"La Nouvelle-Calédonie n'est plus vraiment importante pour le marché du nickel ", estime Philippe Chalmin

Le rapport Cyclope 2015 analyse les tensions économiques et les enjeux politiques qui ont agité notamment l'industrie du nickel. Entretien avec Philippe Chalmin, professeur d'histoire économique à l'université Paris-Dauphine qui a coordonné l'édition de ce pavé sur les matières premières. 
Les 800 pages du rapport Cyclope se lisent comme un roman de la mondialisation. La Nouvelle-Calédonie est le 6ème producteur mondial de nickel avec 62 000 tonnes produites en 2014, loin derrière la Chine avec 697 000 tonnes.

La1ere.fr : Vous avez choisi de sous-titrer la nouvelle édition du rapport Cyclope "pour qui sonne le glas", cette formule plutôt sombre s'applique-t-elle au nickel ?
Philippe Chalmin : Elle s'applique tout particulièrement au nickel, car incontestablement, il est aux premières loges des incertitudes et des doutes. Le marché du nickel est d'une extrême précarité, les prix sont bas alors même que l'embargo indonésien fonctionne bien. C'est d'autant plus inquiétant. Les entrepôts, les stocks mondiaux de nickel sont abondants. Et de nouvelles usines ont vu le jour comme à Madagascar.

Le rapport Cyclope plonge le lecteur dans les arcanes de l’ensemble des marchés de matières premières, quels sont les arcanes du nickel ?
Comme toute matière première, le marché du nickel est confronté aux fondamentaux du marché et notamment à la loi de l'offre et de la demande et donc à la spéculation. Mais c'est aussi un marché complexe. Les acteurs sont des oligarques russes, des révolutionnaires cubains, des spéculateurs londoniens, des métallurgistes de l'inox, des investisseurs chinois et des indépendantistes calédoniens… Le nickel est l'un des produits dont la dimension géopolitique est parmi les plus complexes. C'est un des marchés les plus instables de la planète.

Le nickel valait 55 000 dollars la tonne à la fin des années 2000, il vaut 13 000 dollars aujourd'hui, c'est une situation tenable pour les producteurs ?
N'oubliez pas que le point bas s'est situé à 3 000 dollars la tonne, il reste donc de la marge. Ce qui est clair, c'est que nous sommes confrontés à des fluctuations qui fragilisent les producteurs. Aujourd'hui, avec un cours autour de 13 000 dollars la tonne à la bourse de Londres nous sommes face à une production qui n'est rentable nulle part, ni en Chine ni en Russie et encore moins en Nouvelle-Calédonie.

C'est la malédiction des matières premières qui s'applique aussi au nickel ?
Les producteurs ont fondé trop d'espoir sur "leur" nickel. L'activité minière est aléatoire, spéculative, instable. Elle n'est pas source de développement économique ou plutôt elle ancre les pays producteurs dans la dépendance. Je comparerais la Nouvelle-Calédonie à un coureur du tour de France qui se dope. Il en devient dépendant. Mais un jour la drogue devient de plus en plus chère, et il n’a plus les moyens de se la payer, pour autant, il reste accroc.
Ce qui m'inquiète, ce sont les discours qui font du nickel, et des matières premières en général, des enjeux nationalistes.

Le paysage industriel calédonien a changé avec désormais trois acteurs principaux, l'anglo-suisse Glencore, le brésilien-canadien Vale et le français Eramet-SLN. Ces acteurs sont-ils identiques et comparables ?
Non. Vous avez d'un côté deux géants, deux multinationales des mines et du négoce des matières premières et de l'autre un acteur français qui s'efforce de résister à ses concurrents. Et qui représente un enjeu gouvernemental de souveraineté nationale.

L'un des piliers idéologiques des "doctrines nickel", en Indonésie ou en Nouvelle-Calédonie est de contrôler majoritairement les mines et les usines locales, qu'en pensez-vous ?
C'est une posture idéologique, personne ne contrôle ou ne manipule le marché. Le rôle d'un gouvernement peut être de négocier une rente, mais pas de prendre des risques surtout quand le marché est extrêmement volatile, spéculatif.
Sauf à prendre le risque de "nationaliser" les dettes et de prendre à sa charge les pertes des usines.

Quelle est l'importance de la Nouvelle-Calédonie pour les auteurs de la 29e édition du rapport Cyclope ?
La Nouvelle-Calédonie est un petit acteur du marché du nickel, face à la Chine, à la Russie ou au Canada. Elle compte peu. En conclusion, je dirais que le nickel est important pour la Nouvelle-Calédonie mais que la Nouvelle-Calédonie n'est plus vraiment importante pour le nickel.