Wroclaw alias Breslau. La capitale de la Basse-Silésie, assume tout à la fois sa nostalgie hanséatique et son patriotisme polonais, son passé allemand et son identité européenne. Dès 1890, du nickel calédonien alimente une usine proche des rives de l'Oder rappelle le géologue Jakub Kierczak.
À Wroclaw, on n’échappe pas à l’histoire. Sept siècles durant, Breslau fut allemande. À la fin de la seconde guerre mondiale, comme toute la Silésie, elle devint polonaise sous le nom de Wroclaw.
Et la population allemande fut expulsée. Depuis la fin du régime communiste, la ville et la région secouent leurs interdits et retrouvent une identité plurielle, européenne. En Allemagne comme en Pologne, une sorte de tabou a longtemps pesé sur la Basse-Silésie, comme sur toutes les régions anciennement prussiennes situées au-delà de la frontière Oder-Neisse. Cette époque est révolue, on se souvient désormais du passé commercial et industriel de la ville qui remonte à loin. « Wroclaw (Breslau) la capitale de la Silésie est née de quelques masures, sur une île de l'Oder vers 900. Des mariniers slaves vont ensuite diffuser sel, plomb, cuivre, charbon et argent dans toute l’Europe » rappelle le journaliste Dominique de La Tour. Les minerais sont extraits dès le moyen-âge depuis la région des monts Métallifères, les biens nommés. Le nickel sera découvert beaucoup plus tard et dans un seul endroit, au sud de Wroclaw (Breslau), par un géologue et ingénieur allemand de retour de Nouvelle-Calédonie. Une étonnante histoire minière et industrielle qui a passionné le géologue polonais Jakub Kierczak.
La faculté de géologie de Wroclaw-Breslau construite (en 1856), est une belle bâtisse imposante et entièrement restaurée après les destructions de 1945. La première impression ? L’environnement est calme et studieux. Dans les couloirs, des jeunes femmes au pas pressé côtoient des enseignants en jeans. Dans les salles de cours, on enseigne les matières premières, la géologie et la protection de l’environnement. En ce mois de mai, plusieurs travaux dirigés ont pour thème l’industrie minière en Nouvelle-Calédonie.
La grande terre de nickel suscite la curiosité des étudiants de l'institut des sciences géologiques. Certains d’entre eux partiront bientôt pour l'étranger même si, par ailleurs, la Pologne est le 5ème producteur mondial de cuivre : « À la fin de mes études, je pense aller en Australie et travailler pour une compagnie minière, ou un laboratoire de recherches des Sciences de la Terre et de l'Environnement, j'ai envie de découvrir cette partie du monde » indique Kasia Kadziolka, une étudiante de Jakub Kierczak.
Les futurs ingénieurs et géologues miniers, les prochains gestionnaires de la transition énergétique sont formés dans ces bâtiments. La mémoire se transmet, les étudiants polonais de Wroclaw assument leur filiation avec les géologues allemands d’autrefois, quand Wroclaw s’appelait Breslau. L’un d’eux, Adolphe Reitsch, de retour de Nouméa en 1880, découvre de l’or vert en Silésie, du nickel, comparable à celui de la Nouvelle-Calédonie : « il y a des millions d’années, le climat de cette région du sud de la Pologne était comparable à celui de la Nouvelle-Calédonie, le nickel s’est constitué dans des couches de serpentine, il est proche de certains minerais calédoniens » précise Jakub Kierczak dont la thèse a été présentée à l’université de Limoges.
C’est en arpentant le terrain, comme tout géologue aime le faire, que Jakub Kierczak l’actuel vice-doyen de la faculté des Sciences de la Terre de Wroclaw a pu confirmer les ressemblances du minerai silésien de Szklary avec le nickel calédonien qui fut importé ici, dès la fin du XIXème siècle. « Cette histoire est celle d’’Adolf Reitsch, un géologue de Breslau qui est allé en Nouvelle-Calédonie. De retour en Silésie, il recherche et découvre du nickel et fait construire une usine. Puis il importe du minerai calédonien pour enrichir le nickel local. La production va décupler. Le nickel est donc un lien évident, la géologie et l’industrie rapprochent la Silésie et la Nouvelle-Calédonie malgré la distance de 13.000 kilomètres » ajoute Jakub Kierczak.
