L'existence de la " vieille Dame " de Nouméa, l'usine de nickel SLN, la seule usine métallurgique de l'Outremer français, est aujourd'hui menacée. Didier Julienne répond aux questions d'Alain Jeannin journaliste à la rédaction de France Ô.
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Didier Julienne est stratège des ressources naturelles et intervient dans l’industrie, la finance et auprès de gouvernements. Antérieurement, il travaillait au trading des métaux stratégiques puis chez le mineur russe de métaux Norilsk Nickel.
Il participe à de nombreuses conférences comme celle de Nouméa sur le nickel et à différents rapports gouvernementaux notamment sur le secret des affaires, la constitution de stocks stratégiques, les métaux critiques .
Vous connaissez bien le monde des entreprises minières dans lequel évolue le groupe minier français ERAMET. Ses résultats de 2013 sont de nouveau plombés par la crise qui secoue le marché du nickel, y compris en Nouvelle-Calédonie. Alors une première question : peut-on sauver la SLN, l'une des plus anciennes usines de nickel au monde ?
Didier Julienne: Non, je ne le crois plus dans les circonstances et son environnement actuels.
Je pensais au sursaut lorsque je prenais la peine par deux conférences à Nouméa et par des articles dans le journal Les Echos de prévenir d’une surproduction du marché du nickel et par conséquent que les horizons de prix seraient une contrariété pour une SLN aux coûts élevés. Il n’y a donc pas d’effet surprise du côté des prix et ni de stratégie de communication convaincante si elle exprime réellement une soudaine et imprévue adversité du marché engendrée par son premier consommateur mondial, la Chine.
Cela dit, une illusion fut peut-être entretenue par des prédictions financières, je veux dire non industrielle, qui annonçaient encore en juillet dernier au cours de la Conférence Internationale du Nickel de Nouméa que les prix 2013 seraient à 16 500$ et que la perspective de 30 000$ était en vue.
Mais à présent les cours sont stabilisés à 13 500$-14 000$. Pour sauver SLN, il faudrait radicalement changer de modèle économique et de stratégie, donc changer de gouvernance.
La crise du nickel est qualifiée de très violente par Patrick BUFFET le PDG d'ERAMET. Vous partagez ce constat ?
Non, les prix sont à un point bas classique dans un marché cyclique. Aujourd’hui, les cours sont plus élevés que ceux de la crise de 2008-2009 et égaux aux prix de 2004-2006. Le zénith de l’année 2007 fut lui exceptionnel. En 2004-2006 les sociétés étaient profitables tout comme les résultats 2013 des groupes miniers historiques seront proches de l’équilibre ou bénéficiaires, ils le resteront probablement en 2014.
Mais il y a l’embargo indonésien sur les exportations de minerai de nickel, peut-il sauver la situation ?
L’an dernier, je me faisais la remarque qu’à Nouméa quelques responsables avaient une vision erronée des marchés lorsqu’ils fondaient une stratégie industrielle sur une hypothétique OPEP du nickel. Et, aujourd’hui, je ressens un sentiment analogue à l’écoute d’une stratégie de communication exprimant la confiance en d’hypothétiques conséquences économiques du blocus des exportations indonésiennes.
Les réalités des marchés seront probablement différentes car les prix ne remonteront pas suffisamment tant les stocks mondiaux de nickel connus mais également les stocks cachés ne serons pas absorbés, cela prendra probablement plus d’un an ; tant que les stock d’acier inoxydable chinois, notamment de série 300 fortement chargés en nickel, ne seront pas également absorbés (cette production chinoise était en hausse de plus de 23% en 2013) ; tant que la progression de la production d’acier inoxydable hors Chine ne sera pas avérée ; tant que Djakarta n’aura pas été confronté aux conséquences sociales locales, non encore cristallisées, de son embargo : que diraient les petits mineurs calédoniens si soudainement une loi interdisait l’exportation de minerais ? Tant que Djakarta n’aura pas été confronté aux conséquences économiques de ce blocus et de l’augmentation de son déficit commercial ; tant que les progrès techniques chinois permettront petit à petit le remplacement du minerai nickélifère indonésien par le minerais philippin.
