Le destin brisé de Jean-Hugues, Réunionnais de la Creuse, mort en 2014

Jean-Hugues, Réunionnais de la Creuse, est décédé loin de sa famille le 1er février 2014.
Il y a un an, la résolution mémorielle sur les Réunionnais de la Creuse était adoptée à l’Assemblée. Ce mardi, la ministre des Outre-mer a promis de faciliter les démarches des familles pour lesquelles rien n'est réglé, comme en témoigne la triste histoire de Jean-Hugues, mort loin des siens.
Elles ont repris l’avion lundi 16 février pour La Réunion avec, entre les mains, les cendres de leur frère, Jean-Hugues. Le 29 janvier dernier, elles ont appris qu’il était décédé d’un cancer un an auparavant, le 1er février 2014 et enterré dans une fosse commune, à Périgueux.

Julie, 54 ans, et Gilberte, 50 ans, sont venues en métropole pour rapatrier son corps et tenter d'en savoir davantage sur la vie de ce frère lointain, dont elles avaient perdu la trace, celle d'un "Réunionnais de la Creuse".

Jean-Hugues a quitté La Réunion à l’âge de 10 ans, en 1967, avec la promesse d’un "avenir meilleur". A travers son dossier, les deux sœurs découvrent aujourd’hui une partie de la triste existence qui fut la sienne.

Jean-Hugues est arrivé en métropole à l'âge de 10 ans. Il est décédé le 1er février 2014 à Périgueux.

Une vérité après la mort

"J’ai toujours tout fait pour avoir des nouvelles de mon frère, raconte Gilberte, la plus jeune sœur, à la1ere.fr. Le 21 janvier dernier, je suis allée une énième fois à la mairie de Saint-Denis, à La Réunion, pour demander son extrait d’acte de naissance. C’était le seul moyen de savoir s’il était décédé. Ce jour-là, j’ai appris que c’était le cas. Mon frère est mort le 1er février 2014".

Les sœurs de Jean-Hugues ont réclamé à plusieurs reprises un extrait d'acte de naissance de leur frère. Seul moyen pour elles de savoir s'il était encore en vie. En janvier dernier, elles y ont découvert son décès un an plus tôt à Périgueux.

En apprenant la nouvelle, un an après le décès, Gilberte et sa grande-sœur Julie, se sont rendues au Conseil Général. C’est là qu’elles ont - enfin - pu récupérer le dossier administratif de leur frère.
"On a épluché chaque papier. On a découvert sa vie, raconte Gilberte d’une voix tremblante. Les foyers, les petits boulots chez les paysans… Il y a aussi des périodes de vide. De 1969 à 1970, il n’y a aucun document. Il doit en manquer... "

Courrier du directeur du foyer de Quézac où Jean-Hugues a séjourné.


Enterré dans une fosse commune

Le 1er février dernier, les deux sœurs ont donc pris l’avion pour la métropole, direction Périgueux, dernier lieu de résidence de leur frère. C’est à son domicile que son corps a été découvert sans vie en 2014. Sans famille connue sur place, sans lien avec quiconque, Jean-Hugues a été enterré dans une fosse commune.

Gilberte et Julie ont passé deux semaines a tenté de reconstituer le quotidien de leur frère. "Son propriétaire nous a dit qu’il vivait seul et ne voyait personne, raconte Gilberte. Dans le bistrot où il prenait son café, on nous a dit la même chose. Il n’avait aucun contact."

Une cérémonie à La Réunion

La semaine dernière, les deux sœurs ont fait exhumer le corps de Jean Hugues. "C’était horrible de voir ce corps enveloppé dans un sac blanc, raconte Julie. La dernière fois que j’avais vu mon frère, c’était en 1967. Il avait dix ans. L’image de sa valise posée sur le pas de la porte me hante encore."
Gilberte et Julie ont fait incinérer le corps de leur frère à Périgueux. Mardi 17 février, les cendres de Jean-Hugues seront déposées dans le caveau familial, à La Réunion, 48 ans après son départ contraint.

Avant son départ en métropole, Jean-Hugues a été placé en foyer à la Réunion. L'aide sociale à l'enfance avait promis aux parents un "avenir meilleur" pour leur fils.