Ce gisement de nickel situé à Szklary (Gläsendorf), à 80 kilomètres au sud de Wroclaw (Breslau), fut le seul de cette importance en Europe centrale. Il fut exploité dans une grande mine à ciel ouvert, puis dans une mine souterraine. Ce minerai à forte teneur, les géologues silésiens lui donneront le nom de « Garnieryt » en référence au minerai de nickel découvert par le géologue stéphanois Jules Garnier en Nouvelle-Calédonie. Une fonderie métallurgique est construite en 1889 et elle va produire un alliage de ferronickel jusque dans les années trente. Sauf pendant la Première Guerre mondiale, les concentrés de nickel seront importés de Nouvelle-Calédonie et mélangés aux minerais silésiens. Aujourd’hui encore, les scories métalliques sont visibles aux alentours de l’usine en ruine. Ce massif, couleur gris métal, contient donc du nickel extrait il y a près de 130 ans de la terre calédonienne.
La mine de nickel souterraine de Szklary comptait 120 kilomètres de galeries sur 5 étages et jusqu’à 150 mètres de profondeur. L’usine métallurgique ressemblait à celle de Nouméa, le géologue et métallurgiste allemand Adolf Reitsch s’en était inspiré. Aujourd’hui, le site minier silésien est une attraction touristique qui accueille près de 3 000 visiteurs, du mois de mai au mois de septembre. Les bâtiments administratifs de l’usine vont être rénovés, le projet prévoit la création d’un parc d’attraction consacré à la géologie minière de la région et à celle de la Nouvelle-Calédonie.
Les déchets métalliques, les scories de fer et de nickel bordent la route qui conduit à la frontière tchèque, tout proche. La barrière bleutée des monts Sudète souligne l’horizon. « Je ne suis pas étonné que dans ces vielles terres industrielles, on ait entendu parler très tôt du minerai calédonien. Que les métallurgistes de Breslau, le nom de Wroclaw à l’époque, aient trouvé que le minerai de Nouvelle-Calédonie était intéressant à utiliser en complément au nickel silésien ne m’étonne pas » conclut Philippe Chalmin, historien des matières premières et enseignant à l’université Paris-Dauphine.
Le minerai de nickel contenu dans les serpentines du Massif de Szklary (Gläsendorf) a été découvert en 1880. L’exploitation du gisement commence en 1889 et sera suivi de la construction d’une fonderie par la société métallurgique allemande « Gewerkschaft Schlesische Nickelwerke ».
Entre 1895 et 1918 une réorganisation donne naissance à la « Compagnie Silésienne des Mines », une société belge. Une nouvelle fonderie est construite. A la suite de l’épuisement du gisement contenant plus de 3% de nickel, les minerais plus pauvres sont mis à contribution. Pour assurer la rentabilité de la production du nickel et sauver l’usine silésienne, le minerai local est mélangé avec du minerai plus riche en nickel extrait en Nouvelle-Calédonie. L’industriel allemand Théodore Fleitmann, associé de la SLN calédonienne, assure la répartition des minerais de nickel entre la Ruhr et la Silésie. En 1918, après la première guerre mondiale, le développement de l’industrie métallurgique s’enraie. La mine puis la fonderie de Szklary sont fermées en 1920. En 1934, une nouvelle usine métallurgique est construite avec deux fours rotatifs. En 1945, l’usine de nickel de Szklary est détruite par l’armée allemande en retraite. De 1947 à 1949, de nouveaux travaux concernant l’estimation des ressources sont faits par des géologues polonais. Une grande fonderie est reconstruite avec trois nouveaux fours rotatifs. En 1953, l’exploitation du gisement de nickel recommence, le produit final de la coulée est un alliage raffiné de fer et de nickel. En 1982, la fonderie et la mine de nickel sont fermées. Les bâtiments de l’ancienne usine métallurgique sont détruits en 2010. Le site industriel et minier de Szklary a utilisé, au fil du temps, du minerai local enrichi avec des minerais importés, selon les périodes, de Nouvelle-Calédonie, de Finlande et de Russie (URSS).