Enfin, si les prix remontaient et se stabilisaient à, par exemple, 16 000$, nous serions encore loin des 18-19 000$ nécessaires à l’équilibre de SLN.
Ultime remarque, si, d’ici à deux ans, l’Indonésie s’équipait de dizaine d’usines de fonte de nickel coûtant au minimum 300 millions $ l’unité, la Nouvelle Calédonie aura-t-elle plus ou moins de concurrence ? Le nickel indonésien sera-t-il plus cher ou moins cher que le nickel chinois ? Je crois plutôt que dans 12 mois l’Indonésie sera un concurrent encore plus coriace qu’elle ne l’est aujourd’hui !
Mais comment en est on arrivé là ?
Le projet minier Weda Bay en Indonésie est dans le groupe ERAMET depuis 2006 et naturellement depuis il bénéficiait d’investissements. Mais les résultats 2013 récemment publiés indiquaient que les conditions juridiques et fiscales n’étaient pas sécurisées avec le gouvernement indonésien. Par ailleurs et dans le même temps, l’investissement de la centrale électrique de la SLN, confirmé en 2007, n’était pas engagé.
Résultat : sur l’ensemble des fonds investis à Weda-Bay, 224 millions d’euros (quote-part Eramet) sont dépréciés dans les comptes et le projet est reporté. Dans le même temps SLN réalise des pertes « abyssales » dixit les Nouvelles Calédoniennes.
Combien de temps la SLN peut-elle tenir et assumer des pertes considérables par tonne de nickel produite ? Autrement dit un déficit six fois supérieur à celui enregistré en 2012.
Cela fait déjà deux ans que la SLN est en perte et peut-être 3 ans si l’on compte 2014 car à ce stade, pour cette année, les cours du nickel ne s’opposent pas à des pertes encore substantielles. Quelle est la nature de la trésorerie de la SLN ? Je n’ai pas à le savoir.
Cependant, au niveau du groupe Eramet, les éléments de trésorerie publiés indiquent une consommation de 1.418 milliards d’euros sur deux ans et la question n’est donc par comment ont-ils été dépensés mais pour quelle finalité et quelle est la quote-part SLN?
D’ailleurs, il est ici nécessaire de rétablir de la raison dans une polémique sémantique naissante à propos du « gearing » ou plutôt le ratio d’endettement de la société. C’est un élément nouveau parce jusqu’à 2012 la société n’était pas endettée. Nous ne devrions pas chercher à analyser si le ratio d’endettement est élevé ou pas, mais plutôt à comprendre si la dette finance des investissements industriels ou bien si elle finance l’activité quotidienne ?
Si la dette finance des investissements industriels raisonnables, c’est bien parce que son remboursement est déjà dans le plan d’affaire. En revanche si elle finance des dépenses courantes, ce n’est pas le meilleur signe.
Ce déficit de la SLN se retrouve dans les comptes d'ERAMET. Mais en réalité n'est-il pas dilué, réparti avec les provinces calédoniennes et le sidérurgiste japonais Nisshin-Steel qui sont actionnaires de la Société Le Nickel ?
Un actionnaire partage les dividendes et les pertes, quant à la dette, celle-ci n’est pas éternelle. S’il fallait recapitaliser, tous les actionnaires, y compris les pouvoirs publics devraient abonder sous peine d’être dilué. Les provinces ont-elles de tels capitaux disponibles ou bien accepteront-elles d’être diluées ?
Je crois utile de conseiller une relecture avec « biais contrariant » du « Rapport en vue d’un Schéma Stratégique Industriel du Nickel en Nouvelle Calédonie » à la lumière de ces évènements et en particulier du chapitre 5.4 sur les participations publiques.
