Jean-Claude Tchicaya enseigne l'Education civique et sociale en Seine-Saint-Denis. Martiniquais par sa mère, il intervient depuis les années 90 dans les écoles, les collèges et les lycées, à la demande du gouvernement. Une semaine après les attentats qui ont frappé la France, il répond aux questions de la1ere.fr.
La1ère : Comment réagissent vos élèves aux attentats de la semaine dernière ?
Jean-Claude Tchicaya : Beaucoup d’élèves que je rencontre en Seine-St-Denis respectent l’effroi mais ne condamnent pas l’attentat contre Charlie Hebdo. Certains estiment qu'il ne faut pas caricaturer le prophète. J’interviens dans des classes où des élèves ont refusé de faire la minute de silence en hommage aux victimes des attentats. Il y a aussi une classe où un élève a demandé une minute de silence en l’honneur d’Amedy Coulibaly, mais cela avait déjà été le cas pour Mohamed Merah. Il y a quelques années, dans un établissement, des élèves avaient collé la photo de Ben Laden sur leur cahier de correspondance. Ces réactions et ce discours radical ne sont pas nouveaux, mais ils se durcissent, se propagent et se renforcent.
J’ai des classes dans lesquelles les élèves n’ont pas manifesté la moindre opposition à la minute de silence, mais ce n’est pas bon signe pour autant. Certains n’ont pas osé s’opposer de manière outrancière mais quand on gratte un peu, on s’aperçoit qu’ils n’adhérent pas complètement aux idées de la République.
Qui sont les élèves qui ne condamnent pas l'attentat contre Charlie Hebdo ?
Les discours radicaux ne séduisent pas seulement des élèves en difficulté scolaire, mais aussi des jeunes qui ont d’excellentes notes. En prônant un discours radical, opposé à celui de l'école, ils se sentent forts et prennent confiance. Quand on discute arguments contre arguments, ils sont gonflés dans leur ego parce qu’ils arrivent à nous contredire, ils se sentent tout puissants dans l’opposition.
Parfois, les discussions ont lieu entre élèves de confession musulmane. Ceux qui défendent un islam radical et les autres qui ne trouvent pas les arguments intellectuels pour se défendre, pour défendre leur religion. Alors le ton monte entre eux : "Ce que tu dis, c’est contre le prophète…" Là, c’est le moment où je les ramène aux institutions.
Mais de manière générale, je constate chez tous les élèves un besoin de spiritualité, parce qu’ils ressentent un vide. Un vide idéologique, politique aussi sûrement.
Comment réagissez-vous face à ces jeunes ?
Ils sont parfois difficiles à raisonner. Je mets en avant la République et ses institutions. Je leur rappelle qu’ils sont citoyens, qu’ils sont les garants de la République, et qu'ils doivent en être les acteurs.
Je mets en avant la démocratie, la citoyenneté, et l’interculturalité. Il ne faut pas qu’une composante identitaire prenne le dessus sur l’autre.
Notre mission est d’instruire, d’expliquer, de déconstruire ce mécanisme d’idées radicales nocives qui s'est installé.
Il faut aussi travailler sur ce manque de confiance en soi dont souffrent les jeunes, car c’est cela qui les amène à s’intéresser à ces idées radicales. Et il y a le même phénomène Outre-Mer, en Martinique et ailleurs. Les jeunes doivent se réapproprier la République.
En quoi consiste votre heure de cours ?
La priorité c’est de déconstruire des schémas d’idées qu’ils se sont construits.
En premier, j’introduis le cours, je rappelle le cadre institutionnel. L’initiative institutionnelle et républicaine a fondé cet enseignement.
Dans un second temps, je déconstruis ce qu’est une actualité. Parce que ces thèses radicales et ces menaces sur la République ne sont pas nouvelles.