Et la population allemande fut expulsée. Depuis la fin du régime communiste, la ville et la région secouent leurs interdits et retrouvent une identité plurielle, européenne. En Allemagne comme en Pologne, une sorte de tabou a longtemps pesé sur la Basse-Silésie, comme sur toutes les régions anciennement prussiennes situées au-delà de la frontière Oder-Neisse. Cette époque est révolue, on se souvient désormais du passé commercial et industriel de la ville qui remonte à loin. « Wroclaw (Breslau) la capitale de la Silésie est née de quelques masures, sur une île de l'Oder vers 900. Des mariniers slaves vont ensuite diffuser sel, plomb, cuivre, charbon et argent dans toute l’Europe » rappelle le journaliste Dominique de La Tour. Les minerais sont extraits dès le moyen-âge depuis la région des monts Métallifères, les biens nommés. Le nickel sera découvert beaucoup plus tard et dans un seul endroit, au sud de Wroclaw (Breslau), par un géologue et ingénieur allemand de retour de Nouvelle-Calédonie. Une étonnante histoire minière et industrielle qui a passionné le géologue polonais Jakub Kierczak.
La Nouvelle-Calédonie à Wroclaw
La faculté de géologie de Wroclaw-Breslau construite (en 1856), est une belle bâtisse imposante et entièrement restaurée après les destructions de 1945. La première impression ? L’environnement est calme et studieux. Dans les couloirs, des jeunes femmes au pas pressé côtoient des enseignants en jeans. Dans les salles de cours, on enseigne les matières premières, la géologie et la protection de l’environnement. En ce mois de mai, plusieurs travaux dirigés ont pour thème l’industrie minière en Nouvelle-Calédonie.La grande terre de nickel suscite la curiosité des étudiants de l'institut des sciences géologiques. Certains d’entre eux partiront bientôt pour l'étranger même si, par ailleurs, la Pologne est le 5ème producteur mondial de cuivre : « À la fin de mes études, je pense aller en Australie et travailler pour une compagnie minière, ou un laboratoire de recherches des Sciences de la Terre et de l'Environnement, j'ai envie de découvrir cette partie du monde » indique Kasia Kadziolka, une étudiante de Jakub Kierczak.
Les futurs ingénieurs et géologues miniers, les prochains gestionnaires de la transition énergétique sont formés dans ces bâtiments. La mémoire se transmet, les étudiants polonais de Wroclaw assument leur filiation avec les géologues allemands d’autrefois, quand Wroclaw s’appelait Breslau. L’un d’eux, Adolphe Reitsch, de retour de Nouméa en 1880, découvre de l’or vert en Silésie, du nickel, comparable à celui de la Nouvelle-Calédonie : « il y a des millions d’années, le climat de cette région du sud de la Pologne était comparable à celui de la Nouvelle-Calédonie, le nickel s’est constitué dans des couches de serpentine, il est proche de certains minerais calédoniens » précise Jakub Kierczak dont la thèse a été présentée à l’université de Limoges.
C’est en arpentant le terrain, comme tout géologue aime le faire, que Jakub Kierczak l’actuel vice-doyen de la faculté des Sciences de la Terre de Wroclaw a pu confirmer les ressemblances du minerai silésien de Szklary avec le nickel calédonien qui fut importé ici, dès la fin du XIXème siècle. « Cette histoire est celle d’’Adolf Reitsch, un géologue de Breslau qui est allé en Nouvelle-Calédonie. De retour en Silésie, il recherche et découvre du nickel et fait construire une usine. Puis il importe du minerai calédonien pour enrichir le nickel local. La production va décupler. Le nickel est donc un lien évident, la géologie et l’industrie rapprochent la Silésie et la Nouvelle-Calédonie malgré la distance de 13.000 kilomètres » ajoute Jakub Kierczak.