Souvenons-nous que dans les années 80 c’est l’Etat, via l’ERAP, qui avait sauvé l’entreprise de la faillite.
Coté investissement, la centrale à charbon peut-elle seule sauver la SLN ?
Non, elle ne peut pas sauver la SLN à elle seule mais y contribuer. Au total la SLN doit opérer au moins une économie de 6 000 $ la tonne de nickel. Combien la centrale confirmée en 2007 apporterait-t-elle ? La moitié ?
Le reste doit sans doute provenir du coût minier qui augmentait à cause de l’éloignement et l’appauvrissement des gisements mais également de l’enrichissement. Ce dernier reste un coût s’il alimente une usine déficitaire et il peut à lui seul justifier l’utilisation d’usines offshore plus économes.
Entre économies nécessaires- au vu des pertes- et investissements nécessaires, comment faire le tri dans les besoins de la SLN ?
Il n’y a pas de tri à faire, il faut les deux.
Quel vous semble être la stratégie de l'Etat pour ERAMET et la SLN ?
Je l’ignore, mais je le répète, sans l’Etat des années 80 qui a renfloué l’entreprise, l’Eramet d’aujourd’hui n’existerait pas. Aujourd’hui l’Etat est toujours actionnaire et jusqu'à présent son nouveau représentant, la BPI, est en moins value substantielle par rapport à l’investissement opéré par son prédécesseur, le FSI.
Récemment l’Etat s’engageait en faveur de l’exploration minière par la création d’une entreprise publique, la Compagnie Nationale des Mines de France. Il serait regrettable que cette initiative souffre de l’autre facette du métier, l’exploitation minière.
Que pensez-vous des critiques portées par Jacques Bacardats ancien président d'ERAMET, représentant de la holding CARLO TASSARA, sur la stratégie développée par l’actuel PDG ?
Si je ne trompe pas, Monsieur Bacardats indiquait que « la survie d’Eramet était en jeu ». J’ai lu que ces critiques étaient au nombre de deux.
L’importante consommation de trésorerie d’une part et d’autre part la gouvernance que j’évoquais également dans le journal télévisé InfosMidi du 24 février dernier sur France Ô.
La réalité de ces éléments s’impose aux yeux de tous : des décisions d’investissements rapidement dépréciés voire éloignés des trois métiers du groupe et des retards dans les investissements essentiels, la centrale électrique par exemple.
En outre, deux éléments indiqués lors des résultats du groupe Eramet m’étonnaient.
Le métier du manganèse est très profitable et dispose de trois pôles industriels aux Etats-Unis, en Scandinavie et en Chine. Mais il s’étoffera bientôt d’une nouvelle usine au Gabon alors que la récente usine de Chine est en sous-capacité à 25% puisqu’ un seul four sur quatre y fonctionne.
Ensuite, la situation de la gestion de production métallurgique peine à convaincre. Ainsi lorsque le chiffre d’affaires de 2012 augmentait par rapport à celui de 2011 le résultat baissait et accusait une perte, et lorsque le chiffre d’affaires de 2013 baisse par rapport à 2012 le résultat augmente et devient positif.
Jacques Bacardats est-il le "poisson pilote" du milliardaire Romain Zaleski patron de la holding Carlos Tassara qui détient 13 % des actions d'ERAMET ? Et qui aurait perdu beaucoup d'argent…
Messieurs Duval et Monsieur Zaleski sont des actionnaires d’Eramet. Les premiers sont arrivés en 1999 et le second quelques mois plus tard, en 2000.
Le cours de bourse d’Eramet est passé d’environ 50 euros en 2000 à plus de 650 euros en 2008 puis il est de retour à 70 euros aujourd’hui. Franchement, combien d’actionnaires n’ont-ils pas été tentés par cette plus value de 2008 ? Mais ces deux actionnaires historiques sont toujours là au coté de l’Etat.
