GRAPHIQUES. 50 ans de la dépénalisation de l'avortement : en Outre-mer, la majorité des IVG sont réalisées hors d'un centre hospitalier

Dans une étude publiée mercredi 27 novembre, l'Institut national des études démographiques (Ined) se penche sur l'évolution des pratiques d'interruption volontaire de grossesse sur le territoire. En Outre-mer, où le taux d'IVG rapporté à la population est plus élevé que dans l'Hexagone, la plupart s'effectuent dans un cabinet médical ou un centre de santé.

Il y a 50 ans, le Parlement français adoptait la loi sur la dépénalisation de l'avortement portée par Simone Veil et entrée en vigueur en 1975. À l'occasion de cet anniversaire très symbolique et à l'heure où les droits reproductifs sont remis en cause dans plusieurs pays, dont les États-Unis, l'Institut national d'études démographiques (Ined) publie une étude dans la revue Population & Sociétés sur l'évolution des pratiques d'interruption volontaire de grossesse (IVG) en France.

Pour ce faire, les chercheuses se sont penchées sur les chiffres du Système national des données de santé (SNDS), qui recense le nombre d'avortements pratiqués dans chaque département, ainsi que la méthode utilisée : intervention chirurgicale dans un centre hospitalier, interruption médicamenteuse dans un centre hospitalier, ou bien interruption médicamenteuse en dehors de l'hôpital.

Premier constat : la majorité (4 sur 5) des IVG réalisées en France sont médicamenteuses. Autrement dit, l'avortement est de moins en moins l'affaire d'une intervention chirurgicale à l'hôpital, mais relève davantage de la prise d'un médicament.

Cette méthode beaucoup moins intrusive pour les femmes désirant avorter existe depuis 1988 et son usage n'a cessé de croître depuis. Elle se réalise soit à l'hôpital, dans un cabinet médical ou en centre de santé. Les médecins ou sage-femmes peuvent y réaliser un avortement jusqu'à la fin de la 7ᵉ semaine de grossesse, un délai rallongé en 2020 pendant la crise sanitaire.

Le monopole sur les comprimés abortifs

Dans les cinq départements et régions d'Outre-mer – Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte –, sur les 16.000 interruptions volontaires de grossesse réalisées en 2023, presque 90 % l'ont été via une prise de médicament. Une hausse considérable de cette pratique en relativement peu de temps (l'IVG médicamenteuse représentait 72 % des avortements Outre-mer en 2016, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, DREES).

Ce taux est d'ailleurs plus élevé que dans l'Hexagone, où "seulement" 78 % des avortements sont médicamenteux. Si les trois chercheuses de l'Ined à l'origine de cette étude n'entrent pas dans l'explication de ces différences territoriales, une des pistes avancées est la prise en charge relativement tôt des femmes voulant avorter. Car si l'intervention chirurgicale peut intervenir jusqu'à la 14ᵉ semaine de grossesse, la pilule abortive, elle, ne peut être prise que jusqu'à la 7ᵉ semaine de grossesse. 

Cette évolution de la pratique de l'avortement soulève néanmoins des questions. L'Ined souligne qu'un seul laboratoire pharmaceutique privé (Nordic Pharma) possède le monopole de la fabrication des pilules abortives. "Il faut être vigilant sur ce point, estime Justine Chaput, doctorante en démographie et auteure de l'étude. Si 8 IVG sur 10 sont réalisées par méthode médicamenteuse et que cette méthode dépend de la production d'un seul laboratoire, de fait, on devient dépendant de ce laboratoire pour s'assurer que l'IVG est possible en France." Cette situation pourrait donc engendrer des pénuries, des problèmes d'approvisionnement ou bien de pression sur les prix, comme avaient alerté plusieurs associations, dont le Planning familial, en 2023.

Des taux d'IVG élevés en Outre-mer

La libéralisation des pratiques liées à l'avortement explique certainement la hausse notable des recours à l'IVG depuis le début des années 2020. Car, depuis l'adoption de la loi Veil, les délais pour interrompre la grossesse ont été allongés (passant de 10 semaines à 14 semaines pour les interventions chirurgicales, et de 5 semaines à 7 semaines pour la méthode médicamenteuse), la réalisation de l'acte médical a été élargi (notamment aux sage-femmes) et la prise en charge financière par l'Assurance maladie est désormais de 100 %...

