"La nuit, je me repasse tout ça, toute ma vie depuis que je travaillais à 10 ans, mais je me suis bien débrouillé" confie Octave Perette. Né le 16 avril 1917 à Morne-à-l’Eau en Guadeloupe, il se souvient très bien de sa vie. De son enfance et des premières années de travail sur sa terre natale, aux combats qu’il a mené sous l’uniforme français, Octave a beaucoup de choses à raconter.
"J’ai quitté Morne-à-l’Eau enfant pour aller au Moule, puis à Courcelles vers Sainte-Anne. Dès 10 ans, je travaillais avec mes parents pour les aider un peu. Ma mère travaillait à l’usine, puis j’ai travaillé un peu partout, notamment dans les champs de canne à sucre", relate le vétéran guadeloupéen. Une enfance qu’il qualifie lui-même de "malheureuse", mais qui va s’améliorer quand ses parents vont faire construire une maison au Moule, "là, j’étais heureux". En 1937, à l’âge de 20 ans, il est appelé pour faire ses classes. Pourtant, il ne va pas rester longtemps dans l’armée, "j’ai été libéré parce que le père Durant avait dit que j’étais un très bon sportif, je faisais beaucoup de poids et d’haltères, et je suis parti travaillé à l’usine". A ce moment-là, Octave Perrette est loin de se douter qu’il va passer une grande partie de sa vie dans cette armée dont il n’a pas fini le service.
Combattant de la Seconde Guerre mondiale
Le 1er septembre 1939, l’Allemagne attaque la Pologne. Deux jours plus tard, la France et l’Angleterre déclarent en retour la guerre au IIIe Reich. A cet instant, comme pour des millions d’hommes, le destin d’Octave va basculer. Une période qu’il se remémore très bien : "J’ai été mobilisé en 1939, appelé sous les drapeaux. On a embarqué à Basse-Terre, le voyage s’est très bien passé et je débarque à Bordeaux. C’est là que je suis affecté à Bayonne, au 49e Régiment d’Infanterie Alpine. En avril (1940), on est parti en première ligne, en Alsace, au camp de Bitche, on était dans les tranchées, et puis, l’offensive allemande. Ils attaquaient de partout, on n’a rien pu faire, on avait encore des fusils Lebel ! Notre mitrailleuse s’enrayait tout le temps, le 22 juin 1940, on a été fait prisonniers".
Octave Perrette ne subit pas le sort de certains de ses compatriotes comme Moïse Bebel (capitaine guadeloupéen) ou de certains tirailleurs qui furent exécutés parce que noirs. Pourtant, il avait un sacré tempérament, "quand j’étais prisonnier, un Allemand m’a donné un coup de pied, je lui ai sauté dessus, je ne me suis pas laissé faire. Un autre quand il m’a vu, il a dit "Sénégal", mais un autre lui répondit "Nein", il savait qu’il y avait des Antillais". Prisonnier, le soldat guadeloupéen ne va pas le rester longtemps, puisqu’il va s’échapper ! "J’ai été prisonnier à Strasbourg pas mal de temps, puis l’Hiver approchait, alors on a été déplacé à Besançon, et au final, tous les coloniaux ont été envoyés à Dijon, ou j’étais avec pas mal d’Antillais. Tous les jours, j’allais travailler à l’usine de patates, et elles étaient envoyées en Allemagne. Et puis j’ai rencontré un gars d’un réseau pour m’échapper. C’était bien organisé, il y avait des sentinelles partout, mais j’ai réussi à traverser la ligne de démarcation dans un train. Je suis allé jusqu’à Marseille, ou j’ai pris le bateau pour Casablanca, et de là, je suis parti aux Antilles". Une évasion bien préparée pour un retour au pays. Pourtant, encore une fois, l’armée va le rattraper.
Les "dissidents", retour au combat
Rentré chez lui en Guadeloupe, il reprend un travail à l’usine. Seulement, les choses ne se passent pas très bien et son patron lui fait tout le temps des reproches. Alors que son territoire est sous la loi de Vichy, Octave Perrette décide de rejoindre les Forces Françaises Libres : "En 1943, je suis rentré en dissidence, je suis arrivé à la Dominique, on m’a mis en prison, mais très vite, j’ai été relâché. On a formé des bataillons, on était très nombreux et on a été embarqué pour l’Amérique. On est arrivé à New-York puis on a été envoyé au Fort Dix. Les FFL étaient formées avec les Américains, on avait la "12,7" (mitrailleuse) sur l’épaule, on s’est entraîné pendant six mois à peu près". Affecté au 1er Bataillon Antillais dans la 5e Armée Américaine, il est envoyé avec son unité en Afrique du Nord pour continuer sa formation.
