pas à revenir quand je partais au large avec ma planche mais mes frères oui. Ça m’a traumatisé, j’ai arrêté un an ou deux et j’ai repris doucement. "
"Au Moule mais surtout à la Pointe des Châteaux, je me régalais, surtout à l’Anse à la Gourde près de la barrière de corail quand les houles de Nord rentraient avec les cyclones c’était pas mal, confie-t-il. J’avais gagné deux compétitions de longboard et on m’avait sollicité pour rentrer en équipe de Guadeloupe. Mais ça ne s’est pas fait."
J’étais un solitaire, en Guadeloupe je faisais « mon cari » tout seul comme on dit là-bas. Je n’aimais pas la compétition, je n’étais pas fait pour ça.
Clément Giraud
Gros bateaux d’abord
Clément effectue sa première course en France à l’âge de 18 ans, puis il part pour La Réunion où il passe son tronc commun de diplôme de moniteur de voile, puis son brevet d’état. Il rentre en France où un cousin de son père, travaillant dans une voilerie dans le sud de la France, va lui apprendre l’autre facette du métier de marin : "Je me suis retrouvé à travailler pour UK Sailmakers à Mandelieu-la-Napoule, j’ai appris le métier avec eux. J’habitais dans une caravane près de la voilerie et dedans il y avait des posters du Vendée, je rêvais déjà de grands bateaux."
Il enchaîne des Tours de France à la voile sur Mandelieu avec Sylvain Chtounder, la Martinique avec Mathieu Mourés ou Tpm avec Fabien Henry. Mais très vite les gros bateaux vont apparaitre avec des clients de la voilerie américaine. En 2003 il est à mi-temps à la voilerie et second sur un maxi de course puis numéro 1. Clément monte en gamme sur la Volvo, sur des Wally (yachts et voiliers haut de gamme), en multi, en class America avec Bertrand Pacé, et TP 52 (monocoque de 52 pieds par équipages) avec Benoît Briand sur des courses en Méditerranée. Où le contexte est différent de celui de la Bretagne." Ça faisait des années que j’avais envie de passer en solo et que je rêvais Vendée, mais je n’osais pas trop en parler car dans le milieu en équipages où j’évoluais, on ne comprend pas trop les solitaires, explique-t-il. Je n’avais pas honte de le dire mais je le gardais pour moi."
Depuis le départ du 8 novembre, Clément Giraud avance prudemment avec son monocoque, il essaie d’être cohérent à bord et ne force pas trop sur la machine. Même si parfois il y a des petits plaisirs avec des petites pointes à plus de 20 nœuds, il prend encore le temps d’étudier les choses. Détail important son équipe a changé la quille et les safrans avant de partir.
Joint à la vacation téléphonique de ce mercredi 18 novembre, il se confie : "Les larmes ont été versées, le stress du départ est passé, nous voilà en mer. J’ai passé la tempête de la première semaine, mais j’ai payé super cher mon bord de recalage des premiers jours. J’apprends à slalomer entre les systèmes sur la météo, parfois je fais des petites erreurs mais je progresse. J’ai la sensation d’être à l’école, il faut être indulgent avec soi-même car quand tu ne l'es pas, tu n’es plus lucide et des choses énormes peuvent te passer sous ton nez. Mais j’apprends à tous les niveaux et c’est génial."
"Se grenn’ diri ka fé sak diri" dit un proverbe antillais, toutes vos petites actions mises bout à bout vont finir par faire un gros truc. C’est ma devise.