Huit mois après le vote de la résolution reconnaissant officiellement l’affaire des enfants réunionnais exilés en métropole de 1963 à1982, les associations qui ont mené ce combat se retrouvent à Quézac dans le Cantal autour de la députée Ericka Bareigts.
Ce n’est pas souvent que Quézac, cette petite commune de 348 âmes (376 si on compte les étudiants) s’anime. Certes, la nature est luxuriante, c’est la période des châtaignes, mais le village paraît bien tranquille. Ce samedi 11 octobre 2014, une dizaine de Réunionnais de la Creuse et du Cantal se sont retrouvés avec leurs proches autour de la députée Ericka Bareigts. C’est elle qui a permis l’adoption à l’Assemblée nationale le 14 février dernier d’une résolution reconnaissant le mauvais traitement subi par ces 1615 enfants réunionnais envoyés contre leur gré pour peupler les régions désertifiées de l’hexagone de 1963 à 1982.
Pas d'archives
C’est Michel Debré, ex-premier ministre du général de Gaulle et élu député de la Réunion en 1963 qui est à l’origine de cette affaire dite des "Réunionnais de la Creuse". Certains d’entre eux, une cinquantaine ont atterri dans un foyer à Quézac dans le Cantal. Ce samedi, la députée a donc pu visiter ce lieu qui aujourd’hui accueille une quarantaine de jeunes de 6 à 18 ans en difficulté sociale. Le directeur de cet établissement est le maire de Quézac, Antoine Gimenez. Il se rappelle très bien avoir eu plusieurs amis réunionnais quand il travaillait à Aurillac. Certains ne se sont jamais vraiment remis de cette période. "Ce qui est étrange dans cette histoire ajoute-t-il, c’est qu’il n’y a aucune archive au foyer à Quezac, et même à la DDASS à Aurillac, ils disent qu’il n’y a rien".
"C'était tabou"
En visitant le foyer, Serge Tétry se souvient. Il est arrivé à 7 ans en 1966 à Quézac, sans savoir pourquoi on l’avait envoyé là. « Il n’y avait rien dans ce village. On passait notre temps à garder les vaches et à ramasser le fumier. J’ai pu aller un peu à l’école, raconte-t-il mais c’est là que j’ai subi des attouchements de la part du maître. Je n’en ai jamais parlé jusqu’à présent. A l’époque c’était tabou, on ne disait rien. »
"J'ai dû m'adapter"
Son compagnon d’infortune, Henry Annony, regarde les bâtiments avec émotion. C’est la deuxième fois qu’il revient à Quézac. "La vie était rude ici, on avait très froid et il y avait beaucoup de tâches à faire comme s’occuper des poules et des cochons. Avec Serge, on a souvent fugué, mais au bout d’un moment j’ai dû m’adapter. J'ai appris le métier de boulanger. Il n’y avait pas le choix, et c’est peut-être ça qui m’a rendu un peu dur".
Mic-Vincent
Le président de l’association Génération brisée, Jean-Charles Pitou avoue quand même avoir passé de bons moments à Quézac. "Pendant les vacances, j’allais chez des paysans très gentils. Leur fils avait monté un groupe qui s’appelait Mic-Vincent. Tous les samedis soirs, il jouait de la musique et il m’emmenait dans les bals de village. Mais autour de moi, souligne Jean-Charles Pitou, c’est l’hécatombe. Des suicides, de longs séjours en hôpital psychiatrique, beaucoup d’entre nous ne se sont jamais remis de ce traumatisme".
"Vous êtes formidables"
La députée de La Réunion Ericka Bareigts choie ces Réunionnais qui ont tant souffert durant leur enfance. A Quézac, elle leur lance : "Vous êtes formidables car il y a très peu de gens qui auraient résisté à ce que vous avez vécu. Il faut que cette histoire nous serve. A La Réunion, on parle toujours de problème de démographie, mais la richesse d’un pays ce sont ses hommes et ses femmes. Au lieu de garder nos forces à La Réunion, on les envoie ailleurs". Et de conclure : "Il faut qu’on raisonne autrement chez nous".
Le dossier de la1ere
Lors du vote de la résolution mémorielle, la1ere.fr avait consacré une série d'articles aux Réunionnais de la Creuse, retransmettant également les débats de l'Assemblée nationale dans leur intégralité. L'ensemble de ces articles est à retrouver par ici.