10 livres à savourer pour les vacances

Les vacances arrivent à grand pas, ou ont déjà commencé pour certains. Pour ceux, dont nous sommes, qui aiment le farniente en lecture, bien calé dans un fauteuil ou une chaise longue, voici une sélection très personnelle et non exhaustive d’ouvrages. 
Marre de la Coupe du monde de foot, de joueurs égocentriques et des foules hurlantes lobotomisées ? Marre des émissions soporifiques du petit écran et des télénovelas débiles ? De twitter comme un robot ? De publier vos états d’âmes sur Facebook ? Allez, prenez de la hauteur, et un bon livre. Respirez, élevez-vous. Voici nos suggestions pour les vacances.    

 
Raphaël Confiant

Raphaël Confiant, « Les Saint-Aubert » (tome 2)

Voici le deuxième volet de la saga des Saint-Aubert, de l’écrivain martiniquais Raphaël Confiant (photo). Et c’est toujours un plaisir que de retrouver la plume alerte de ce romancier, ses personnages truculents et sa formidable connaissance des moindres arcanes de l’histoire de son île.
Dans le premier volume (L’En-allée du siècle, 1900-1920), la famille Saint-Aubert, originaire de Saint-Pierre, fuyait l’éruption de la Montagne Pelée, en 1902, pour s’installer à Fort-de-France. La première Guerre mondiale éclate un peu plus tard, à laquelle participe Tertullien Saint-Aubert, le fils cadet, qui est avocat, au sein du « Bataillon créole ». Il en reviendra mutilé, alors que sa mère, Marie-Elodie, sombre dans la folie.
Dans le tome 2, l’aîné de la fratrie des Saint-Aubert, l’anticonformiste Saint-Just, écrivain à ses heures perdues, est en butte à des tracasseries administratives à cause de sa concubine, femme de caractère. Le « petit » dernier, Florian, bijoutier de son état, entre en politique sous la bannière communiste alors que leur soeur Euphrasie, pianiste émérite, ne se remet pas de la mort de son mari tombé à Verdun. C’est alors que se propage à la Martinique la rumeur selon laquelle les Antilles françaises vont être cédées aux Etats-Unis pour rembourser les dettes de guerre… 
Raphaël Confiant, « Les Saint-Aubert (tome 2), Les trente-douze mille douleurs » - éditions Ecriture, mai 2014, 313 pages, 21 euros.

 

Aline Belfort, « Du Touloulou au Tololo »

Dans son nouveau livre, « Du Touloulou au Tololo – Le bal paré-masqué, son évolution », la Guyanaise Aline Belfort réalise non seulement un travail d’historienne, mais également une véritable enquête sociologique qui l’a amenée à interroger une centaine de personnes, carnavaliers ou simples spectateurs du bal paré-masqué de Guyane. Résultat, un ouvrage très complet sur les origines et les mutations du carnaval de Guyane, ses « touloulous » et « tololos ». 
« J’ai eu envie de faire des recherches sur cette manifestation festive inédite, car elle ne se déroule qu’en Guyane » précise Aline Belfort. « J’ai commencé ce travail en 1996, et l’ai achevé en l’an 2000 avec la parution d’un ouvrage sur l’origine du bal paré-masqué et son évolution (« Le bal paré-masqué, un aspect du carnaval de la Guyane française », Ibis Rouge Editions, 2000, ndlr). »
« Depuis les trente dernières années, le bal paré-masqué ne cesse de prendre de l’importance et pourtant on annonce toujours sa mort prochaine. Ce bal remonte au début du XIXe siècle. Il a commencé dans la société de plantation puis il a évolué. On peut dire qu’il a pris véritablement naissance en 1896 dans une société clivée ou la classe populaire organisait ses bals avec un caractère propre, où les danses traditionnelles étaient en vigueur. »
Lire la suite ici : Du Touloulou au Tololo, l’évolution du bal paré-masqué en Guyane
Aline Belfort, « Du Touloulou au Tololo – Le bal paré-masqué, son évolution », Ibis Rouge Editions, décembre 2013, 126 pages, 20 euros. 

