VIDÉO. Les langues Outre-mer, un combat culturel et politique [Outre-mer et si on bougeait les lignes ?]

75 langues ont été recensées sur l’ensemble du territoire français. Parmi elles, 54 sont en usage en Outre-mer selon le linguiste Cerquiglini. Ces dernières années, la question des langues régionales notamment celles des Outre-mer revient souvent dans le débat, avec des revendications autant dans l’enseignement que dans la sphère politique. En écho à la journée internationale de la langue et de la culture créoles, l’émission revient sur le débat autour des langues régionales et de leur place au sein de la nation.

La constitution affirme dans son article 75-1, que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Les territoires d’Outre-mer sont caractérisés par une grande diversité de langues de tradition orale. Dans ces sociétés plurilingues, les situations sont différenciées. Selon les territoires, l’apprentissage des langues locales est plus qu’une réalité, alors que sur certains, la cohabitation du français et des langues régionales s’avère difficile.


Si progressivement, l’école s’ouvre aux langues et culture des élèves, et donc à l’environnement, il reste encore beaucoup à faire selon Véronique Bertile, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux, et membre de l’association des juristes en droit des Outre-mer. La France est en droit, un pays monolingue selon l’article 2 de la Constitution, "la langue de la République est le français". Mais la loi Molac, votée en avril 2021, donne plus de latitude aux régions pour agir à travers la signature de conventions entre l’État et les collectivités. Toutefois, cette loi sous-entend un enjeu financier, dès lors que l’État se désengage sur cette question et renvoyant la balle du côté des régions.

Des dispositifs mis en œuvre

Même si l’Etat s’en lave les mains, des actions et des expérimentations sont menées dans des écoles, avec parfois des classes entièrement bilingues comme en Guyane. Une situation inimaginable il y a encore quarante ans pour le député Davy Rimane et l’écrivain et militant de la cause Créole Raphaël Confiant. Il y a quarante ans, parler le créole ne serait-ce qu’à la maison était interdit, souligne le député Rimane, cosignataire d’une proposition de loi sur « la protection des langues régionales en incluant leur apprentissage dans le tronc commun des programmes d’enseignement », porté par le député de La Réunion Frédéric Maillot. Une proposition saluée par Raphaël Confiant, heureux de constater que la jeune génération prend les choses en main, ce qui selon lui « nous évitera (peut-être) de subir ce que les habitants d’Hawaï ont vécu ». En effet, sur cet archipel américain, les langues régionales ont disparu au profit de l’anglais.

Le cas de la Polynésie

La Polynésie française fait figure de bonne élève avec son programme dédié dès le plus jeune âge. Près de 18 classes sont bilingues à parité horaire, français-tahitien. Il y a les outils pédagogiques, une cellule dédiée pour la création des supports, les enseignants sont formés, et surtout une académie. Pour Véronique Bertile, la Polynésie est un bon exemple, toutefois, si cette problématique des langues est prise à bras-le-corps sur le territoire, c’est qu’il s’agit d’une volonté politique locale. C’est le gouvernement du pays, qui a la mission régalienne sur ce sujet. Et l’actuel gouvernement veut intégrer les chants traditionnels dans les pratiques éducatives et les différents évènements culturels qui existent.

De moins en moins de locuteurs

L’usage des langues régionales et des dialectes régresse sur certains territoires. À La Réunion, le créole est parlé plus fréquemment que dans les autres Drom, mais "en moins dix ans, sa pratique a diminué, surtout dans la sphère professionnelle" (INED 2022). Si la pratique du créole est courante, elle est en léger recul un peu partout. La langue créole, est langue usuelle pour "17% des natifs de Guadeloupe, 9% pour la Martinique, 6% pour la Guyane, et 29% pour La Réunion" (INED 2022). Sur l’ensemble de ces Drom, les jeunes (18-24 ans) soutiennent l’idée d’une vraie politique pour valoriser et préserver les langues régionales. Son enseignement à l’école est approuvé par plus de "92 % des jeunes en Martinique, 49% à La Réunion, et 97% en Guadeloupe" (INED 2022).
Moins il y a de locuteurs, plus les chances d’extinction sont réelles ; selon l’atlas des langues en danger, en 2011, des menaces réelles pèsent sur 17 langues des Outre-mer. Certaines sont en situation critique comme l'arhö en Nouvelle-Calédonie et le galibi en Guyane ; les dialectes des îles australes sont aussi en danger tout comme le rapa et le tuamotuan, deux langues polynésiennes. On compte au moins un dialecte éteint, c’est le sîshee en Nouvelle-Calédonie.

Les langues régionales, instrument politique

Les langues demeurent une question très politique pour l’État et les régions. Le président de la République Emmanuel Macron a souhaité en faire un marqueur pour son deuxième mandat avec la "Cité internationale de la langue française et aux cultures francophones au château de Villers-Cotterêts". Trois ans de travaux et près de 210 millions d’euros ont été nécessaires pour mener à bien ce projet. Mais des voix s’élèvent pour pointer la dénomination même de la Cité. La présidente de la Région Réunion, Huguette Bello aurait ainsi préféré que l’on parle de la "Cité des langues de France". Un point de vue partagé par Véronique Bertile, Davy Rimane et Raphaël Confiant.

Pour d’autres élus, cette question de la langue revêt une revendication identitaire. En Martinique, après avoir entériné le choix d’un drapeau pour leur territoire, les élus ont franchi une autre étape en délibérant le 25 mai dernier 2023 pour mettre le créole martiniquais au même niveau que le français. Faire du créole, une langue officielle. Le préfet de région a attaqué la délibération au Tribunal administratif. Il a été débouté le 4 octobre. Pour Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la CTM, la délibération prise, n’est nullement une provocation. "C’est une main tendue".
La juriste Véronique Bertile insiste que la défense des langues régionales est à regarder sous l’angle des droits des habitants des Outre-mer, et cela dans tous les domaines. Pour elle, il est important qu’une personne qui se rend chez le médecin puisse se faire comprendre sans faire intervenir une tierce personne.

Comment sortir de cette impasse ?

Les revendications des Outremers font face à un obstacle : la Constitution. Pour Ferdinant Melin-Soucramanien, professeur de droit public à l'université de Bordeaux et constitutionnaliste, pour faire sauter le verrou, il faut faire réviser la constitution.
Raphaël Confiant souligne par ailleurs que la France a certes signé la charte des langues régionales de l’Europe, mais ladite charte n’a toujours pas été ratifiée. Ce combat est donc légitime.

Siti Daroussi anime le débat "Les langues Outre-mer, un combat culturel et politique" dans l'émission Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?

Les invités de Siti Daroussi :

En plateau :

Véronique Bertille (à gauche) et Davy Rimane (à droite) sont les invités de Siti Daroussi sur le plateau d'Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?

Véronique Bertile, maître de conférences en droit public, université de Bordeaux, membre de l’association des juristes en droit des Outremer.

Davy Rimane, député et président de la Délégation Outremer à l’Assemblée nationale

En duplex :

Raphaël Confiant intervient en duplex depuis Fort-de-France dans l'émission Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?

Raphaël Confiant, écrivain, et militant de la cause créole

Une émission présentée par Siti Daroussi
Rédacteur en chef Didier Givodan
Production Pôle Outre-mer de France Télévisions
Durée 52 minutes - © 2023