Racisme "La banane est une icône très efficace", selon l'historien Pascal Blanchard

En mai 2013, des supporters Turcs de Fenerbahce tiennent des bananes pour "accueillir" Didier Drogba, attaquant de Galatasaray, originaire de Cote d'Ivoire
La banane, qu'elle soit dessinée à coté d'une figure noire ou jetée à l'encontre d'une personnalité, symbolise depuis longtemps le mépris et le racisme. Pourquoi? Les explications de l'historien Pascal Blanchard. 
Depuis plusieurs semaines Christiane Taubira est victime d'injures racistes. La garde des Sceaux a, à plusieurs reprises, été comparée à un singe et associée à une banane. Un symbole que l'on retrouve régulièrement au premier plan des attaques racistes à l'encontre des Noirs. Comment ce fruit, certes exotique, a-t-il pu devenir un symbole du racisme? Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui, lorsqu'on veut attaquer un homme ou une femme noire, il suffit de lui jeter une banane dans un stade de foot ou de le caricaturer avec le fruit dans la main?
Nous avons interrogé l'historien Pascal Blanchard pour tenter d'en savoir plus.
Pascal Blanchard
Pourquoi l'image de la banane est-elle régulièrement collée à celle de l'homme ou de la femme noire?
 
Pascal Blanchard: L'association de la banane aux populations noires, africaines ou antillaises a toujours existé. Dès la fin du XIXe siècle, on a tout simplement associé un produit, originaire d'une région à ses habitants. Ça a été la banane comme les palmiers, les cocotiers…
L'association Noir – banane a été d'autant plus efficace que ce fruit est immédiatement identifié comme provenant d'une terre exotique: tout le monde sait que les bananes ne poussent pas dans l'Hexagone. Mais sa couleur a également joué un rôle important. Le jaune du fruit, contraste naturellement avec la peau noire des hommes et des femmes qu'on a pu représenter à coté. Cette association de couleur a notamment inspiré la publicité, et la marque Banania par exemple.

Des supporters italiens s'en prenant au footballeur Mario Balotelli et brandissant des bananes en plastique. (février 2013)
A partir de quand cette association est devenue délibérément raciste?
 
Pascal Blanchard: Au départ, il ne s'agissait que d'une dimension économique et commerciale. C'est plus tard, à partir des années 1920-1930  que la dimension raciste est intervenue. L'homme noir est montré comme un amateur de bananes et est immédiatement associé au singe. Cela a commencé par des dessins humoristiques puis les racistes s'en sont emparés. Cet imaginaire raciste est entré dans l'inconscient collectif, tout comme l'idée que l'homme noir s'apparente à un singe, qu'il est plus proche de la nature que de la culture.
 
Tout cet imaginaire s'est basé sur une culture populaire, faite de représentations et de films, comme Tarzan avec Johnny Weissmuller par exemple, lorsqu'on le voit enseigner à Cheetah comment éplucher une banane.
 
Aujourd'hui le supporter de football qui jette des bananes à un joueur noir n'a aucune notion de cette histoire là. Tout ce qu'il veut c'est prôner l'inégalité des races, que l'homme noir est un singe, un animal. Et il n'a pas besoin d'expliquer son geste pourtant extrêmement violent : tout le monde le comprend.
 
 
Déshumaniser le Noir, ça fait partie du processus?
 
Pascal Blanchard: Tous les racistes renvoient à une animalisation de l'être humain. Ce n'est pas du tout spécifique aux attaques contre les Noirs. Le capitaine Dreyfus avait lui-même été caricaturé sous la forme d'un orang outan. Prêter à un individu les traits d'un singe c'est le faire remonter dans l'arbre. C'est propre à toutes les formes de racisme.
 
C'est donc là le rôle de la banane? Renvoyer le Noir à une forme simiesque?
 
Pascal Blanchard: C'est plus que ça. C'est une icône multifonction et très efficace.  Sa forme phallique n'est pas sans lien avec la supposée sexualité débridée des noirs. On a pu voir des photographies de mode présentant des mannequins noirs et des bananes et jouant de ce préjugé. Mais cette image sexuée est également utilisée aujourd'hui dans des clips de rap américains, avec des fellations sur des bananes par exemple. Ces rappeurs véhiculent à leur tour des mythes sur les Noirs, qu'il faudra de nouveau déconstruire demain...
Le fameux tirailleur sénégalais de la marque Banania. Toujours content, toujorus souriant, parlant mal le français comme le laisse entendre l'inscription de son couvre-chef... et affublé d'un régime de bananes.
La célèbre chanteuse et danseuse Joséphine Baker est apparue sur scène la taille ceinte de bananes dès 1925, en pleine époque coloniale. "Elle a su s'approprier ce symbole raciste, le détourner, pour ensuite se consacrer pleinement à la lutte contre le racisme et pour l'émancipation des Noirs", note à son sujet l'historien Pascal Blanchard.
En juillet 2013, le joueur italien du Milan AC Mario Balotelli a subit des attaques de supporters de l'Inter de Milan, son ancien club. Ces derniers, étaient pour certains venus équipés de bananes en plastique qu'ils ont jeté sur la pelouse. Les jets de bananes sur des joueurs noirs ne sont pas rares dans les stades, notamment en Ukraine ou en Russie.
En juin 2013, l'enseigne de grande distribution Carrefour Tunisie est vivement critiquée pour cette photo représentant des joueurs de l'équipe nationale (qu'elle sponsorise) distribuer des bananes par dessus un muret à des enfants Sierra léonais.
La ministre italienne de l'Intégration Cecile Kyenge a subi de nombreuses attaques racistes depuis son accession au gouvernement. Insultes, menaces et jets de bananes sont quasiment devenus son quotidien.
En septembre 2013, Irina Rodnina, une député russe pro Kremlin, a publié sur son compte Twitter ce photo montage d'une main blanche présentant une banane devant le couple Obama.
Chaque année, les Indivisibles organisent les Y'a bon awards et désignent sur un ton humoristique les personnalités les plus racistes de l'année. Chacune d'entre elle se voit alors décerner un trophée, à savoir ... une banane dorée
Le 9 novembre, lors d'une manifestation à Bergerac pour dénoncer la venue de Marine Le Pen dans la ville, une jeune manifestante tient une banane "I love Taubira"