 

K. Sello Duiker, « La sourde violence des rêves »

C’est un gros pavé de près de 500 pages, mais on suppose que le lecteur est en vacances et qu’il a le temps. Et cela en vaut la peine. L’auteur, Kabello Sello Duiker, est un Noir sud-africain de la génération post-apartheid. Né à Soweto, dans la banlieue de Johannesburg, en 1974, il se suicide en 2005. « La sourde violence des rêves » est son deuxième et dernier roman, publié à l’âge de 26 ans. Un livre primé, encensé par la presse et devenu culte dans certains cercles littéraires sud-africains. Mieux vaut tard que jamais, il a été traduit en français cette année, treize ans après sa parution.
L’ouvrage, largement autobiographique, a pour cadre la ville du Cap. Tshepo, un étudiant introverti et marginal, est en proie à ses démons intimes. Séjours en hôpitaux psychiatriques, alcool, drogues, sexe, prostitution, l’errance urbaine et désespérée de l’auteur l’amène à rencontrer toutes sortes de gens dans la « nouvelle Afrique du Sud », loin de représenter une image d’Epinal. A travers le principal protagoniste, le roman aborde aussi ouvertement le thème de l’homosexualité, des Noirs notamment. Un tabou majeur en Afrique du Sud comme dans le reste du continent. Avec une écriture dense et parfois violente, la sensibilité exacerbée de Sello Duiker s’exprime avec grâce et profondeur. Un grand livre.  
Kabello Sello Duiker, « La sourde violence des rêves » - éditions Vent d’Ailleurs, mars 2014, 492 pages, 23 euros.

 

Fabienne Kanor, « Faire l’aventure »

L’Afrique, l’Europe, l’exil, l’immigration, l’altérité… A travers l’itinéraire de deux migrants, la romancière martiniquaise Fabienne Kanor aborde la question de l’identité individuelle. Une aventure intime et humaine qui résonne en chacun de nous.
Quatre ans après son dernier livre (« Anticorps », chez Gallimard), l’écrivaine et réalisatrice Fabienne Kanor revient avec un roman sur l’exil et les cheminements identitaires, deux thèmes récurrents dans son œuvre littéraire et de documentariste. Voici donc les histoires entrecroisées de Biram et Marème, deux jeunes Sénégalais (un homme et une femme) qui vont quitter Mbour et Dakar pour les mirages de l’Europe. Tenerife, Lampedusa, Rome, Paris… Dans une sorte de voyage initiatique, les deux protagonistes vont « faire l’aventure » et affronter les doutes, la peur, les autres, leurs rêves, tout ce qui constitue notre humanité et construit nos personnalités. Nous avons rencontré l’auteur qui nous a livrés quelques clés de son roman et de son travail d'écriture.
Lire ici : Fabienne Kanor, « Faire l’aventure », l’odyssée de l’exil
Fabienne Kanor – « Faire l’aventure » – éditions JC Lattès, janvier 2014, 364 pages, 18 euros.

Véronique Kanor, « Combien de solitudes… »

Cet ouvrage est le récit poétique et intimiste d’un retour paradoxal au pays Martinique. En filigrane, la grève de février 2009 dans l'île contre la « profitation ».
Avec des accents très personnels, et une construction qui rappelle le magnifique « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire, la réalisatrice martiniquaise Véronique Kanor (la sœur de Fabienne, voir ci-dessus) plonge sans complaisance dans l’univers de l’île de ses ancêtres, sans cacher son mal être et son malaise. « Je suis le vernis cassé. Je suis la misère délabrée, le poisson mal vidé. Je suis ma case en tôle, une jarre d’or qui n’existe pas. Je suis la nouvelle venue à godillots, celle qui ne sait pas faire la bise avec le front, celle qui revient au pays prénatal sans avoir composté l’aller. » Ce récit est le premier ouvrage édité de la cinéaste, et nous espérons qu’elle délaissera plus souvent sa caméra pour se consacrer à l’écriture. Car ce livre est un petit chef d’œuvre.
Signalons également la récente publication de la dernière création de Véronique Kanor, « Le Temps suspendu de Thuram » (théâtre), chez Lansman Editeur/L’Artchipel (Belgique).
Lire ici : Véronique Kanor, cahier d’un retour au « pays prénatal »
Véronique Kanor, « Combien de solitudes… » - éditions Présence africaine, décembre 2013, 65 pages, 13 euros.