Monsieur Zaleski, comme tout autre actionnaire, surveille assez logiquement son investissement, la santé de la société et son cours de bourse. En conséquence, il a annoncé la nomination de Monsieur Bacardats à la tête de Carlo Tassara France sur la base de ses compétences dans ce dossier puisqu’il est le prédécesseur du dirigeant actuel.
En fin de compte, j’ai le sentiment que ces deux actionnaires ont probablement un horizon de temps analogue et des intérêts fondamentaux qui se confondent.
Même les usines peuvent mourir ? La malédiction d'ERAMET et de la SLN n'est-ce pas la perte du Koniambo et la volonté des multinationales étrangères de détruire leur compétiteur français ?
Non cela n’a rien à voir, il n’y a pas de complot de l’étranger mais l’écart sur la mise en œuvre de Weda-Bay et une sorte de résilience métallurgique adirée.
Pourtant tout était si bien parti. Le 12 juillet 2007 les Nouvelles Calédoniennes ne rapportaient-elles pas, dans un article sur le nouveau style d’Eramet, une interview qui stipulait deux excellentes choses: la confirmation de la centrale à charbon, le nouveau P-DG « a confirmé tous les investissements déjà programmés, dont celui du chantier de la nouvelle centrale électrique de Doniambo» ; et la disponibilité d’un nouveau procédé hydrométallurgique « une technologie de pointe qui est disponible pour la Nouvelle-Calédonie si les autorités le souhaitent ».
Que faut-il faire selon vous pour sauver la SLN et lui permettre d'attendre la sortie de crise des cours du nickel ?
Que faire quand la stratégie n’est plus la bonne ? En changer. Changer les modèles économiques, la gouvernance, refonder un nouveau tissu social et peut-être s’inspirer d’éléments que j’ai eu l’occasion de formuler au cours de la Conférence Internationale du Nickel de Nouméa de juillet 2013 et résumés dans l’article « Nouméa est gouverné par le nickel ».
Il participe à de nombreuses conférences comme celle de Nouméa sur le nickel et à différents rapports gouvernementaux notamment sur le secret des affaires, la constitution de stocks stratégiques, les métaux critiques .
Vous connaissez bien le monde des entreprises minières dans lequel évolue le groupe minier français ERAMET. Ses résultats de 2013 sont de nouveau plombés par la crise qui secoue le marché du nickel, y compris en Nouvelle-Calédonie. Alors une première question : peut-on sauver la SLN, l'une des plus anciennes usines de nickel au monde ?
Didier Julienne: Non, je ne le crois plus dans les circonstances et son environnement actuels.
Je pensais au sursaut lorsque je prenais la peine par deux conférences à Nouméa et par des articles dans le journal Les Echos de prévenir d’une surproduction du marché du nickel et par conséquent que les horizons de prix seraient une contrariété pour une SLN aux coûts élevés. Il n’y a donc pas d’effet surprise du côté des prix et ni de stratégie de communication convaincante si elle exprime réellement une soudaine et imprévue adversité du marché engendrée par son premier consommateur mondial, la Chine.
Cela dit, une illusion fut peut-être entretenue par des prédictions financières, je veux dire non industrielle, qui annonçaient encore en juillet dernier au cours de la Conférence Internationale du Nickel de Nouméa que les prix 2013 seraient à 16 500$ et que la perspective de 30 000$ était en vue.
Mais à présent les cours sont stabilisés à 13 500$-14 000$. Pour sauver SLN, il faudrait radicalement changer de modèle économique et de stratégie, donc changer de gouvernance.
La crise du nickel est qualifiée de très violente par Patrick BUFFET le PDG d'ERAMET. Vous partagez ce constat ?
Non, les prix sont à un point bas classique dans un marché cyclique. Aujourd’hui, les cours sont plus élevés que ceux de la crise de 2008-2009 et égaux aux prix de 2004-2006. Le zénith de l’année 2007 fut lui exceptionnel. En 2004-2006 les sociétés étaient profitables tout comme les résultats 2013 des groupes miniers historiques seront proches de l’équilibre ou bénéficiaires, ils le resteront probablement en 2014.
