La succession des crises a conduit certains titres au dépôt de bilan, d’autres en redressement ou liquidation judiciaire ; conséquence, le nombre de journalistes dans la presse écrite Outre-mer a baissé.
Plusieurs causes expliquent la situation actuelle dans les territoires ultramarins, entre autres, le coût du papier (passée de 400 euros à 800 euros la tonne en deux ans), la perte des lecteurs et la concurrence féroce des médias en ligne. Conséquence, les titres voient baisser leur vente, baisse de la publicité, donc, moins d’entrées d’argent ; c’est une succession de crises vécue sur l’ensemble du territoire, particulièrement dans les Outre-mer.
Moins de lecteurs, baisse du nombre de journalistes
Le Quotidien de la Réunion est à vendre, Le journal de l’île de La Réunion (Le Jir) en redressement judiciaire, le groupe Melchior, propriétaire entre autres des Nouvelles de Calédonie est en liquidation judiciaire, la Dépêche de Tahiti n’existe plus en version papier. Pas de quotidien papier en Guyane et à Mayotte. Une hécatombe, prévisible ; la chute des ventes s’est faite de manière régulière ces dernières années. "Nous avons sans doute prêché par naïveté", selon Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale.
L’engouement pour la presse écrite papier se perd d’année en année ; un phénomène mondial. Dans les Outre-mer français, la chute des ventes en est la traduction concrète. Dans les années 2008-2009, Le Quotidien de La Réunion est passé de 30 000 exemplaires à moitié moins aujourd’hui entre 12 000-15 000 exemplaires.
On assiste depuis 10 ans à une baisse générale du nombre de journalistes. De 2013 à 2023, la baisse est de 7,32% au niveau national, selon les chiffres communiqués par la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). Sur la même période, la baisse s’établit à près de 21,81% dans les Outre-mer. Si on regarde le nombre de cartes délivrées pour la seule presse écrite en 4 ans, de 2020 à 2023, la baisse est de 35% dans les Outre-mer.
Pour Edouard Marchal, journaliste depuis plus de vingt ans au sein de la rédaction et délégué syndical SNJ "ce n’est pas un divorce entre les lecteurs et la presse écrite". Le Quotidien de La Réunion est en liquidation cession, pour l’heure aucun repreneur ne s’est manifesté. Mais avec la subvention de 600 000 euros reçue du Conseil régional, le titre poursuit encore ses activités. Mais d’ici le 29 février si aucun repreneur ne se manifeste, le titre disparaîtra. L’autre titre historique de La Réunion "le Journal de l’île" est en difficulté également ; il est placé en redressement judiciaire depuis le 10 janvier. Les journalistes gardent encore l’espoir d’une reprise.
Le retour de France Antilles grâce à Niel
France Antilles a connu des difficultés similaires il y a encore quelques années. Mais le rachat du titre par Xavier Niel a permis un nouveau départ ; l’homme a investi notamment sur deux impressions numériques en Martinique et en Guadeloupe. Une nouvelle étape qui permet au groupe de "diversifier ses activités, avec l’impression de titres nationaux sur place. L’investissement a coûté 12 millions d’euros, avec une aide publique à hauteur de 50%", souligne Béatrice Cléon, directrice générale France Antilles.
Modèle économique fragile
Le modèle économique basé sur les ventes, la publicité, les petites annonces doit évoluer. Une nécessité surtout, face à la concurrence des journaux en ligne, et des différents moteurs de recherche et autres services d’application. Les Outre-mer restent un marché restreint, qui contraint le développement de la presse. La baisse des recettes publicitaires, le coût de production, l’augmentation du prix de l’énergie, autant d’éléments qui participent au recul de la presse écrite sur ces territoires.
L’avenir s’inscrit résolument dans la prise en compte des nouveaux outils, comme ChatGPT, qu’il faut apprivoiser et utiliser à bon escient. Un point qui sera sans doute abordé tout comme celui du pluralisme lors des Etats généraux de l’information lancés l’année dernière par le Président de la République. "La fragilisation économique et la crise de confiance en la presse font peser un vrai risque sur la démocratie et le pluralisme" selon la commission d’enquête sur la concentration des médias en France dans un rapport publié en mars 2022.
Les aides à la presse
Plusieurs types d’aides à la presse existent ; qu’elles soient directes ou indirectes, elles s’élèvent en 2021, à 367 millions d’euros. Une aide spécifique aux Outre-mer a été fléchée ; deux millions d’euros en faveur de 14 bénéficiaires ultramarins. "Insuffisant" pour Edouard Marchal qui dénonce une inégalité de traitement des fonds interministériels de la communication entre les titres ultramarins et ceux de l’Hexagone ; il explique par exemple que "Le Quotidien n’a pas perçu l’aide dédiée aux surcoûts du papier".
Pour l’ensemble des acteurs, il faut considérer les difficultés spécifiques aux Outre-mer dans l’attribution des aides.
Le rapport de 2022 de la Commission d’enquête sénatoriale portant sur la concentration des médias en France préconise la révision des conditions d’octroi des aides au pluralisme et à la modernisation en prenant en compte la situation financière des groupes auxquels les titres candidats sont rattachés. Une préconisation qui a les faveurs des acteurs de la presse ultramarine et de l’Alliance de la presse d’information générale.
L’avenir passe par les jeunes
Parmi les lecteurs : les jeunes ; ils s’intéressent moins que les générations précédentes. Les jeunes s’informent avec d’autres canaux, notamment le numérique.
Depuis plus de 40 ans, le centre pour l’éducation aux médias et à l’information -CLEMI- va à la rencontre des jeunes dans les établissements scolaires avec sa semaine de la presse et des médias à l’école. Pour Virginie Sassoon, "la mission première du CLEMI est de développer le goût des jeunes pour les médias". Différentes actions sont menées à cette occasion en partenariat avec des titres régionaux où les élèves peuvent échanger avec les professionnels. Pour la 35e édition, du 18 au 23 mars, le centre pour l’éducation aux médias et à l’information a choisi comme thématique "l’info sur tous les fronts" comme l’année dernière. Quatre nouveaux axes sont déclinés dont des questions liées aux défis de l’intelligence artificielle ou encore la place des enjeux climatiques et écologiques dans le paysage médiatique.
Enfin, après la Guyane en 2023, Mayotte sera, les 15 et 16 février au cœur du tour de France de l’EMI, éducation aux médias et à l’information, ce dispositif déployé tout au long de l’année en partenariat avec France Télévisions.
Les invités de Siti Daroussi :
En plateau :
Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale
Virginie Sassoon, directrice adjointe du CLEMI, centre pour l’éducation aux médias et à l’information
En duplex depuis la Martinique :
Béatrice Cléon, Directrice générale France Antilles
En duplex depuis La Réunion :
Édouard Marchal, journaliste et délégué syndical SNJ au Quotidien de La Réunion
Retrouvez tous les thèmes évoqués dans l'émission Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?
Une émission présentée par Siti Daroussi
Rédacteur en chef Didier Givodan
Production Pôle Outre-mer de France Télévisions
Durée 52 minutes - © 2024