Victoire d’étape dans le procès du chlordécone : la question de l’empoisonnement bientôt devant la Cour de cassation

La cour d'appel de Paris, sur l'île de la Cité.
Ce mercredi 13 novembre, la cour d'appel de Paris a décidé de transmettre à la Cour de cassation l'une des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par les parties civiles. Il s'agit de savoir si la pollution au chlordécone peut être considérée comme un empoisonnement, et donc un crime.

Peut-on considérer la pollution au chlordécone comme un empoisonnement, et donc un crime ? La justice n’a pas encore tranché, mais la cour d’appel de Paris a estimé, ce mercredi 13 novembre, que la question méritait d’être posée.

En janvier 2023, les juges ont rendu un non-lieu dans l’affaire du chlordécone. Pour rendre leur décision, ils se sont notamment fondés sur une jurisprudence bien particulière, celle du sang contaminé. Depuis ce scandale du sang contaminé, pour que le crime d'empoisonnement soit reconnu, il faut démontrer que la personne qui a délivré la substance nocive avait l’intention de tuer. Le simple fait de savoir que le produit était dangereux ne suffit pas. L'intention de tuer n'a pas été démontré dans le cas du chlordécone, et même si la molécule empoisonne encore les sols des Antilles et les corps des Antillais, le crime d'empoisonnement n'a pas été reconnu.

Le Chlordécone a été utilisé pour lutter contre le charançon, dans les bananeraies, de 1972 à 1993.

Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris, défend des parties civiles dans cette affaire. Il estime que cette jurisprudence est contraire à la Constitution. Il a donc soumis à la cour une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), un mécanisme juridique qui permet de vérifier que la loi respecte la Constitution. "La décision qui a été rendue ce matin est importante puisque la chambre d’instruction de la cour d’appel de paris a considéré que la question était sérieuse et qu’elle devait être renvoyée devant la Cour de cassation", explique l’avocat.

C’est une étape importante, ce n’est pas encore une victoire. C’est une avancée qui va nous permettre de renforcer le dossier et de nous battre jusqu’au bout.

Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris.

La Cour de cassation a désormais trois mois pour se prononcer et décider de transmettre ou non la question au Conseil constitutionnel. Ce dernier aura lui aussi trois mois pour rendre sa décision. "C’est lui qui pourra dire si le crime d’empoisonnement peut être retenu dans ce dossier. Si le crime d’empoisonnement est reconnu, ça aura des conséquences très importantes, décrypte Christophe Lèguevaques. Si c’est un crime, donc une infraction beaucoup plus grave qu’un simple délit, la prescription va être transformée." La prescription est de six ans pour un délit, dix ans pour un crime.

Le calendrier s’allonge encore

Cette victoire d’étape rallonge encore la procédure judiciaire, qui dure déjà depuis près de vingt ans. Même si la Cour de cassation décide de ne pas transmettre la question au Conseil constitutionnel, l’audience sur le fond de l’affaire n’aura pas lieu avant le printemps prochain au minimum.

"Certains vont râler et nous dire que ça fait perdre du temps", reconnait Christophe Lèguevaques. En effet, les parties civiles sont nombreuses dans ce dossier et ne misent pas toutes sur la même stratégie : certaines préfèreraient que l’affaire soit jugée en appel rapidement, car les victimes ont déjà assez attendu. "Il vaut mieux aller à la bataille avec une armure solide plutôt qu’avec un bouchon en liège, répond Christophe Lèguevaques. Cette procédure renforce la démarche des parties civiles qui est de faire triompher la vérité et d’avancer sur le chemin des réparations."

Une autre QPC, qui concernait la responsabilité de l’État dans l’affaire, n’a pas été transmise à la Cour de cassation. La cour d’appel a considéré que le Conseil constitutionnel avait déjà répondu sur ce point.