Une fois sur place, son unité rejoint la 1ere Division Française Libre où il se prépare à rejoindre le front : "On est préparé pour le débarquement en Italie. De Bizerte, on est parti à Naples, et c’était la guerre là-bas. La ligne Gustave, la ligne Adolf Hitler, Monte Cassino, on a tout fait, puis on est retourné au repos et on a été reformé à Tarente". Dégustant son Ti’Punch, Octave Perrette se remémore tout à coup en rigolant, "en Italie, on avait un jerrycan (20 l) de vin par jour pour 12 !". Mais son histoire est loin d’être terminé, puisque si son unité est reformée, c’est pour être envoyé sur un autre front et une terre dont il s’est enfui puisqu’il y était prisonnier, la France hexagonale. "Il y a eu le débarquement dans le midi, et on a fait toute la campagne, et ce, jusqu’à la Libération" narre Octave. Alors que la guerre est finie contre l’Allemagne Nazie, le soldat guadeloupéen va partir à l’autre bout du monde.
L’Indochine
Stationné dans l’Hexagone, il se souvient qu’"il faisait froid, et on cherchait des volontaires pour combattre le Japon, j’ai accepté. Mais je suis à Paris et j’apprends que les deux bombes atomiques ont été larguées, je me dis que je vais rentrer chez moi, je m’étais engagé pour la durée de la guerre plus six mois. Mais comme j’étais volontaire pour l’Extrême-Orient, on m’a envoyé en Indochine avec le 43e Régiment d’Infanterie Coloniale. A Marseille, pour l’embarquement, le commandant a dit : "Direction Saïgon", j’ai fait trois séjours là-bas".
"Le premier séjour en 1946-1947, quand j’ai fini, je suis parti de mon poste" se souvient-il. Octave est désengagé et il retourne en Guadeloupe, seulement, il veut repartir et se réengage pour l’Indochine ! Pour son deuxième séjour, il est incorporé au 2e Bataillon de Marche d’Extrême-Orient pour deux ans. Un deuxième séjour qui l’a profondément marqué : "C’était la vraie guerre, c’était plus sérieux que mon premier séjour, puis j’ai rembarqué pour la France pour mes congés et je suis retourné pour un troisième séjour de trois ans (…) j’ai aussi été instructeur du 66e Bataillon Vietnamien". Une période difficile dans sa vie qu’il résume par : "En Indochine, on a subi un gros, gros coup". Mais encore une fois, ce n’est pas la fin de sa carrière de militaire.
La guerre d’Algérie : l’adieu aux armes
"J’ai été affecté en Algérie, au 13 Régiment de Tirailleurs Sénégalais, à la caserne d’Orléans à Alger. C’est là que j’ai rencontré ma femme", se mettant à rire, il poursuit en précisant : "Je me suis marié à une Allemande". Il est vrai que c’est plutôt ironique pour quelqu’un qui a combattu l’Allemagne quelques années plus tôt. C’est en Algérie qu’il se marie en 1957 et de cette union, deux filles voient le jour, Laure et Linda.
Pourtant, la guerre fait rage sur ce territoire et en 1958, il se porte volontaire pour le Groupe Mobile de Sécurité ou il est adjudant : "J’ai fait la campagne de Kabylie et tout jusqu’en 1962, puis je suis rentré en France". Cette fois, ce sont bien les derniers combats auxquels Octave a participé. La guerre d’Algérie sera sa dernière guerre et marquera aussi la fin de sa carrière militaire. Pour toutes ses actions, Octave Perrette est fait Chevalier de la Légion d’honneur en 1963. Et en 2018, il est fait Officier de la Légion d’honneur, "je fais partie des membres de la Légion d’honneur, je suis fier de ces citations, fier de ce que j’ai fait pour la France" affirme-t-il.
Une vie rangée
Après tous ces combats, Octave travaille pour le ministère de l’Intérieur, notamment dans l’administratif. Il est aussi retourné en Guadeloupe, mais pas pour vivre et il sourit en se rappelant que sa femme "ne voulait pas rester aux Antilles, c’était trop petit pour elle". Malheureusement, cette dernière "est partie à 98 ans, il y a 20 mois, elle aurait eu 100 ans l’année qui vient (…) Je l’ai gardé avec moi le plus longtemps possible" explique-t-il. Tous les jours, Octave Perrette va voir sa femme au cimetière qui est à côté de chez lui.
Retraité depuis 1982, l’ancien soldat guadeloupéen se remémore à présent sa vie passée et dresse un constat amer sur la France d’aujourd’hui et l’état du monde : "Malgré tout ce qu’on a fait, j’estime que le monde est totalement pourri. Maintenant, avec toutes ces agressions, ces terroristes, ça me met hors de moi. La Paix, c’est fini (…) En France, je crois que c’est la débandade, la France descend, si de Gaulle était là… " Un général devenu président qu’il a bien connu en tant que membre des FFL et qu’il a "rencontré à plusieurs reprises". Mais se souvenant de chacune des unités dans lesquelles il a été affecté, c’est plein de fierté qu’il déclare : "J’étais pour la France, je suis un bon soldat, un bon Français". Hasard des choses ou pas, c’est dans une ville de région parisienne qu’il vit aujourd’hui, sur une avenue dénommée Charles de Gaulle, ça ne s’invente pas.
Retrouvez le reportage d'Outre-mer la 1ère :