Loïc Liber, seul rescapé de Merah : "Tant bien que mal, je m'accroche à la vie"

Dans la chambre d'hôpital de Loïc Liber, les photos de sa vie d'avant le 15 mars 2012 et la carte de la Guadeloupe
En mars 2012, Mohamed Merah menait son équipée sanglante à Toulouse et à Montauban. Seule victime rescapée : le Guadeloupéen Loïc Liber, militaire parachutiste, aujourd'hui tétraplégique. Pour la première fois, trois ans après l'attentat, il a accepté de se confier. Une leçon de vie et de courage. 
Loïc Liber est un miraculé. Le 15 mars 2012, sa mère recevait en Guadeloupe un appel pour annoncer le décès de Loïc, comme ceux de ses deux "frères d’armes". Pourtant, le caporal-chef Liber est finalement bien vivant. Il sera la seule cible de Mohamed Merah à survivre aux attaques. "C’est parce que la balle a traversé mon corps de travers", assure le grand gaillard, dépassant aisément le mètre 90.
 
Depuis trois ans, le soldat guadeloupéen est hospitalisé dans un établissement militaire de l’Hexagone. Paralysé, il ne bouge que la tête et les épaules, ce qui lui permet tout de même de diriger son fauteuil ultramoderne depuis lequel il est capable de commander la télé, l’ouverture des fenêtres et de la porte ou encore le téléphone.

Les murs de la chambre permettent en quelques secondes d’identifier ce qui tient à cœur à Loïc Liber. "Je mets plein de photos. C’est pour me rappeler les bons moments…" On y voit sa famille, sa compagne, ses camarades de régiment mais aussi, bien sûr, son île adorée, la Guadeloupe. Des fanions militaires sont également accrochés. A proximité de son lit trône ce qui est probablement l’objet le plus important de cette chambre : son béret rouge de parachutiste.
Il ne souhaite pas apparaître en images, mais il a accepté de se confier.
Dans la chambre de Loïc, son béret rouge de Parachutiste, accroché à la perfusion

 

LE 15 MARS 2012

"Aujourd’hui, ça fait trois ans que je suis paralysé. Mais je tiens à ce que tout le monde sache que je suis là ! Et que je me bats." Après l’attaque de Montauban, Loïc Liber est resté dans le coma pendant une semaine. Quand il s’est réveillé, il assure avoir eu la simple impression d’une bonne nuit de sommeil. "Au réveil, j’étais prêt à aller travailler, ça m’a fait bizarre d’être dans un lit d’hôpital. Ma mère était à mes côtés. Nicolas Sarkozy était là, aussi. Il m’a demandé si je savais qui il était. Je l’ai regardé droit dans les yeux, et j’ai dit oui. Mais comme j’étais encore sous morphine, je me suis rendormi." Ce n’est que plus tard que le jeune soldat comprendra ce qui lui arrive : "C’est là que tout a basculé, comme un caillou qu’on lancerait contre une vitre, elle se brise."
 
C’est alors le début d’un long calvaire, des projets qui s’envolent. Et des souvenirs pas forcément très agréables : "Je me rappelle très bien de la scène, de tout ce qui s’est passé. On était trois. Et cet homme est venu par derrière. C’est un geste lâche. Au début, je n’y pensais pas. Puis j’ai retrouvé la mémoire ! Et je me suis rappelé de tout ce qui s’était passé, avec mes camarades qui ne sont plus là. J’y pense tous les jours. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment. Ça fait mal…"
Malgré tout, Loïc Liber fait preuve de caractère, il refuse d’abandonner. "Tant bien que mal, je m’accroche à la vie. Cet homme, qui m’a fait souffrir, qui me fait encore souffrir, je ne veux pas le laisser gagner."
Ecoutez Loïc Liber :

Loïc Liber a la Guadeloupe dans le coeur

 

SA VIE ACTUELLE, SES ESPOIRS

Pour ne pas laisser gagner Merah, Loïc Liber se bat, au quotidien. "Aujourd’hui, je peux bouger la tête et les épaules. Petit à petit, je sens mon corps. J’ai des sensibilités. C’est ce qu’on dit en Guadeloupe : kimbé rèd pa moli ! Je ne lâche rien. Je suis resté 9 mois sans parler. C’est là que j’ai compris qu’il ne fallait rien lâcher, garder espoir, lutter et lutter pour espérer que ça aille mieux un jour."  

Convaincu, persévérant, le jeune Guadeloupéen fait preuve d’une maturité incroyable. Même s’il avoue pleurer par moment, il montre à chaque instant une farouche volonté de s’en sortir et surtout un recul presque déstabilisant sur la situation, avouant sans problème qu’il aurait volontiers donné sa vie contre celle des trois enfants tués par Merah. Lui l’a choisi d’être militaire, un métier à risques.
 