Mais il y a l’embargo indonésien sur les exportations de minerai de nickel, peut-il sauver la situation ?
L’an dernier, je me faisais la remarque qu’à Nouméa quelques responsables avaient une vision erronée des marchés lorsqu’ils fondaient une stratégie industrielle sur une hypothétique OPEP du nickel. Et, aujourd’hui, je ressens un sentiment analogue à l’écoute d’une stratégie de communication exprimant la confiance en d’hypothétiques conséquences économiques du blocus des exportations indonésiennes.
"L’Indonésie sera un concurrent encore plus coriace qu’elle ne l’est aujourd’hui"
C’est un évènement politique conduit par une Indonésie en pleine période électorale et cet embargo est connu depuis 2009 et opérationnel depuis le 12 janvier 2014. Force est de constater que depuis cette date les cours ne sont pas remontés en flèche, au contraire.Les réalités des marchés seront probablement différentes car les prix ne remonteront pas suffisamment tant les stocks mondiaux de nickel connus mais également les stocks cachés ne serons pas absorbés, cela prendra probablement plus d’un an ; tant que les stock d’acier inoxydable chinois, notamment de série 300 fortement chargés en nickel, ne seront pas également absorbés (cette production chinoise était en hausse de plus de 23% en 2013) ; tant que la progression de la production d’acier inoxydable hors Chine ne sera pas avérée ; tant que Djakarta n’aura pas été confronté aux conséquences sociales locales, non encore cristallisées, de son embargo : que diraient les petits mineurs calédoniens si soudainement une loi interdisait l’exportation de minerais ? Tant que Djakarta n’aura pas été confronté aux conséquences économiques de ce blocus et de l’augmentation de son déficit commercial ; tant que les progrès techniques chinois permettront petit à petit le remplacement du minerai nickélifère indonésien par le minerais philippin.
Enfin, si les prix remontaient et se stabilisaient à, par exemple, 16 000$, nous serions encore loin des 18-19 000$ nécessaires à l’équilibre de SLN.
Ultime remarque, si, d’ici à deux ans, l’Indonésie s’équipait de dizaine d’usines de fonte de nickel coûtant au minimum 300 millions $ l’unité, la Nouvelle Calédonie aura-t-elle plus ou moins de concurrence ? Le nickel indonésien sera-t-il plus cher ou moins cher que le nickel chinois ? Je crois plutôt que dans 12 mois l’Indonésie sera un concurrent encore plus coriace qu’elle ne l’est aujourd’hui !
"La SLN réalise des pertes « abyssales »"
Mais comment en est on arrivé là ?
Le projet minier Weda Bay en Indonésie est dans le groupe ERAMET depuis 2006 et naturellement depuis il bénéficiait d’investissements. Mais les résultats 2013 récemment publiés indiquaient que les conditions juridiques et fiscales n’étaient pas sécurisées avec le gouvernement indonésien. Par ailleurs et dans le même temps, l’investissement de la centrale électrique de la SLN, confirmé en 2007, n’était pas engagé.
Résultat : sur l’ensemble des fonds investis à Weda-Bay, 224 millions d’euros (quote-part Eramet) sont dépréciés dans les comptes et le projet est reporté. Dans le même temps SLN réalise des pertes « abyssales » dixit les Nouvelles Calédoniennes.
Combien de temps la SLN peut-elle tenir et assumer des pertes considérables par tonne de nickel produite ? Autrement dit un déficit six fois supérieur à celui enregistré en 2012.
Cela fait déjà deux ans que la SLN est en perte et peut-être 3 ans si l’on compte 2014 car à ce stade, pour cette année, les cours du nickel ne s’opposent pas à des pertes encore substantielles. Quelle est la nature de la trésorerie de la SLN ? Je n’ai pas à le savoir.
