VIDÉO. Francophonie en mode plurilingue [Outre-mer et si on bougeait les lignes ?]

33 ans après le Sommet du Palais de Chaillot à Paris, la France a accueilli début octobre un nouveau sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts, le troisième de son histoire. L’occasion pour le Président Emmanuel Macron de donner sa vision de la Francophonie. "Une cité solidaire de plus de 330 millions d’âmes". Mais la Francophonie c’est aussi une organisation internationale -OIF- qui rassemble 93 États et régions un peu partout dans le monde, dans lesquels, la langue française cohabite avec nombreuses autres langues. Une situation que l’on retrouve dans les Outre-mer.

La Francophonie pour un Ultramarin c’est de parler le français de son territoire d’origine en cohabitation avec sa langue maternelle, et de se retrouver confronté au français de l’extérieur quand on quitte son territoire. C’est en substance la définition donnée par la Martiniquaise Corinne Mencé-Caster, professeure de linguistique hispanique et romane à l’université de la Sorbonne et ancienne présidente de l’Université des Antilles.

En effet, les Ultramarins sont tous confrontés à au moins deux langues dès leur plus jeune âge. Ce bilinguisme est cependant loin d’offrir les mêmes réussites à tous. Pour l’écrivain et éditeur réunionnais Jean-François Samlong, la langue française, langue officielle de la nation n’a pas donné à tous les résultats attendus. Il met en avant le taux alarmant d’illettrisme : "plus de 120.000 personnes sont illettrées à La Réunion" selon Jean-François Samlong.

Jean-François Samlong, Écrivain et éditeur

Espace francophone et territoires ultramarins

La langue française comme dénominateur commun à tous les membres de l’espace francophone, soit 93 Etats et régions, dont deux collectivités françaises ultramarines qui ont rejoint l’organisation, la Nouvelle-Calédonie en 2016 et la Polynésie française lors de ce 19ème sommet.

La Polynésie est désormais membre observateur de l’organisation internationale de la Francophonie, une candidature soutenue par le président Moëtai Brotherson. Une surprise pour certains, mais pas pour le président qui fait la différence entre "la France et la Francophonie". Pour Sarah Teriitauhimau, déléguée de la Polynésie à Paris, cette adhésion est aussi l’occasion pour le territoire de "s’ouvrir vers d’autres opportunités d’échanges notamment économiques" ; que ce soit dans leur environnement immédiat de l’Océanie ou ailleurs comme en Afrique.

Sarah Teriitaumihau, Déléguée de la Polynésie française à Paris

Décoloniser la Francophonie

Aujourd’hui, pour beaucoup de défenseurs des langues maternelles comme le Créole, la Francophonie reste un instrument destiné à préserver la prééminence de la langue française sur les langues régionales. Une position que partagent Jean-François Samlong et Corinne Mencé-Caster. Selon eux, cet espace devrait permettre la mise en avant du plurilinguisme ; "en décolonisant la Francophonie pour lui enlever ce qu’elle comporte de négatif" affirme Corinne Mencé-Caster. Sur ce point, Jean-François Samlong ne dit pas autre chose ; il rejoint et soutient par ailleurs la position de la présidente de la Région Réunion Huguette Bello qui souhaite "croire en l’avenir de la Francophonie, véritablement anti-impérialiste et décoloniale".

Faire vivre les langues maternelles

Après des années où les langues maternelles étaient marginalisées, où parler sa langue de naissance était presque tabou, un certain engouement vers la pratique de ces langues renaît, notamment en Polynésie où les langues maternelles sont bien présentes dans tous les champs de la vie quotidienne. Une prise de conscience soutenue par le gouvernement du pays et par les associations souligne Sarah Teriitauhimau, prenant l’exemple de l’art Orero, cet art oratoire qui attire de nombreux jeunes.

Corinne Mancé-Caster, Professeure de linguistique hispanique et romane, à l'Université de la Sorbonne, ancienne présidente de l'Université des Antilles

Face à la déferlante des industries culturelles américaine, chinoise ou indienne, véhiculées par les plateformes et les réseaux sociaux, la résistance est réelle selon Corinne Mencé-Caster. Pour elle, une fois passé l’effet de mode, les Ultramarins ressentent le besoin d’un retour aux sources.

Francophonie et économie

En s’adressant directement aux jeunes pour les inciter à utiliser la langue française plutôt que l’anglais pour "entreprendre et commercer", Emmanuel Macron s’expose aux critiques des défenseurs des langues régionales. Corinne Mencé-Caster estime ainsi qu’il serait plus judicieux de parler "des francophonies" et pas de "francophonie", avec l’idée d’intégration notamment des 56 langues régionales ultramarines.

Par ailleurs, la recherche désormais prioritaire de partenariats et de retombées économiques pour les membres de l’espace francophone risque de prendre le pas sur la coopération culturelle entre eux. Ainsi Sarah Teriitaumihau explique que la Polynésie veut élargir et diversifier ses partenaires économiques qui dans leur immense majorité dans le Pacifique sont anglophones.

Des Ultramarins à la tête de la Francophonie

Quelques jours avant le sommet de Villers-Cotterêts, le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi a été nommé Secrétaire d’État à la Francophonie et aux partenariats internationaux. Il est le 4ème Ultramarin à détenir le portefeuille de la francophonie depuis la création de ce ministère en 1986.

Les invités de l’émission :

  • Corinne Mencé-Caster, Professeure de linguistique hispanique et romane, à l’Université de la Sorbonne, et ancienne présidente de l’Université des Antilles.
  • Sarah Teriitaumihau, Déléguée de la Polynésie française à Paris.

EN DUPLEX depuis la Guyane :

  • Jean-François Samlong, Écrivain et éditeur

Une émission présentée par Siti Daroussi
Rédacteur en chef : Didier Givodan
Production : Pôle Outre-mer de France Télévisions
Durée : 52 minutes - © 2024