 

Dominique Lancastre, « La Véranda » 

Originaire de la Guadeloupe, Dominique Lancastre a publié trois romans qui constituent une chronique sociale de son île natale. En arrière-plan, les événements de mai 67 et l'éruption de la Soufrière, entre autres. Ce jeune écrivain voyageur est l’une des figures montantes de la littérature antillaise.
« La Véranda » parle d’une enfance en Guadeloupe, bercée par les contes, la parole, les rencontres, l’imaginaire. C’est l’histoire d’un petit garçon qui s’éveille au monde, découvre l’univers des adultes au cours d’un périple initiatique, entre réel et monde onirique. Ce livre a rencontré un réel succès et est au programme de certains collèges de Martinique et de Guadeloupe.
Lire ici : Dominique Lancastre, l’éclectique écrivain.
Dominique Lancastre, « La Véranda » - éditions Fortuna, octobre 2013 (prix du Bal de Paris du roman d'Outre-mer), 73 pages.
 

Solomon Northup, « 12 Years a Slave » 

Sans le film éponyme de Steve McQueen, ce livre n’aurait vraisemblablement jamais vu le jour en français. Cette autobiographie passionnante est celle de Solomon Northup, un Noir américain né libre en 1808 dans l’Etat de New York. Ouvrier, mais par ailleurs instruit et excellent violoniste, ce qui lui permet d’arrondir ses fins de mois, Northup mène une vie paisible aux côtés de sa femme et de ses trois enfants. Jusqu’au jour où il est enlevé, à l’âge de 33 ans, et vendu comme esclave dans le Sud. Il restera douze ans en esclavage, avant de retrouver la liberté.
L’ouvrage, qui se lit comme un roman d’aventure, ne raconte pas seulement l’histoire de Solomon Northup. Il fournit également une vision exhaustive de ce que pouvait être la vie sur une plantation esclavagiste, son organisation, son rythme, les travaux, les punitions, les relations avec les maîtres… L’auteur résume ainsi son statut : « Je devais travailler jour après jour, endurer des abus, des railleries, des moqueries, dormir sur le sol dur, vivre de la nourriture la plus infâme. Non seulement ça, mais je devais être l’esclave d’un misérable assoiffé de sang et vivre constamment dans la peur. » A travers cette expérience de douze années de servitude, Solomon Northup mesurera « l’étendue de l’inhumanité de l’homme envers l’homme », et le « degré infini de cruauté qu’il est prêt à atteindre par amour du gain ».
Solomon Northup, « 12 Years a Slave » - éditions Michel Lafon (mars 2014 pour la traduction française), 300 pages, 16,95 euros.  

 

Philip Kerr, « La Paix des dupes »

Le Britannique Philip Kerr est un des maîtres du polar historique. Spécialiste de l’Allemagne et de la Seconde Guerre mondiale, ses romans se déroulent dans l’ambiance lugubre et violente de cette période, incluant l’avant et l’après guerre. Kerr est l’auteur entre autres de la célèbre « Trilogie berlinoise », qui met en scène le détective privé Bernie Gunther.
Ce dernier n’apparaît pas dans « La Paix des dupes ». Cet ouvrage est une fiction basée sur un événement réel : la conférence des « Trois Grands » (Churchill, Roosevelt et Staline), qui s’est tenue à Téhéran en octobre 1943, alors que l’Allemagne entame sa débâcle militaire et souhaite négocier une sortie honorable. Philip Kerr imagine les détails de l’organisation de la réunion, en pénétrant dans les coulisses des protagonistes. Rivalités, intrigues, complots, assassinats… Sur fond d’une guerre impitoyable et sa cohorte de massacres, la diplomatie a du mal à se frayer un chemin. Sans compter qu’Hitler n’a pas dit son dernier mot.
Cet incroyable roman, soutenu par des faits réels, balade le lecteur de Washington à Berlin et du Caire à Téhéran, et le plonge dans les entourages et l’intimité de Churchill, Roosevelt, Staline et Hitler, dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler parfois le roman de Jonathan Littell, « Les Bienveillantes », primé au Goncourt en 2006.
Philip Kerr, « La Paix des dupes » - Le livre de poche, 619 pages, 8,10 euros.
 