Aujourd’hui, si Loïc Liber se bat, c’est aussi pour ses projets.  "Là, je m’accroche pour essayer d’avoir une meilleure santé. Ensuite, ce sera pour la vie, les projets, voir si je peux faire quelque chose dans la vie." D’abord, il souhaite construire sa maison, avoir son chez-lui. Ensuite, il voudrait se trouver un travail. "Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir", confie-t-il. "J’aimerais aussi fonder une famille avec ma compagne. Si possible, en Guadeloupe."

 

Les photos de Loïc, avant le drame


MOHAMED MERAH

"Lui", "cet homme ", "le terroriste", durant tout l'entretien, Loïc Liber ne prononcera jamais le nom de Mohamed Merah. "Je ne veux pas prononcer son nom. Quand je l’évoque, ça m’énerve, parce qu’il a gâché ma vie, tous mes projets", raconte, attristé, le jeune homme. "C’est un lâche, il n’a pas voulu nous affronter."  Alors à la question : "Etes-vous soulagé par sa mort ?", le caporal-chef hésite, avant de trancher : "Moi, je préfère qu’il ne soit pas là."

 

LE PROCES

Malgré la mort de Mohamed Merah en mars 2012, un procès devrait avoir lieu. Il devrait, d’après nos informations, se tenir début 2016. Deux suspects devraient être renvoyés devant la justice : le frère du terroriste et l’homme accusé d'avoir fourni les armes. Loïc Liber ne sait pas s’il voudra ou pourra y assister, mais il semble impatient que tout soit enfin réglé. "J’attends l’affaire. Mon avocate s’en occupe très bien. J’attends que les choses se passent, que les coupables soient condamnés et que justice soit faite."

 

Sur les murs de la chambre, les photos de la vie d'avant

 

CHARLIE HEBDO ET CLARISSA JEAN-PHILIPPE

Aujourd’hui, Loïc Liber va beaucoup mieux. Souriant, le grand et fier Antillais, ne cache pas se sentir bien mieux mentalement et physiquement qu’il y a quelques mois. Pourtant, en début d’année, des événements l’ont fortement touché. Les attentats parisiens l’ont replongé trois ans en arrière. "J’ai suivi les infos. Cela m’a fait très mal. J’ai repensé au 15 mars, quand ça m’est arrivé à moi. Cela m’a fait beaucoup de peine, notamment pour la Martiniquaise (NDLR : Clarissa Jean-Philippe) tuée dans le dos. Je repense à ce qui m’est arrivé, mais aussi aux enfants de Toulouse." 

 

Un poster de la Guadeloupe, sur la porte de la chambre de Loïc Liber

 

LA GUADELOUPE

S'il y a bien une chose qui lui redonne le sourire en toutes circonstances, c’est sa Guadeloupe natale. Un coup de fil passé en créole suffit parfois à lui apporter un moment de bonheur. Son île est affichée sur les quatre murs de sa chambre. "Quand je me réveille, je vois la carte de la Guadeloupe devant moi. Ça me fait penser à chez moi. J’y pense souvent. Je voudrais retourner chez moi. Et faire part de tout ce que j’ai appris, auprès des jeunes."  

Loïc Liber le sait, nombreux sont les Guadeloupéens à demander de ses nouvelles, ce qui le touche plus que toute autre chose. "Je n’oublie pas tous les gens de la Guadeloupe… et toutes les associations qui m’ont soutenu. Les messages des Guadeloupéens me touchent énormément. Parfois, j’y pense et pleure." 


 

Supporter de l'OL, Loïc Liber a reçu un maillot dédicacé du buteur guadeloupéen Alexandre Lacazette

 

SA PASSION POUR L’OLYMPIQUE LYONNAIS

L’autre passion de Loïc Liber (après la Guadeloupe !), c’est le football. "Je regarde tous les matches", assure-t-il. Il est vrai qu’il n’est pas rare de tomber sur un match lorsqu’un visiteur entre dans sa chambre. Fin connaisseur, on peut débattre des heures entières avec lui sur les rencontres de la semaine. Son club favori, c’est l’Olympique Lyonnais, porté cette année par un autre Guadeloupéen, le meilleur buteur du championnat de Ligue 1, Alexandre Lacazette. "Lui, quand il marque, c’est la joie !", prévient Loïc. La joie également pour le para’, lorsqu’il découvre le cadeau que nous a confié l’attaquant de l’OL : un maillot dédicacé, à son nom. "Il me l’a dédicacé ? A moi ? Cela me touche vraiment ! Ça fait plaisir !" Ni une, ni deux, le précieux t-shirt est désormais accroché dans la chambre, au milieu des photos et autres souvenirs militaires.


Ecoutez l'intégralité de l'entretien (28')