Dans un troisième temps, c’est à eux de réagir. Durant quinze minutes, ils s’expriment, déplorent, condamnent… Ces derniers jours, le débat dans une classe était de savoir si les auteurs des attentats étaient des musulmans. A ce moment-là, je recadre le débat : oui, ils se disaient musulmans, ils l’étaient dans leur pratique religieuse mais ce n’est pas comme ça que nous devons les qualifier. Ces gens sont avant tout des terroristes, des criminels, je les ramène sur le cadre de la loi, de la justice et des instances de la République.
Je prends souvent l'exemple suivant : si un prêtre catholique viole un enfant, on dit que c’est un prêtre, on ne cache pas qu’il est catholique, mais c’est avant tout un criminel au regard du droit. Le Vatican et les institutions religieuses agiront ensuite de leur côté.
A la fin du cours, je leur demande de rédiger un texte sur leurs aspirations, ceux en quoi ils croient, ce dans quoi ils s’engagent, ceux qu’ils condamnent, ce qu’ils ne comprennent pas... A tout moment, si l’un d’eux sort des clous, je sanctionne. Cela va du renvoi de trois jours, au conseil de discipline.
Les professeurs sont-ils prêts à contrer ces thèses radicales ?
Non, pour l’instant ils ne le sont pas. En arrivant dans un établissement en début de semaine, un professeur désemparé est venu vers moi : "Un élève m’a réclamé une minute de silence pour Amedy Coulibaly !" Il était effrayé et ne savait pas comment réagir.
Les professeurs sont pris de cours, ils mobilisent les idées qu’ils ont sous le coude mais le discours n’est pas préparé et tous ne sont pas armés.
Il faut aussi surveiller ce qu’il se passe aux abords des établissements. Hier, une collégienne est venue me voir pour me demander d’intervenir dans le lycée de sa grande sœur. "A la sortie du lycée, me dit-elle, il y des messieurs barbus qui disent aux filles qu’elles doivent se marier". Certaines filles, par peur, parce qu’elles partagent la même foi ou par manque de confiance, pourraient les suivre.
Jean-Claude Tchicaya était l'invité du journal Info Soir, hier, sur France Ô, cliquez ici pour regarder la vidéo.
Jean-Claude Tchicaya : Beaucoup d’élèves que je rencontre en Seine-St-Denis respectent l’effroi mais ne condamnent pas l’attentat contre Charlie Hebdo. Certains estiment qu'il ne faut pas caricaturer le prophète. J’interviens dans des classes où des élèves ont refusé de faire la minute de silence en hommage aux victimes des attentats. Il y a aussi une classe où un élève a demandé une minute de silence en l’honneur d’Amedy Coulibaly, mais cela avait déjà été le cas pour Mohamed Merah. Il y a quelques années, dans un établissement, des élèves avaient collé la photo de Ben Laden sur leur cahier de correspondance. Ces réactions et ce discours radical ne sont pas nouveaux, mais ils se durcissent, se propagent et se renforcent.
Un élève a demandé un minute de silence pour Coulibaly
J’ai des classes dans lesquelles les élèves n’ont pas manifesté la moindre opposition à la minute de silence, mais ce n’est pas bon signe pour autant. Certains n’ont pas osé s’opposer de manière outrancière mais quand on gratte un peu, on s’aperçoit qu’ils n’adhérent pas complètement aux idées de la République.
Qui sont les élèves qui ne condamnent pas l'attentat contre Charlie Hebdo ?
Les discours radicaux ne séduisent pas seulement des élèves en difficulté scolaire, mais aussi des jeunes qui ont d’excellentes notes. En prônant un discours radical, opposé à celui de l'école, ils se sentent forts et prennent confiance. Quand on discute arguments contre arguments, ils sont gonflés dans leur ego parce qu’ils arrivent à nous contredire, ils se sentent tout puissants dans l’opposition.
Ils prennent confiance en défendant ces idées radicales
Parfois, les discussions ont lieu entre élèves de confession musulmane. Ceux qui défendent un islam radical et les autres qui ne trouvent pas les arguments intellectuels pour se défendre, pour défendre leur religion. Alors le ton monte entre eux : "Ce que tu dis, c’est contre le prophète…" Là, c’est le moment où je les ramène aux institutions.
