Les vacances arrivent à grand pas, ou ont déjà commencé pour certains. Pour ceux, dont nous sommes, qui aiment le farniente en lecture, bien calé dans un fauteuil ou une chaise longue, voici une sélection très personnelle et non exhaustive d’ouvrages.
Philippe Triay•
Marre de la Coupe du monde de foot, de joueurs égocentriques et des foules hurlantes lobotomisées ? Marre des émissions soporifiques du petit écran et des télénovelas débiles ? De twitter comme un robot ? De publier vos états d’âmes sur Facebook ? Allez, prenez de la hauteur, et un bon livre. Respirez, élevez-vous. Voici nos suggestions pour les vacances.
Raphaël Confiant
Raphaël Confiant, « Les Saint-Aubert » (tome 2)
Voici le deuxième volet de la saga des Saint-Aubert, de l’écrivain martiniquais Raphaël Confiant (photo). Et c’est toujours un plaisir que de retrouver la plume alerte de ce romancier, ses personnages truculents et sa formidable connaissance des moindres arcanes de l’histoire de son île. Dans le premier volume (L’En-allée du siècle, 1900-1920), la famille Saint-Aubert, originaire de Saint-Pierre, fuyait l’éruption de la Montagne Pelée, en 1902, pour s’installer à Fort-de-France. La première Guerre mondiale éclate un peu plus tard, à laquelle participe Tertullien Saint-Aubert, le fils cadet, qui est avocat, au sein du « Bataillon créole ». Il en reviendra mutilé, alors que sa mère, Marie-Elodie, sombre dans la folie.
Dans le tome 2, l’aîné de la fratrie des Saint-Aubert, l’anticonformiste Saint-Just, écrivain à ses heures perdues, est en butte à des tracasseries administratives à cause de sa concubine, femme de caractère. Le « petit » dernier, Florian, bijoutier de son état, entre en politique sous la bannière communiste alors que leur soeur Euphrasie, pianiste émérite, ne se remet pas de la mort de son mari tombé à Verdun. C’est alors que se propage à la Martinique la rumeur selon laquelle les Antilles françaises vont être cédées aux Etats-Unis pour rembourser les dettes de guerre… Raphaël Confiant, « Les Saint-Aubert (tome 2), Les trente-douze mille douleurs » - éditions Ecriture, mai 2014, 313 pages, 21 euros.
Dans son nouveau livre, « Du Touloulou au Tololo – Le bal paré-masqué, son évolution », la Guyanaise Aline Belfort réalise non seulement un travail d’historienne, mais également une véritable enquête sociologique qui l’a amenée à interroger une centaine de personnes, carnavaliers ou simples spectateurs du bal paré-masqué de Guyane. Résultat, un ouvrage très complet sur les origines et les mutations du carnaval de Guyane, ses « touloulous » et « tololos ».
« J’ai eu envie de faire des recherches sur cette manifestation festive inédite, car elle ne se déroule qu’en Guyane » précise Aline Belfort. « J’ai commencé ce travail en 1996, et l’ai achevé en l’an 2000 avec la parution d’un ouvrage sur l’origine du bal paré-masqué et son évolution (« Le bal paré-masqué, un aspect du carnaval de la Guyane française », Ibis Rouge Editions, 2000, ndlr). »
« Depuis les trente dernières années, le bal paré-masqué ne cesse de prendre de l’importance et pourtant on annonce toujours sa mort prochaine. Ce bal remonte au début du XIXe siècle. Il a commencé dans la société de plantation puis il a évolué. On peut dire qu’il a pris véritablement naissance en 1896 dans une société clivée ou la classe populaire organisait ses bals avec un caractère propre, où les danses traditionnelles étaient en vigueur. »
Lire la suite ici : Du Touloulou au Tololo, l’évolution du bal paré-masqué en Guyane Aline Belfort, « Du Touloulou au Tololo – Le bal paré-masqué, son évolution », Ibis Rouge Editions, décembre 2013, 126 pages, 20 euros.
C’est un gros pavé de près de 500 pages, mais on suppose que le lecteur est en vacances et qu’il a le temps. Et cela en vaut la peine. L’auteur, Kabello Sello Duiker, est un Noir sud-africain de la génération post-apartheid. Né à Soweto, dans la banlieue de Johannesburg, en 1974, il se suicide en 2005. « La sourde violence des rêves » est son deuxième et dernier roman, publié à l’âge de 26 ans. Un livre primé, encensé par la presse et devenu culte dans certains cercles littéraires sud-africains. Mieux vaut tard que jamais, il a été traduit en français cette année, treize ans après sa parution.
L’ouvrage, largement autobiographique, a pour cadre la ville du Cap. Tshepo, un étudiant introverti et marginal, est en proie à ses démons intimes. Séjours en hôpitaux psychiatriques, alcool, drogues, sexe, prostitution, l’errance urbaine et désespérée de l’auteur l’amène à rencontrer toutes sortes de gens dans la « nouvelle Afrique du Sud », loin de représenter une image d’Epinal. A travers le principal protagoniste, le roman aborde aussi ouvertement le thème de l’homosexualité, des Noirs notamment. Un tabou majeur en Afrique du Sud comme dans le reste du continent. Avec une écriture dense et parfois violente, la sensibilité exacerbée de Sello Duiker s’exprime avec grâce et profondeur. Un grand livre. Kabello Sello Duiker, « La sourde violence des rêves » - éditions Vent d’Ailleurs, mars 2014, 492 pages, 23 euros.
