Polynésie : l'affaire JPK, enquête sur une disparition

Voilà un livre qui devrait faire du bruit. Grand reporter à France Inter, le journaliste Benoît Collombat revient sur la disparition du journaliste Jean-Pascal Couraud, à Tahiti, le 15 décembre 1997. Lisez les bonnes feuilles de l’ouvrage qui paraîtra le 28 mars. 
A l’heure où l’on reparle de l’affaire JPK, le livre de Benoît Collombat tombe à pic. L’ouvrage, qui se dévore comme un polar, dévoile les faces sombres de la Polynésie française mais aussi de l’Hexagone, unies dans l’ère Chirac et Flosse dans un pacte de corruption digne d’une République bananière.
 
On a jamais retrouvé le corps du journaliste Jean-Pascal Couraud (dit JPK), opposant déclaré, parfois de manière obsessionnelle, à Gaston Flosse, ex-tout-puissant président du territoire et actuel sénateur de Polynésie. Disparition volontaire, suicide ou assassinat ? L’auteur explore toutes les pistes, son enquête regorge de détails et de témoignages. Magouilles politiques, combines glauques, décès suspects, maîtresses trahies, magistrats louches, vengeances froides, vénalité à tous les étages, on trébuche sur les bassesses humaines.  
 
Au fil des pages, Benoît Collombat évoque longuement l’itinéraire de Gaston Flosse, personnage central et kafkaïen du drame. Le narrateur nous donne les clés de son incroyable système de népotisme et de corruption généralisée. Il souligne ses liens avec Jacques Chirac et la mairie de Paris de l’époque, les arrangements financiers occultes au service de la chiraquie outre-mer, le rôle du sénateur sur l’échiquier nucléaire français, ses accointances avec des "investisseurs" asiatiques peu recommandables... Des intrigues que l'on croirait sorties tout droit d'un roman policier, mais bien réelles !

Extraits
 

« Un Etat dans l’Etat »

« Imaginez un paradis terrestre au milieu du Pacifique.
Un décor de rêve fait de palmiers luxuriants, de lagons bleu émeraude et de sable blanc.
 
Pour administrer ce territoire béni des Dieux, imaginez à présent un homme dirigeant à la baguette toutes les affaires du pays, pendant un quart de siècle, montrant même à ses ministres comment régler la circulation, au milieu des voitures !
Un adepte du culte de la personnalité, qui aurait érigé une mairie aux allures de Maison Blanche américaine, serait propriétaire d’une chaîne de télévision à sa gloire, d’une compagnie aérienne, d’un atoll présidentiel…
Une terre française, en marge des lois de la République, qui aurait détruit les contre-pouvoirs, muselé la presse, et dont la population aurait été placée sous contrôle, dans une version tropicale de la Stasi est- allemande.
 
Un État dans l’État, abritant une armée de « gros bras » prêts à tout pour défendre « le chef. »
Une démocratie bafouée avec le feu vert des plus hautes autorités du pouvoir central, dans laquelle une partie des habitants aurait servi de « cobayes » aux expérimentations nucléaires, au nom de l’indépendance énergétique de la Nation, dans l’opacité la plus totale.
Une économie placée en coupe réglée, favorisant la corruption, le népotisme et le clientélisme, préférant le paradis fiscal à l’impôt sur le revenu, privatisant le patrimoine commun, et dont les principaux responsables échapperaient, comme par miracle, à la justice.
Ce « paradis » n’est pas une invention.
Il existe au sein de notre République, à 18.000 kilomètres de Paris.
Il s’agit de la Polynésie française. »

Trois accidents en cinq semaines

« L’engagement de JPK aux côtés de Boris Léontieff (opposant à Gaston Flosse, mystérieusement disparu dans un accident d’avion en mai 2002, ndlr), doublé d’un activisme anti-Flosse dans la presse militante, dérange. Au point de le menacer physiquement ? La question se pose, car en un mois, du 1er janvier au 7 février 1994, JPK est victime de trois accidents de moto ! JPK a beau avoir le goût du risque, cela fait quand même beaucoup. ‘Après le troisième accident, il a vendu sa moto afin de limiter les risques, raconte sa mère. Il a compris qu’il était en danger. Il savait bien aussi que certaines queues de poisson qu’on lui a faites n’étaient ni fortuites, ni innocentes.’ Le troisième accident est particulièrement troublant. » 
 

La menace du cabinet noir

« Février 1997.
La pression s’accentue encore un peu plus sur les épaules de JPK. Considéré comme difficilement contrôlable, il est désormais suivi de très près par le service de renseignement de Gaston Flosse.
En plus de sa garde personnelle – qui n’est officialisée sous le sigle de GIP qu’en mai 1998 – le président du territoire veut pouvoir compter sur de véritables spécialistes du renseignement pour encadrer sa cellule tahitienne de ‘barbouzes’ déjà en activité et renforcer la surveillance politique de ses opposants. JPK fait partie du lot.
Gaston Flosse procède lui-même à l’embauche d’un expert en la matière. La scène se déroule dans les locaux parisiens de la délégation de la Polynésie française, la vitrine du Territoire en métropole. »
 

JPK ne négocie rien

« Un possible trafic d’armes avec la Corée, des transferts douteux vers des paradis fiscaux, le soupçon d’un financement politique occulte de Jacques Chirac…JPK naviguait en terrain dangereux. Il est désormais établi qu’avant sa disparition, il était suivi par le service d’espionnage de Gaston Flosse dirigé par d’anciens membres de la DGSE. L’Etat était au courant. Au moment où JPK disparaît, le cabinet noir de Jacques Chirac est aux abois. Les services secrets enquêtent sur les relations du président Chirac avec un sulfureux banquier japonais. JPK remue les relations troubles entre Chirac et Flosse. Il inquiète. Malgré les avertissements, il ne négocie rien. Il fonce. 

Pour l’avocat parisien de la famille Couraud, Me William Bourdon, ‘après des années d’omertà, la vérité finit par émerger par fragments. Le puzzle commence à s’assembler. Il y a désormais un mobile possible et vraisemblable : on a voulu faire disparaître cet homme parce qu’il en savait trop, et qu’il s’approchait d’une vérité dangereuse pour un certain nombre de personnes sur l’île, et peut-être même en métropole.’ » 
 
« Un homme disparaît : l’affaire JPK – 15 décembre 1997 », de Benoît Collombat – co-édition Nicolas Eybalin/Scrineo – 450 pages, 16 euros.