" Zombis. La mort n’est pas une fin ?" une expo du musée du Quai Branly sur les zombies haïtiens et autres…

Exposition "Zombis. La mort n'est pas une fin?"
La notion de zombie nous vient d’Haïti. C’est ce que rappelle une exposition du Quai Branly "Zombis. La Mort n’est pas une Fin ?". Elle différencie le zombie haïtien de sa version mondialisée. Une réalité locale liée à l’esclavage, aux confins du savoir et de la fiction.

Un terme haïtien utilisé pour recouvrir une angoisse de la mort

Emprunté au créole haïtien, mais d’origine africaine, le mot zombie a été associé notamment à nombre d’histoires de morts vivants, de revenants, qui parsèment la culture mondiale depuis des millénaires, dévoilant une peur de la mort et des fantasmes universels. On pense par exemple à « Thriller », « The Walking Dead », ou encore « La Nuit des Morts Vivants », entre autres. Des affiches de certains de ces films figurent dans l’exposition "Zombis. La Mort n’est pas une Fin ? ". Leur succès traduit ces angoisses, à en croire Philippe Charlier, médecin légiste, archéologue et anthropologue, commissaire de l'exposition au musée du Quai Branly :


"On est curieux de savoir ce que c'est que la mort, mais on n'ose pas forcément poser des questions, on n'ose pas s'en rapprocher. C'est peut-être une façon détournée d'obtenir quelques réponses, de jouer également à se faire peur, de jouer à vérifier si on est soi-même vivant. Est-ce qu'on survit à un film de zombie ? Est-ce qu'on survit à un « zombie walk » ou autre chose ? Derrière cette métaphore, il y a la peur de finir, ce qu'on appelle la finitude. Je pense que le zombie a un vrai rôle social en tant que limite, en tant que fantasme, et en tant que test, tout simplement."

Statuette à fonction bénéfique et maléfique.

Le zombie haïtien n’est pas le zombie de la culture mondiale

 

L’utilisation du terme zombie en Occident avait commencé à la fin XVIIe siècle (à la suite des récits des premiers voyageurs allés à St-Domingue). Elle est revenue au début du XXe (avec l’occupation américaine d’Haïti). Elle s’est poursuivie, en s’élargissant, en faisant oublier le sens réel du mot créole et la situation qu’il exprimait en Haïti comme le précise Philippe Charlier :


"Dans la pop culture, le zombie est extrêmement important parce qu'il symbolise une mort redoutée, une mort dangereuse, et surtout une mort qui est contagieuse (NDLR par morsure, par exemple, comme avec un vampire). Ça n'a rien à voir avec le zombie d’Haïti, qui est certes un individu qui est malfamé, qui a été condamné, qui est un peu en dehors de la société. On dit qu'il est en mort sociale".

 

Ce que recouvre le mot zombie, en Haïti a donc peu à voir avec ce que l’Occident ou l’Asie en ont fait, ni d’ailleurs avec ce que désignait le terme initial africain (esprit ou fantôme d’un mort, un enfant mort au Congo par exemple).

La zombification serait une reproduction de l’esclavage

 

L’objet de l’exposition est donc, entre autres, de montrer clairement ce qu’est ce zombie haïtien, et de le resituer dans l’Histoire. En particulier, le lien avec la période esclavagiste serait fondamental, à en croire Philippe Charlier :

 

"Ce sont des individus qui sont privés de liberté parce qu'ils ont fait le mal, bien entendu, ou alors parce qu'ils sont criminels. C'est une reproduction vraiment de l'esclavage du temps passé par ceux qui ont anciennement été esclavagisés. Donc l'esclavage dans la zombification est une figure et une mémoire qui est essentielle."

 

Représente une scène vaudou : la grande prière "Djor", durant une cérémonie d'initiation

Une vision partagée par Erol Josué commissaire associé de l'exposition, directeur du bureau national d'ethnologie à Port-au-Prince et prêtre vaudou :


"En fait, l'esclavage, c'est de la zombification, c'est une déshumanisation. On a déshumanisé des milliers et des milliers d'hommes et de femmes et des enfants. À un moment de la durée aussi, ces gens-là, il faut qu'ils montrent aux gens, aux zombificateurs, qu'ils peuvent être zombifiés aussi d'une autre manière."

Une pratique issue du vaudou haïtien, une culture syncrétique

 

De fait, il y a bien un rapport évident avec l’esclavage : c’est le vaudou haïtien auquel les zombies sont liés. Cette religion, toujours vivante, et transmise par les anciens esclaves, est un syncrétisme entre 3 croyances venues de 3 continents :  le vaudou africain ainsi que d’autres spiritualités des régions subsahariennes (avec de la sorcellerie pour toucher des victimes à distance)  que les esclaves emportaient avec eux d’Afrique, le catholicisme qui leur était parfois inculqué dès l’embarquement sur les navires négriers, et les croyances amérindiennes qui leur ont été transmises lors de leur arrivée en Haïti. Les Amérindiens, Arawaks, et Kalinagos, auraient d’ailleurs maîtrisé l’usage de divers poisons et stupéfiants.

L’exposition reconstitue ainsi un temple vaudou. Dans ces temples, chaque divinité vaudoue (ou loa) invoquée, est associée à son équivalent catholique (un saint) à l’aide d’une image pieuse. On peut aussi voir des paquets Congo. Ces symboles de pouvoir des prêtres vaudou sont surmontés d’une croix. Cela montre bien l’interpénétration entre catholicisme et croyances africaines.