Cependant, au niveau du groupe Eramet, les éléments de trésorerie publiés indiquent une consommation de 1.418 milliards d’euros sur deux ans et la question n’est donc par comment ont-ils été dépensés mais pour quelle finalité et quelle est la quote-part SLN?
D’ailleurs, il est ici nécessaire de rétablir de la raison dans une polémique sémantique naissante à propos du « gearing » ou plutôt le ratio d’endettement de la société. C’est un élément nouveau parce jusqu’à 2012 la société n’était pas endettée. Nous ne devrions pas chercher à analyser si le ratio d’endettement est élevé ou pas, mais plutôt à comprendre si la dette finance des investissements industriels ou bien si elle finance l’activité quotidienne ?
Si la dette finance des investissements industriels raisonnables, c’est bien parce que son remboursement est déjà dans le plan d’affaire. En revanche si elle finance des dépenses courantes, ce n’est pas le meilleur signe.
Ce déficit de la SLN se retrouve dans les comptes d'ERAMET. Mais en réalité n'est-il pas dilué, réparti avec les provinces calédoniennes et le sidérurgiste japonais Nisshin-Steel qui sont actionnaires de la Société Le Nickel ?
Un actionnaire partage les dividendes et les pertes, quant à la dette, celle-ci n’est pas éternelle. S’il fallait recapitaliser, tous les actionnaires, y compris les pouvoirs publics devraient abonder sous peine d’être dilué. Les provinces ont-elles de tels capitaux disponibles ou bien accepteront-elles d’être diluées ?
Je crois utile de conseiller une relecture avec « biais contrariant » du « Rapport en vue d’un Schéma Stratégique Industriel du Nickel en Nouvelle Calédonie » à la lumière de ces évènements et en particulier du chapitre 5.4 sur les participations publiques.
Souvenons-nous que dans les années 80 c’est l’Etat, via l’ERAP, qui avait sauvé l’entreprise de la faillite.
Coté investissement, la centrale à charbon peut-elle seule sauver la SLN ?
Non, elle ne peut pas sauver la SLN à elle seule mais y contribuer. Au total la SLN doit opérer au moins une économie de 6 000 $ la tonne de nickel. Combien la centrale confirmée en 2007 apporterait-t-elle ? La moitié ?
Le reste doit sans doute provenir du coût minier qui augmentait à cause de l’éloignement et l’appauvrissement des gisements mais également de l’enrichissement. Ce dernier reste un coût s’il alimente une usine déficitaire et il peut à lui seul justifier l’utilisation d’usines offshore plus économes.
Entre économies nécessaires- au vu des pertes- et investissements nécessaires, comment faire le tri dans les besoins de la SLN ?
Il n’y a pas de tri à faire, il faut les deux.
Quel vous semble être la stratégie de l'Etat pour ERAMET et la SLN ?
Je l’ignore, mais je le répète, sans l’Etat des années 80 qui a renfloué l’entreprise, l’Eramet d’aujourd’hui n’existerait pas. Aujourd’hui l’Etat est toujours actionnaire et jusqu'à présent son nouveau représentant, la BPI, est en moins value substantielle par rapport à l’investissement opéré par son prédécesseur, le FSI.
Récemment l’Etat s’engageait en faveur de l’exploration minière par la création d’une entreprise publique, la Compagnie Nationale des Mines de France. Il serait regrettable que cette initiative souffre de l’autre facette du métier, l’exploitation minière.
Bientôt une nouvelle usine au Gabon!
Que pensez-vous des critiques portées par Jacques Bacardats ancien président d'ERAMET, représentant de la holding CARLO TASSARA, sur la stratégie développée par l’actuel PDG ?
Si je ne trompe pas, Monsieur Bacardats indiquait que « la survie d’Eramet était en jeu ». J’ai lu que ces critiques étaient au nombre de deux.