En France, le nombre d'avortements est passé de 220.000 par an en moyenne entre 1990 et 2020 à 241.700 en 2023. Une légère hausse notable également dans les territoires d'Outre-mer. Dans les DROM, le nombre d'IVG rapportées à la population est deux fois plus élevé qu'en France hexagonale.

Ces écarts entre l'Hexagone et les départements ultramarins ne sont pas nouveaux. Mais il n'existe pourtant pas d'étude récente pour expliquer ce phénomène. En revanche, on sait par les données du SNDS qu'une part relativement élevée des avortements effectués en Outre-mer concerne des mineures. En 2016, 8,4 % des IVG réalisées dans les DROM impliquaient une mineure contre 4,2 % à l'échelle nationale. En 2023, ce taux était même de 10,6 % à Mayotte (4,9 % dans les Outre-mer, 2,7 % en France métropolitaine).

Précarité socio-économique, faible information sur les moyens de contraception, manque de structures de soins... Plusieurs facteurs peuvent expliquer la prévalence du nombre d'avortements en Outre-mer, et en particulier chez les moins de 18 ans.

60 % des avortements hors hôpital

Dans son étude publiée mercredi, l'Institut national d'études démographiques montre aussi une évolution du lieu de réalisation de l'avortement en France : de plus en plus, l'IVG intervient en dehors d'une structure hospitalière. C'est particulièrement le cas dans les DROM, où, en 2023, plus de 60 % des avortements ont été effectués en dehors d'un hôpital. En France hexagonale, ce taux n'est que de 40 %. 

Ces différences territoriales (...) semblent (...) liées (...) à des pratiques variables du fait de normes de santé sexuelle et reproductive et de cultures médicales locales différenciées. Elles peuvent suggérer des difficultés d’accès et/ou une limitation du choix du type d’IVG selon le maillage médical existant : présence d’infrastructures de santé (moindre notamment en milieu rural), qualité des réseaux entre les établissements de santé et les autres acteurs pratiquant des IVG, etc.

Etude "L'avortement 50 ans après la loi Veil : un recours et des méthodes qui varient sur le territoire", de l'Ined

Lorsqu'elle n'est pas réalisée dans un centre hospitalier, l'IVG est effectuée dans une structure de médecine de proximité, comme les cabinets médicaux libéraux, les centres de santé et les centres de santé sexuelle.

Enfin, les chercheuses de l'Ined mettent en avant un point important : l'interruption médicale de grossesse (IMG), qui peut intervenir à tout moment de la grossesse pour des raisons liées à la santé de la femme ou du fœtus. Depuis 2001, l'IMG doit être étudiée par une équipe médicale pluridisciplinaire avant d'être effectuée. Dans la majorité des cas, il est donc nécessaire de se rendre dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). Or, en 2023, "près de 6 départements sur 10 étaient dépourvus de ces centres", dont Mayotte, la Guyane ou encore la Guadeloupe, dit l'étude.

Conséquence : une femme dans un territoire sans CPDPN doit se déplacer si elle a besoin d'une IMG. Une difficulté conséquente pour les femmes ultramarines, éloignées de tout. "Les infrastructures médicales jouent un rôle crucial dans le choix et l’accessibilité des méthodes d’IVG", insiste l'Ined. 

50 ans après la loi portée par Simone Veil dans les années 1970, la France a sécurisé le droit à l'avortement en l'inscrivant en début d'année dans la Constitution. Mais, préviennent les chercheuses, "le flou de la notion de 'liberté garantie' [terme retenu dans la Constitution, NDLR] et la responsabilité laissée au législateur d’en établir les conditions ne permettent de garantir ni le contenu de la loi et ni son effectivité sur le terrain". Dans plusieurs démocraties, les autorités sont parvenues à détricoter ce droit que l'on considère acquis.ses