Au sol des temples on trouve des objets rituels d’origine autochtone.

L’exposition reconstitue aussi un temple vaudou.

La zombification opérée par une justice secrète

 

D’après les récits, la zombification serait opérée par certaines des sociétés secrètes du vaudou haïtien, comme Bizango chargée de la justice. Elle est représentée dans l’exposition par un ensemble de fétiches et de poupées réunis en « armée des ombres ».

Les zombis potentiels seraient des individus que les tribunaux des hommes n’arrivent pas à empêcher de commettre leurs forfaits. Ils pourraient comparaître 7 fois devant la justice secrète. En cas de condamnation (pour avoir persévéré), ils seraient drogués et mis en état de mort apparente grâce à des poisons d’origine naturelle. Ils seraient ensuite enterrés vivants et conscients, sans savoir si on va venir les sortir du caveau (ainsi l’exposition reconstitue aussi un cimetière haïtien). On les sortirait la nuit suivante pour les amener de l’autre côté de l’île, où ils deviendraient esclaves d’un maître, lui-même sorcier, le bokor. Un état de servitude entretenu notamment par la privation de sel voire par des substances psychotropes.

Drogues ou suggestion pour une peine "pire que la mort"

 

Une des drogues utilisées, au moins avant l’enterrement, serait à base de tétrodotoxine, un poison que l’on trouve dans le tétraodon ou poisson-globe (ou poisson-ballon ou fufu en Haïti ou fugu au Japon). Elle serait contenue dans un liquide à boire ou dans une  "poudre à zombie" mise en contact avec la peau dans les chaussures ou les vêtements, en association avec une substance urticante. La victime en se grattant ferait pénétrer le poison qui le mettrait en état de catalepsie. Un poison à effet limité dans le temps et qui aurait un antidote (utilisé par le bokor pour ranimer le zombie à la sortie du caveau). La pratique serait courante en Haïti (comme au Bénin, pays d’origine du vaudou) même si elle est interdite.

L’exposition présente un poisson-globe pêché dans la mer des Caraïbes.

poisson globe, Mer des Caraïbes, anatomisé, 2ème moitié du 20ème siècle

Toutefois, en 2008, le neurologue Terence Hines, se basant sur des analyses de scientifiques, a contesté la présence significative de tétrodotoxine dans des échantillons de « poudre à zombie » rapportés par l’anthropologue et ethnobotaniste Wade Davis. Il n’hésite pas à qualifier Davis de touriste crédule, escroqué par des arnaqueurs locaux.

Reste que Philippe Charlier a confirmé dès 2022 avoir été témoin de l’existence de zombies. Ceux-ci seraient, explique-t-il, « assez souvent drogués… On utilise des poisons, on utilise également une suggestion, on utilise des choses qui font peur et qui impressionnent ». Une peine « pire que la mort » d’après l’anthropologue.

Une peine qui ne prendrait fin qu’avec la mort du bokor ou l’arrêt de l’administration de psychotropes.

Divers types de zombies

 

Il existerait d’autres types de zombies. Des criminels deviendraient zombis directement par intervention d’un sorcier, sans jugement. IL y aurait aussi des zombies "psychiatriques" relevant d’une pathologie. Ou encore des zombies "sociaux". Leur zombification serait la métaphore d’une usurpation d’identité.

Histoires de zombies

 On compterait plusieurs dizaines de milliers de zombies en Haïti, selon Philippe Charlier qui s’est rendu à plusieurs reprises sur l’île. L’exposition raconte la vie de 8 d’entre eux.

Ainsi Felicia Felix Mentor morte et enterrée officiellement en 1907, aurait été retrouvée en 1936, marchant nue dans la vallée de l’Artibonite. Son frère aurait confirmé son identité. Elle aurait perdu la raison. L’anthropologue américaine Zora Neale Hurston raconte : « son visage était sans expression avec des yeux morts. Ses paupières étaient blanches comme si elles avaient été brûlées avec de l’acide ».

L'écrivaine conclura que les zombies sont des personnes sous psychotropes, privées de leur volonté, et pas des morts-vivants.

De même, Clairvius Narcisse (on peut voir sa photo dans l’exposition) « mort » en 1962, serait réapparu en 1980. À cette occasion, il aurait dit à sa sœur qu’il avait été transformé en zombie parce qu’il aurait vendu un terrain dont il n’était pas propriétaire. Selon certaines sources, il aurait affirmé avoir été drogué et ne s’en serait sorti que parce qu’un gardien aurait oublié de lui faire prendre sa dose de drogue quotidienne…

divers objets représentés dans cette exposition

Savoir et fiction

Fable ou réalité d’un individu drogué ou hypnotisé ? L’exposition souligne l’interrogation. Elle permet de comprendre qu’au fond la notion de zombie, ce « non mort » du vaudou haïtien se situe à la frontière entre le savoir et la fiction. Les diverses situations qu’elle est censée recouvrir, même en Haïti (criminels, malades psychiatriques, …), trahissent aussi cette ambiguïté. Celle-ci peut avoir facilité l’utilisation du terme dans des acceptions différentes à travers le monde.