L’importante consommation de trésorerie d’une part et d’autre part la gouvernance que j’évoquais également dans le journal télévisé InfosMidi du 24 février dernier sur France Ô.
La réalité de ces éléments s’impose aux yeux de tous : des décisions d’investissements rapidement dépréciés voire éloignés des trois métiers du groupe et des retards dans les investissements essentiels, la centrale électrique par exemple.
En outre, deux éléments indiqués lors des résultats du groupe Eramet m’étonnaient.
Le métier du manganèse est très profitable et dispose de trois pôles industriels aux Etats-Unis, en Scandinavie et en Chine. Mais il s’étoffera bientôt d’une nouvelle usine au Gabon alors que la récente usine de Chine est en sous-capacité à 25% puisqu’ un seul four sur quatre y fonctionne.
Ensuite, la situation de la gestion de production métallurgique peine à convaincre. Ainsi lorsque le chiffre d’affaires de 2012 augmentait par rapport à celui de 2011 le résultat baissait et accusait une perte, et lorsque le chiffre d’affaires de 2013 baisse par rapport à 2012 le résultat augmente et devient positif.
Jacques Bacardats est-il le "poisson pilote" du milliardaire Romain Zaleski patron de la holding Carlos Tassara qui détient 13 % des actions d'ERAMET ? Et qui aurait perdu beaucoup d'argent…
Messieurs Duval et Monsieur Zaleski sont des actionnaires d’Eramet. Les premiers sont arrivés en 1999 et le second quelques mois plus tard, en 2000.
Le cours de bourse d’Eramet est passé d’environ 50 euros en 2000 à plus de 650 euros en 2008 puis il est de retour à 70 euros aujourd’hui. Franchement, combien d’actionnaires n’ont-ils pas été tentés par cette plus value de 2008 ? Mais ces deux actionnaires historiques sont toujours là au coté de l’Etat.
Monsieur Zaleski, comme tout autre actionnaire, surveille assez logiquement son investissement, la santé de la société et son cours de bourse. En conséquence, il a annoncé la nomination de Monsieur Bacardats à la tête de Carlo Tassara France sur la base de ses compétences dans ce dossier puisqu’il est le prédécesseur du dirigeant actuel.
En fin de compte, j’ai le sentiment que ces deux actionnaires ont probablement un horizon de temps analogue et des intérêts fondamentaux qui se confondent.
Changer les modèles économiques, la gouvernance, refonder un nouveau tissu social
Même les usines peuvent mourir ? La malédiction d'ERAMET et de la SLN n'est-ce pas la perte du Koniambo et la volonté des multinationales étrangères de détruire leur compétiteur français ?
Non cela n’a rien à voir, il n’y a pas de complot de l’étranger mais l’écart sur la mise en œuvre de Weda-Bay et une sorte de résilience métallurgique adirée.
Pourtant tout était si bien parti. Le 12 juillet 2007 les Nouvelles Calédoniennes ne rapportaient-elles pas, dans un article sur le nouveau style d’Eramet, une interview qui stipulait deux excellentes choses: la confirmation de la centrale à charbon, le nouveau P-DG « a confirmé tous les investissements déjà programmés, dont celui du chantier de la nouvelle centrale électrique de Doniambo» ; et la disponibilité d’un nouveau procédé hydrométallurgique « une technologie de pointe qui est disponible pour la Nouvelle-Calédonie si les autorités le souhaitent ».
Que faut-il faire selon vous pour sauver la SLN et lui permettre d'attendre la sortie de crise des cours du nickel ?
Que faire quand la stratégie n’est plus la bonne ? En changer. Changer les modèles économiques, la gouvernance, refonder un nouveau tissu social et peut-être s’inspirer d’éléments que j’ai eu l’occasion de formuler au cours de la Conférence Internationale du Nickel de Nouméa de juillet 2013 et résumés dans l’article « Nouméa est gouverné par le nickel ».