Une relation impossible à nouer

Si Julie n’a jamais revu son frère depuis 1967, ce n’est pas le cas de Gilberte. Mais les choses n’ont pas été simples. "J’ai passé seize ans de ma vie à tenter de retrouver Jean-Hugues, raconte cette soeur qui n’était pas née lorsque son frère a été envoyé en métropole. J’ai toujours voulu savoir ce qui était arrivé à ce frère dont le nom était devenu tabou dans la famille."

En 1996, alors qu’elle vit en métropole Gilberte retrouve sa trace. "Je l’ai rencontré mais c’était difficile de discuter. Impossible de nouer une relation. Il ne voulait pas de nous, il disait qu’il était un loup solitaire, raconte Gilberte qui pense que si elle avait eu le dossier administratif à l’époque, peut-être que les choses auraient été différentes. Il me disait qu’on l’avait abandonné. Pourtant je le sais et je le vois aujourd’hui dans le dossier : ce sont de fausses signatures. Ce n’est pas mon père qui l’a abandonné. Jean-Hugues aurait dû voir ce dossier."

Selon Gilberte et Julie, ce n'est pas la signature de leur père qui est au bas de ce document de la D.A.S.S autorisant le départ en métropole de leur frère Jean-Hugues.


Un accès au dossier

Gilberte ne sait pas encore ce qu’elle va faire de tous ces papiers. Une chose est sûre, elle reviendra en métropole pour tenter de retracer la vie de son frère. "Il est passé par Périgueux, Quézac, Mulhouse. Je veux savoir exactement ce qu’il a vécu, confie-t-elle avec détermination. Pour nous c’est trop tard, Jean-Hugues est mort. Mais pour tous ceux qui restent : les mamans, les frères, les sœurs, les victimes... Je veux que tous aient accès à ces dossiers. Nous devons savoir ce qu’ont vécu ces enfants. Il faut nous donner les moyens de nous retrouver, même cinquante ans après."

D’autres cas

La terrible histoire de Jean-Hugues, Gilberte et Julie n'est pas un cas isolé. D'autres enfants déracinés ne parviennent pas à retracer leur histoire. Les dossiers administratifs sont parfois inaccessibles, égarés, incomplets, inexistants. Impossible pour eux de connaître leur douloureux passé, une étape pourtant essentielle pour la construction de leur avenir.

"De leur vivant, les enfants de la Creuse ont du mal à récupérer leur dossier. Certains ne le souhaitent pas, d'autres n'ont pas les moyens de venir le retirer au Conseil Général de La Réunion, d'autres encore abandonnent face à la difficulté des démarches, explique Jean-Charles Pitou, président de l'association Génération Brisée. Mais si un ex-pupille ne retire pas son dossier, personne ne peut le faire à sa place, pas même sa famille. C'est ce qu'il s'est passé dans le cas de Gilberte et Julie. C'est à la mort de leur frère qu'elles ont pu découvrir sa vie."

Faciliter l'accès au dossier 

Les membres des associations des Réunionnais de la Creuse étaient reçus au ministère des Outre-mer, ce mardi. Un an après l’adoption de la résolution mémorielle à l’Assemblée Nationale, le 18 février 2014. La ministre George Pau-Langevin a confirmé la création d'une commission d'historiens et de scientifiques pour "faire toute la lumière sur cette histoire". "Nous devons reconstruire les parcours individuels de ces personnes. La commission aura accès à toutes les archives. Il est aussi prévu que nous facilitions les accès au dossier pour les familles", a promis la ministre. Au sujet de la demande de réparations, George Pau-Langevin a, en revanche, répété que "sur le plan juridique la porte était fermée en raison de la prescription des faits". 

Les membres des associations des Réunionnais de la Creuse étaient reçus, ce mardi, au ministère des Outre-mer.

Une fédération des Réunionnais de la Creuse

Pour autant, les associations ne baissent pas les bras. Elles ont prévu de se fédérer le mois prochain, parce que "l'union fait la force". "L'accès au dossier est une avancée, mais il faut aller plus loin, explique Valérie Andanson, vice-présidente de l'association Rasinn Anler. Nous devons, par exemple, aider les ex-pupilles à se rendre à La Réunion en finançant leurs billets d'avions et leurs démarches."   

"Vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui prennent contact avec moi sur internet, raconte Jean-Charles Pitou. Des personnes de La Réunion qui me demandent de retrouver leur frère, leur sœur quelque part dans la Creuse ou le Cantal. Des victimes, ici en métropole qui cherchent à retrouver leur famille à La Réunion. Je suis désemparé face à ça. Nous devons être aidés."