Y aura-t-il un nouveau procès dans l’affaire du chlordécone ? La réponse est renvoyée à plus tard. Après 17 ans de procédure, le dénouement juridique de l’empoisonnement des Antilles s’éloigne encore. Le pesticide, utilisé de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon de la banane, contamine durablement les sols et l’eau. Aujourd’hui, on retrouve des traces de chlordécone dans le sang de 90% des adultes de Martinique et de Guadeloupe.
Alors que la justice a rendu un non-lieu en janvier 2023, les parties civiles espèrent casser cette décision et relancer l’enquête pour qu’à terme se tienne un nouveau procès. C’était tout l’enjeu de l’audience qui s'est tenu lundi 10 juin devant la cour d’appel de Paris. Mais à l’issue des débats, point de réponse. Au contraire : de nouvelles étapes viennent s’ajouter à la procédure, déjà particulièrement longue.
Prochain rendez-vous le 22 octobre
Deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été déposées par les parties civiles. Ce dispositif juridique permet de contrôler la constitutionnalité d’une loi avant un procès. L’une concerne la responsabilité de l’État dans l’affaire, l’autre la caractérisation du crime d’empoisonnement en droit français. Aujourd’hui, pour que l’empoisonnement soit reconnu, il faut prouver que l’empoisonneur avait l’intention de tuer. Maître Christophe Lèguevaques, l’un des avocats des parties civiles, demande à assouplir le critère de définition, en caractérisant l’empoisonnement par le simple fait que l’empoisonneur connaissait la dangerosité du produit.
La cour d’appel se réunira à nouveau le 22 octobre 2024. Elle décidera alors de transmettre ou non les questions des parties civiles à la Cour de cassation, qui devra elle-même renvoyer ou non les questions au Conseil constitutionnel. Ce dernier aura ensuite un mois pour rendre une décision.
Dans les deux cas, que la cour d’appel accepte de transmettre les QPC ou non en octobre prochain, la décision sur le non-lieu n’arrivera pas avant de longs mois. "Pas avant 2025", estiment les avocats dans la salle des pas perdus.
Des stratégies diverses
Certains représentants des parties civiles avaient demandé à fixer un nouveau rendez-vous. C’est notamment le cas de l’avocate Virginie Mousseau, qui considère que le délai était trop court entre l’annonce de la date de l’audience de ce 10 juin et l’audience elle-même. Mais les avocats des parties civiles sont une quinzaine et tous ne misent pas sur la même stratégie.
Critique vis-à-vis des "acrobaties juridiques" de certains de ses confrères, Harry Durimel, actuel maire de Pointe-à-Pitre et avocat historique dans ce dossier, espère au contraire voir la procédure avancer. Car si la cour d’appel maintien le non-lieu, il sera toujours possible de se pourvoir en cassation. "Je suis amer. En retardant ce passage devant la cour suprême de France, on contrecarre notre propre soif de justice, estime-t-il. On n’a pas peur de la décision de la cour, on l’attend, on en a soif."
On tourne en rond. On veut justice, vite ! Nous sommes les victimes, nous sommes des gens empoisonnés. On ne peut plus attendre.
Harry Durimel, avocat des parties civiles.
Louis Boutrin représente l’Association pour une Écologie Urbaine. L’avocat martiniquais considère qu’après plus de 15 ans de procédure, la justice a démontré son incompétence dans le dossier. Pour lui, il est temps de dessaisir la justice française et de se tourner vers la justice internationale. "Nous avons droit à un procès impartial, devant une juridiction indépendante, rappelle l’avocat. Nous souhaitons épuiser rapidement les recours pour saisir les autorités internationales." Un hypothétique horizon qui s’éloigne encore.