Mais de manière générale, je constate chez tous les élèves un besoin de spiritualité, parce qu’ils ressentent un vide. Un vide idéologique, politique aussi sûrement.
Comment réagissez-vous face à ces jeunes ?
Ils sont parfois difficiles à raisonner. Je mets en avant la République et ses institutions. Je leur rappelle qu’ils sont citoyens, qu’ils sont les garants de la République, et qu'ils doivent en être les acteurs.
Ils doivent être les acteurs de la République
Je mets en avant la démocratie, la citoyenneté, et l’interculturalité. Il ne faut pas qu’une composante identitaire prenne le dessus sur l’autre.
Notre mission est d’instruire, d’expliquer, de déconstruire ce mécanisme d’idées radicales nocives qui s'est installé.
Il faut aussi travailler sur ce manque de confiance en soi dont souffrent les jeunes, car c’est cela qui les amène à s’intéresser à ces idées radicales. Et il y a le même phénomène Outre-Mer, en Martinique et ailleurs. Les jeunes doivent se réapproprier la République.
En quoi consiste votre heure de cours ?
La priorité c’est de déconstruire des schémas d’idées qu’ils se sont construits.
En premier, j’introduis le cours, je rappelle le cadre institutionnel. L’initiative institutionnelle et républicaine a fondé cet enseignement.
Dans un second temps, je déconstruis ce qu’est une actualité. Parce que ces thèses radicales et ces menaces sur la République ne sont pas nouvelles.
La question n’est pas de savoir si les auteurs des attentats sont des musulmans, ils sont, au regard de la loi, des criminels
Dans un troisième temps, c’est à eux de réagir. Durant quinze minutes, ils s’expriment, déplorent, condamnent… Ces derniers jours, le débat dans une classe était de savoir si les auteurs des attentats étaient des musulmans. A ce moment-là, je recadre le débat : oui, ils se disaient musulmans, ils l’étaient dans leur pratique religieuse mais ce n’est pas comme ça que nous devons les qualifier. Ces gens sont avant tout des terroristes, des criminels, je les ramène sur le cadre de la loi, de la justice et des instances de la République.
Je prends souvent l'exemple suivant : si un prêtre catholique viole un enfant, on dit que c’est un prêtre, on ne cache pas qu’il est catholique, mais c’est avant tout un criminel au regard du droit. Le Vatican et les institutions religieuses agiront ensuite de leur côté.
A la fin du cours, je leur demande de rédiger un texte sur leurs aspirations, ceux en quoi ils croient, ce dans quoi ils s’engagent, ceux qu’ils condamnent, ce qu’ils ne comprennent pas... A tout moment, si l’un d’eux sort des clous, je sanctionne. Cela va du renvoi de trois jours, au conseil de discipline.
Les professeurs sont-ils prêts à contrer ces thèses radicales ?
Non, pour l’instant ils ne le sont pas. En arrivant dans un établissement en début de semaine, un professeur désemparé est venu vers moi : "Un élève m’a réclamé une minute de silence pour Amedy Coulibaly !" Il était effrayé et ne savait pas comment réagir.
Pris de cours, les professeurs n’ont pas de discours préparé
Les professeurs sont pris de cours, ils mobilisent les idées qu’ils ont sous le coude mais le discours n’est pas préparé et tous ne sont pas armés.
Il faut aussi surveiller ce qu’il se passe aux abords des établissements. Hier, une collégienne est venue me voir pour me demander d’intervenir dans le lycée de sa grande sœur. "A la sortie du lycée, me dit-elle, il y des messieurs barbus qui disent aux filles qu’elles doivent se marier". Certaines filles, par peur, parce qu’elles partagent la même foi ou par manque de confiance, pourraient les suivre.
Jean-Claude Tchicaya était l'invité du journal Info Soir, hier, sur France Ô, cliquez ici pour regarder la vidéo.