Ce gisement de nickel situé à Szklary (Gläsendorf), à 80 kilomètres au sud de Wroclaw (Breslau), fut le seul de cette importance en Europe centrale. Il fut exploité dans une grande mine à ciel ouvert, puis dans une mine souterraine. Ce minerai à forte teneur, les géologues silésiens lui donneront le nom de « Garnieryt » en référence au minerai de nickel découvert par le géologue stéphanois Jules Garnier en Nouvelle-Calédonie. Une fonderie métallurgique est construite en 1889 et elle va produire un alliage de ferronickel jusque dans les années trente. Sauf pendant la Première Guerre mondiale, les concentrés de nickel seront importés de Nouvelle-Calédonie et mélangés aux minerais silésiens. Aujourd’hui encore, les scories métalliques sont visibles aux alentours de l’usine en ruine. Ce massif, couleur gris métal, contient donc du nickel extrait il y a près de 130 ans de la terre calédonienne.
La mine de nickel souterraine de Szklary comptait 120 kilomètres de galeries sur 5 étages et jusqu’à 150 mètres de profondeur. L’usine métallurgique ressemblait à celle de Nouméa, le géologue et métallurgiste allemand Adolf Reitsch s’en était inspiré. Aujourd’hui, le site minier silésien est une attraction touristique qui accueille près de 3 000 visiteurs, du mois de mai au mois de septembre. Les bâtiments administratifs de l’usine vont être rénovés, le projet prévoit la création d’un parc d’attraction consacré à la géologie minière de la région et à celle de la Nouvelle-Calédonie.
Les déchets métalliques, les scories de fer et de nickel bordent la route qui conduit à la frontière tchèque, tout proche. La barrière bleutée des monts Sudète souligne l’horizon. « Je ne suis pas étonné que dans ces vielles terres industrielles, on ait entendu parler très tôt du minerai calédonien. Que les métallurgistes de Breslau, le nom de Wroclaw à l’époque, aient trouvé que le minerai de Nouvelle-Calédonie était intéressant à utiliser en complément au nickel silésien ne m’étonne pas » conclut Philippe Chalmin, historien des matières premières et enseignant à l’université Paris-Dauphine.
Chronologie du nickel à Szklary au sud de Wroclaw
Le minerai de nickel contenu dans les serpentines du Massif de Szklary (Gläsendorf) a été découvert en 1880. L’exploitation du gisement commence en 1889 et sera suivi de la construction d’une fonderie par la société métallurgique allemande « Gewerkschaft Schlesische Nickelwerke ».Entre 1895 et 1918 une réorganisation donne naissance à la « Compagnie Silésienne des Mines », une société belge. Une nouvelle fonderie est construite. A la suite de l’épuisement du gisement contenant plus de 3% de nickel, les minerais plus pauvres sont mis à contribution. Pour assurer la rentabilité de la production du nickel et sauver l’usine silésienne, le minerai local est mélangé avec du minerai plus riche en nickel extrait en Nouvelle-Calédonie. L’industriel allemand Théodore Fleitmann, associé de la SLN calédonienne, assure la répartition des minerais de nickel entre la Ruhr et la Silésie. En 1918, après la première guerre mondiale, le développement de l’industrie métallurgique s’enraie. La mine puis la fonderie de Szklary sont fermées en 1920. En 1934, une nouvelle usine métallurgique est construite avec deux fours rotatifs. En 1945, l’usine de nickel de Szklary est détruite par l’armée allemande en retraite. De 1947 à 1949, de nouveaux travaux concernant l’estimation des ressources sont faits par des géologues polonais. Une grande fonderie est reconstruite avec trois nouveaux fours rotatifs. En 1953, l’exploitation du gisement de nickel recommence, le produit final de la coulée est un alliage raffiné de fer et de nickel. En 1982, la fonderie et la mine de nickel sont fermées. Les bâtiments de l’ancienne usine métallurgique sont détruits en 2010. Le site industriel et minier de Szklary a utilisé, au fil du temps, du minerai local enrichi avec des minerais importés, selon les périodes, de Nouvelle-Calédonie, de Finlande et de Russie (URSS).