L’Afrique, l’Europe, l’exil, l’immigration, l’altérité… A travers l’itinéraire de deux migrants, la romancière martiniquaise Fabienne Kanor aborde la question de l’identité individuelle. Une aventure intime et humaine qui résonne en chacun de nous.
Quatre ans après son dernier livre (« Anticorps », chez Gallimard), l’écrivaine et réalisatrice Fabienne Kanor revient avec un roman sur l’exil et les cheminements identitaires, deux thèmes récurrents dans son œuvre littéraire et de documentariste. Voici donc les histoires entrecroisées de Biram et Marème, deux jeunes Sénégalais (un homme et une femme) qui vont quitter Mbour et Dakar pour les mirages de l’Europe. Tenerife, Lampedusa, Rome, Paris… Dans une sorte de voyage initiatique, les deux protagonistes vont « faire l’aventure » et affronter les doutes, la peur, les autres, leurs rêves, tout ce qui constitue notre humanité et construit nos personnalités. Nous avons rencontré l’auteur qui nous a livrés quelques clés de son roman et de son travail d'écriture.
Lire ici : Fabienne Kanor, « Faire l’aventure », l’odyssée de l’exil Fabienne Kanor – « Faire l’aventure » – éditions JC Lattès, janvier 2014, 364 pages, 18 euros.
Originaire de la Guadeloupe, Dominique Lancastre a publié trois romans qui constituent une chronique sociale de son île natale. En arrière-plan, les événements de mai 67 et l'éruption de la Soufrière, entre autres. Ce jeune écrivain voyageur est l’une des figures montantes de la littérature antillaise.
« La Véranda » parle d’une enfance en Guadeloupe, bercée par les contes, la parole, les rencontres, l’imaginaire. C’est l’histoire d’un petit garçon qui s’éveille au monde, découvre l’univers des adultes au cours d’un périple initiatique, entre réel et monde onirique. Ce livre a rencontré un réel succès et est au programme de certains collèges de Martinique et de Guadeloupe.
Lire ici : Dominique Lancastre, l’éclectique écrivain. Dominique Lancastre, « La Véranda » - éditions Fortuna, octobre 2013 (prix du Bal de Paris du roman d'Outre-mer), 73 pages.
Le Britannique Philip Kerr est un des maîtres du polar historique. Spécialiste de l’Allemagne et de la Seconde Guerre mondiale, ses romans se déroulent dans l’ambiance lugubre et violente de cette période, incluant l’avant et l’après guerre. Kerr est l’auteur entre autres de la célèbre « Trilogie berlinoise », qui met en scène le détective privé Bernie Gunther.
Ce dernier n’apparaît pas dans « La Paix des dupes ». Cet ouvrage est une fiction basée sur un événement réel : la conférence des « Trois Grands » (Churchill, Roosevelt et Staline), qui s’est tenue à Téhéran en octobre 1943, alors que l’Allemagne entame sa débâcle militaire et souhaite négocier une sortie honorable. Philip Kerr imagine les détails de l’organisation de la réunion, en pénétrant dans les coulisses des protagonistes. Rivalités, intrigues, complots, assassinats… Sur fond d’une guerre impitoyable et sa cohorte de massacres, la diplomatie a du mal à se frayer un chemin. Sans compter qu’Hitler n’a pas dit son dernier mot.
Cet incroyable roman, soutenu par des faits réels, balade le lecteur de Washington à Berlin et du Caire à Téhéran, et le plonge dans les entourages et l’intimité de Churchill, Roosevelt, Staline et Hitler, dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler parfois le roman de Jonathan Littell, « Les Bienveillantes », primé au Goncourt en 2006. Philip Kerr, « La Paix des dupes » - Le livre de poche, 619 pages, 8,10 euros.
Tom Reiss, « Dumas, le comte noir »
Les éditions Flammarion ont publié une traduction de la biographie détaillée du général franco-haïtien Dumas, père du romancier Alexandre Dumas, écrite par le journaliste américain Tom Reiss. Cet ouvrage, « Dumas, le comte noir », a obtenu le prix Pulitzer en 2013.
Comment donc le général Dumas, qui devint le premier général d’origine antillaise sous la Révolution française, héros militaire des batailles d’Egypte sous Bonaparte, et par ailleurs père vénéré par son fils le grand écrivain Alexandre Dumas, a-t-il pu ainsi tomber dans l’oubli ? Dans sa biographie très exhaustive, fruit de considérables recherches historiques, Tom Reiss retrace avec minutie le parcours du général Dumas, le mettant en parallèle avec les œuvres de son fils Alexandre, auteur du légendaire « Comte de Monte-Cristo ». Le destin littéraire de ce personnage, d’ailleurs, est symboliquement inspiré des tribulations de la vie du père de l’écrivain, ce père adulé mais à peine connu, mort peu avant ses quatre ans, qui laissera néanmoins une empreinte indélébile. Un ouvrage pour des vacances studieuses. Lire ici : Le général Dumas, grandeur et déchéance du comte noir Tom Reiss, « Dumas, le comte noir (Gloire, Révolution, Trahison : l’histoire du vrai comte de Monte-Cristo) » - éditions Flammarion, 472 pages, 23 euros.
Dany Laferrière, « Journal d’un écrivain en pyjama »