Violences faites aux femmes en Outre-mer : "Les associations réclament des actions concrètes", souligne Justine Benin

Justine Bénin et Gérald Darmanin en discussion, après la passation de pouvoirs entre Jean-François Carenco et Philippe Vigier au ministère des Outre-mer, le 21 juillet 2023.
L’ancienne députée guadeloupéenne a été nommée au gouvernement pour lutter contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer. Elle doit commencer jeudi 14 septembre une série de déplacements dans les territoires ultramarins, en commençant par les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Outre-mer la 1ère l'a rencontrée avant son départ.

En 2022, 13 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint dans les départements et collectivités d'Outre-mer. L'année précédente, elles étaient dix. L'année encore d'avant, cinq. Face au fléau des féminicides, des violences conjugales et des violences sexuelles que subissent nombre de femmes vivant dans les territoires éloignés de l'Hexagone, le gouvernement a créé une mission de coordination interministérielle contre les violences faites aux femmes en Outre-mer au mois de juillet.  À sa tête, il a nommé l'ancienne députée guadeloupéenne Justine Benin.

Sur son bureau du ministère des Outre-mer, à Paris, se dresse l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) intitulé "Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer", un des premiers rapports à s'être penché sur la question spécifique des femmes ultramarines en 2017. Jeudi 14 septembre, Justine Benin s'apprête à partir dans la Caraïbe pour son premier déplacement. Avant de s'envoler pour Saint-Martin, elle a accordé un entretien à Outre-mer la 1ère.

Outre-mer la 1ère : Vous avez été nommée coordinatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en Outre-mer au mois de juillet. En quoi consiste ce nouveau rôle ?

Justine Benin : Ce rôle consiste non pas à faire de la figuration, mais bien à travailler en lien avec l'ensemble des associations d'aide aux victimes, l'ensemble des réseaux d'association de proximité, et l'ensemble des acteurs : procureurs, police, gendarmerie et autres. Mais surtout d'être aux côtés des victimes.

Beaucoup d'état des lieux ont déjà été effectués. Par le CESE en 2017, par le sénateur Magras en 2020... Les problèmes, nous les connaissons. Les chiffres, tout le monde les connaît. Aujourd'hui, il s'agit pour nous de coordonner, de piloter efficacement, d'être dans une certaine cohésion, faire de la cohérence d'action avec les acteurs autour de projets communs qui aident à l'autonomisation des femmes victimes. Mais aussi piloter un observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes en Outre-mer.

Pourquoi y avait-il besoin d'un rôle spécifique pour s'attaquer aux violences faites aux femmes en Outre-mer ?

C'est important, et les chiffres nous l'attestent. Au niveau de l'Hexagone, ils baissent. Et, je dois le dire, je suis malheureuse de savoir qu'il y a autant de violences faites aux femmes en France. Normalement, nous n'aurions pas dû avoir ces chiffres. En revanche, en Outre-mer, les chiffres augmentent significativement. En Guyane, en Nouvelle-Calédonie, à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et ailleurs. La mission a le mérite d'exister. Et pour ce faire, je vais travailler au cœur des territoires, aller à la rencontre de l'ensemble des bénévoles, des hommes et des femmes engagés aux côtés des victimes pour donner un peu de cohérence et être dans des actions concrètes.

Vous devez "faire des propositions" pour lutter contre les violences sexuelles et conjugales que subissent les femmes dans les Outre-mer. Quelle forme prendront ces propositions ? Un projet de loi ? Des décrets ? Une simple feuille de route ?

Des rapports ont déjà été effectués. Il y a beaucoup de dispositifs, qu'il faudra bien sûr évaluer. Aujourd'hui, à charge pour celle que je suis de partir de ce qui se fait, et de ce qui se fait bien, avec les associations d'aide aux victimes, avec les réseaux des travailleurs sociaux, avec les référents qui se situent au niveau des services des urgences, dans les hôpitaux.

Je me dois de présenter un pré-rapport d'ici fin décembre, et un rapport d'ici juin. Mais je souhaite qu'entre le moment où je vous parle et juin 2024, que nous puissions mettre en œuvre des actions concrètes. Aujourd'hui, les associations nous disent : "Il faut des actions concrètes, vous venez pour nous écouter, certes, mais il faut nous entendre".

Aurez-vous un budget, des fonds à proposer aux associations si elles en ont besoin ?

Nous verrons cela en temps utile.

L'année dernière, 118 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France. 13 d'entre elles l'étaient dans les territoires ultramarins. Le nombre de féminicides ne fait qu’augmenter ces dernières années en Outre-mer. Comment faire pour lutter contre ce fléau ?

C'est difficile. Vous rappelez un sujet alarmant, vous rappelez un sujet de violences assez douloureux pour l'ensemble des familles. Il est important que nous puissions être ensemble avec les associations d'aide aux victimes, les réseaux d'association de proximité, police, gendarmerie. Il faut un travail de fond, aller au cœur des territoires, partir même de la sociologie. Je milite pour qu'on travaille avec des anthropologues, des psychologues dans le cadre de la formation des aidants. Il y a tant à faire.

De nombreux dispositifs existent en France pour accompagner les femmes victimes de violences. Est-ce que ces dispositifs, comme le téléphone grave danger ou l'aide d'urgence, sont suffisamment disponibles dans les territoires d’Outre-mer ?

Il y a des dispositifs. Vous faites état du téléphone grave danger, vous faites état des hébergements d'urgence, des CHRS [Centre d'hébergement et de réinsertion sociale, NDLR], du 3919... Mais nous savons aussi qu'il y a des problèmes linguistiques, par exemple. Nous verrons bien au niveau des territoires ce qu'il va en ressortir. Est-ce que le 3919 [est adapté] ? Est-ce qu'il y a assez d'hébergements d'urgence en CHRS, dans les hôtels, les appartements d'urgence ? Et puis, s'agissant du téléphone grave danger, où est-ce que nous en sommes ? Nous verrons cela. Ce sont des sujets majeurs. C'est là le cadre de la mission que j'occupe actuellement.

Vous allez entamer une tournée dans les territoires d'Outre-mer. Pourquoi avoir choisi de commencer par Saint-Martin ? Qu'allez-vous y faire ?

À Saint-Martin, il y a des projets, il y a des associations qui fonctionnent. Le président [de la collectivité] Louis Mussington a souhaité me rencontrer pour qu'on puisse mettre à plat ce qui fonctionne, mais voir aussi les problèmes linguistiques du 3919, la faisabilité d'une Maison des femmes au niveau de Saint-Martin, etc. Il y a des difficultés. Les acteurs ont été assez enjoués de savoir que je me rendais sur ce territoire-là.