Virginie Chaillou, l'universitaire nantaise dont la nomination à La Réunion fait polémique, dénonce un climat "nauséabond"

Après plusieurs mois de polémique sur la nomination du successeur de Fudel Fuma à l'Université de La Réunion, l'enseignante "nantaise" qui a été choisie pour ce poste sort de son silence. Elle dénonce une polémique nauséabonde. Interview.
L'histoire de l'esclavage doit-elle être enseignée à l'université de La Réunion uniquement par des professeurs réunionnais ? C'est la question que pose Virginie Chaillou-Atrous, qui sort de son silence après plusieurs mois de polémique concernant la nomination du successeur de Sudel Fuma à l'université de La Réunion en tant que maître de conférence  "Histoire de l'esclavage, de l'engagisme et de l'économie des colonies dans les îles du Sud-Ouest de l'océan Indien aux 18è et 18è siècles".

La nomination de cette enseignante est pour l'instant suspendue par le tribunal administratif pour un vice de forme. Cette nomination a été dénoncée par le Crefom et plusieurs associations, puis une pétition de soutien à sa nomination a été lancée il y a quelques semaines. Cette universitaire explique se sentir discriminée. Interview.

La1ere -  Pourquoi avez-vous décidé de sortir aujourd'hui du silence ?
Virginie Chaillou-Atrous - Si je sors du silence aujourd'hui c'est que je pense que cette histoire dépasse un simple combat pour un poste. Je suis absolument convaincue qu'il faut que l'Histoire puisse être écrite des quatre coins du monde et surtout qu'elle puisse être écrite par tous ses protagonistes. Des grands spécialistes de l'Histoire de France sont des Américains, des Français sont nombreux à avoir travaillé sur l'Histoire de l'Inde.

Derrière cette affaire, il y a un autre problème : il se passe en ce moment à La Réunion quelque chose de nauséabond. Je pense que cette question de la préférence régionale est un faux débat et que c'est anticonstitutionnel. Je ne nie pas qu'il y a aujourd'hui à La Réunion des difficultés économiques et sociales, que l'emploi pour les jeunes est compliqué. Mais vouloir à tout prix mettre des Réunionnais sur des postes et diviser la société réunionnaise, cela ne règle pas ce problème.

Vous sentez-vous discriminée ?
Oui, bien sur. On veut me faire croire qu'il y a un simple vice de procédure contre lequel on se bat. Dans ce cas je pose la question : pourquoi dans la presse locale et nationale on parle de "la Nantaise" ? Pourquoi avoir parlé de mon origine ? Pourquoi avoir lancé une campagne de presse ? (...) Quand le professeur Prosper Eve publie un poème après ma nomination dans lequel il parle des "Exogènes" et des "néo-colonialistes"  en disant qu'il faut s'en méfier comme de la peste, je me demande ce qu'il peut enseigner dans son amphithéâtre ? C'est, pour moi, proner une incitation à la haine raciale et une division de la société.

Je suis étonné que la ministre qui a la responsabilité de l'enseignement n'intervienne pas contre ce genre de propos.

Où en est votre dossier ? Allez-vous renoncer ?
Le ministère comme le rectorat a validé la procédure de nomination. A La Réunion on crie au complot, mais cela voudrait dire que je serais bien influente !  Ma nomination a été validée par un comité scientifique dont je ne connaissais aucun des membres. Elle a également été validée par un conseil scientifique à l'Université de La Réunion, un conseil d'administration, le président de l'université, le recteur de La Réunion et le ministère.

Et pourtant des associations comme le Crefom ont écrit des courriers pour dénoncer "un génocide culturel", afin d'invalider ma nomination. S'il y avait vraiment eu un vice de procédure, le ministère qui était au courant de toute cette histoire, aurait, je pense, coupé court. Or le ministère a validé ma nomination, j'ai reçu un avis d'affectation.

Aujourd'hui j'ai peu de contacts avec le ministère. Je crois que cette affaire dérange profondément. Il faudrait une intervention du gouvernement. Mais la période électorale dans laquelle nous sommes n'est peut-être pas la plus propice.

Je ne renoncerai pas. Au delà du poste, il y a bien d'autres enjeux et il faut combattre la malhonnêteté intellectuelle. Mon seul tort est d'avoir passé un concours pour un emploi sur lequel je pense que j'avais des qualifications puisque j'ai un doctorat et que je travaille depuis quinze ans sur l'histoire de l'océan Indien et de La Réunion. Je n'ai pas envie de céder à cette pression parce que cela ferait jurisprudence. Si aujourd'hui des associations comme le Crefom ou Rasin Kaf ou le Cran peuvent intervenir dans le recrutement des universitaires, cela veut dire qu'à Nantes des associations bretonnes peuvent intervenir pour le recrutement d'un Nantais. Cela rime à quoi ? L'université c'est l'ouverture sur le monde. (...)

Vous comprenez que ce poste qui était celui de Sudel Fuma est un symbole pour La Réunion ?
Oui, je sais que Sudel Fuma, que j'ai connu, était une figure locale. Il a combattu pour faire connaitre l'histoire de son île, une histoire différente de celle qu'on a bien voulu inculquer aux Réunionnais pendant des années. (...) Je comprends cette symbolique. Mon intention était de contribuer à la meilleure connaissance de l'homme réunionnais et cela s'inscrivait dans la continuité des travaux de Sudel Fuma. J'ai été la première à travailler sur les engagés africains. Quand je suis arrivée à La Réunion dans les années 2000, lorsque j'évoquais les engagés africains, on me disait que les engagés étaient uniquement indiens et asiatiques. Mes travaux ont ouvert un autre pan de l'histoire réunionnaise : il a existé des Africains qui sont arrivés à La Réunion qui ne portaient pas les stigmates de l'esclavage. Ils arrivaient sous un autre système juridique. 

Donc mon combat consiste à faire connaitre cette histoire, y compris dans l'hexagone.

Que dites vous aux protagonistes de ce dossier ?
Je leur fait passer un message de paix et de cohésion sociale. Ils ont raison de lutter pour que les Ultramarins accèdent aux mêmes droits que les autres, mais empêcher une enseignante de prendre son poste pendant plus d'un an, c'est finalement nuire aux étudiants, à l'enseignement. Or aujourd'hui, les étudiants ont besoin de pouvoir progresser, pour pouvoir accéder à des postes à La Réunion ou dans l'hexagone. 

Ils se trompent de cible et de combat. C'est dangereux car cela a relancé quelque chose de nauséabond à La Réunion.

Vous avez encore bon espoir ?
Je crois aux lois de la République, à l'honnêteté des hommes. Ai-je espoir de prendre un jour mon poste à La Réunion ? Oui, peut-être. J'avais très envie de travailler là bas, de pouvoir transmettre à des étudiants ce que j'ai pu apprendre. 


Interview intégrale à écouter ici