Tom Reiss, « Dumas, le comte noir » 

Les éditions Flammarion ont publié une traduction de la biographie détaillée du général franco-haïtien Dumas, père du romancier Alexandre Dumas, écrite par le journaliste américain Tom Reiss. Cet ouvrage, « Dumas, le comte noir », a obtenu le prix Pulitzer en 2013.  
Comment donc le général Dumas, qui devint le premier général d’origine antillaise sous la Révolution française, héros militaire des batailles d’Egypte sous Bonaparte, et par ailleurs père vénéré par son fils le grand écrivain Alexandre Dumas, a-t-il pu ainsi tomber dans l’oubli ? Dans sa biographie très exhaustive, fruit de considérables recherches historiques, Tom Reiss retrace avec minutie le parcours du général Dumas, le mettant en parallèle avec les œuvres de son fils Alexandre, auteur du légendaire « Comte de Monte-Cristo ». Le destin littéraire de ce personnage, d’ailleurs, est symboliquement inspiré des tribulations de la vie du père de l’écrivain, ce père adulé mais à peine connu, mort peu avant ses quatre ans, qui laissera néanmoins une empreinte indélébile. Un ouvrage pour des vacances studieuses. Lire ici : Le général Dumas, grandeur et déchéance du comte noir
Tom Reiss, « Dumas, le comte noir (Gloire, Révolution, Trahison : l’histoire du vrai comte de Monte-Cristo) » - éditions Flammarion, 472 pages, 23 euros. 
 

Dany Laferrière, « Journal d’un écrivain en pyjama » 

Ce livre avec un drôle de titre s’adresse aux amoureux de la littérature, rédigé par l'un d'entre eux. Ecrire (un peu partout), et lire, dans son lit (en pyjama) ou dans son bain, sont les passions indissociables de l’écrivain haïtien, canadien d’adoption, élu récemment à l’Académie française. Plus que des passions d’ailleurs : une exigence vitale et quotidienne. « Après deux jours je suis en manque », avoue-t-il.
A son neveu, qui souhaite écrire, ou au lecteur, Danny Laferrière prodigue ses conseils, d’expert, il faut le reconnaître, qu’il ponctue de délicieux aphorismes. « On écrit dans la pénombre d’une petite chambre avec une fenêtre qui donne sur la vie » ; « Visez le cœur du lecteur, même si on sait que c’est avec la tête qu’il lit » ; « On lève la tête vers le ciel pour chercher l’inspiration alors que la vie grouille autour de nous »…
En 182 petits chapitres, le romancier fait partager son amour de la littérature, en appelant aussi bien aux grands auteurs classiques qu’aux écrivains contemporains. Il parle également de lui, de son enfance en Haïti, de sa mère et de son parcours d’écrivain : « C’est moi ce long roman qui se décline en plusieurs séquences. Dans mon cas c’est un monologue qui dure près de trente ans. Pendant toutes ces années, j’ai joué à mettre ensemble ces vingt-six lettres de l’alphabet afin d’exprimer le plus nettement possible ma vision des choses. »
Lire la suite ici : Ecrire, les bons conseils de Dany Laferrière
Dany Laferrière – « Journal d’un écrivain en pyjama », éditions Grasset, septembre 2013, 315 pages, 19 euros.