De Stains à la Sorbonne, le fabuleux destin d'un danseur hip-hop guyano-guadeloupéen

"Donnez, recevez", c'est l'un des messages que Davy Coumba répète lors de ses ateliers.
En septembre, ce danseur guyano-guadeloupéen rentrera en 2e année de master d'art-thérapie à la Sorbonne. Une consécration pour celui qui a grandi dans une cité de Stains. Du hip-hop à la danse-thérapie en passant par les clips de Kery James ou Esy Kennenga, voici l'étonnant parcours de Davy Coumba.
Petit, il voulait faire kiné ou basketteur. Le voilà danseur. Mais pas "juste" danseur. Le Guadeloupéen Davy Coumba, pétri de culture hip-hop, est danse-thérapeute. "Une approche qui utilise le mouvement dansé dans une visée thérapeutique", décrit-il, lui qui travaille en Seine-Saint-Denis auprès de femmes isolées et à Paris avec des enfants hospitalisés ou des SDF. "J'aime leur faire prendre conscience qu'on danse tous les jours sans s'en rendre compte. La danse, ce n'est pas QUE tourner sur la tête et faire le grand écart. Prenez la marche par exemple, c'est notre première façon de danser. S'il y avait quelqu'un sur la lune en train d'observer les humains, il verrait une immense chorégraphie !"

 

On danse tous les jours sans s'en rendre compte

 





En septembre prochain, ce grand gaillard de 34 ans au large sourire entrera en deuxième année de master d'art-thérapie à la Sorbonne et à l'université Paris Descartes. Une forme de consécration pour celui qui a passé une grande partie de son enfance seul avec sa mère, femme de ménage, au 7e étage d'une tour de Stains (93). Le clos Saint-Lazare, une cité pas toujours riante ("mais qui m'a porté et en laquelle j'ai toujours eu confiance", nuance-t-il). "Quand je sortais de chez moi le matin, je prenais un petit mouchoir parce qu'il y avait souvent du sang dans l'ascenseur", se remémore-t-il. Sans compter le racisme qu'il subit à l'école, sans cesse renvoyé à ses origines antillaises.
 
Davy Coumba au milieu des champs (Seine-et-Marne).
 

"La danse m'a empêché de traîner dans la rue"

En cette première quinzaine d'août, c'est dans un village de Seine-et-Marne qu'il nous reçoit, au beau milieu des champs. Il coanime une semaine de stage "d'expression primitive" (technique qui s'inspire des danses traditionnelles et s'appuie sur les "rythmes premiers" : battements du cœur, respirations...). Davy intervient aux côtés de grandes pointures internationales telles qu'une danseuse du ballet traditionnel russe. "C'est drôle, moi qui viens du hip-hop, je me rends compte qu'on utilise les mêmes techniques !"

 

Tu danses ? – Bah non, je suis basketteur 







La danse, il tombe dedans à 18 ans, au lycée, à Noisy le Grand. Il est repéré (entre autres) par le réseau "Badland" dont fait partie le collectif hip-hop Wanted Posse (peu de temps avant que le groupe n'acquière une renommée internationale, ndlr). A la question : "Hey, toi, tu danses ?", le jeune Davy répondra d'abord : "Bah non, moi je suis basketteur", avant de se raviser. C'est parti pour des années d'apprentissage de danses hip-hop (break, house, hype, newstyle, jazz rock, smurf... La1ère est devenue incollable). Il découvre alors cette culture du métissage qui lui plaît tant. "La danse, ça m'a empêché de traîner dans la rue, ajoute-t-il avec le recul. J'aurais pu prendre un autre chemin..." Sur son chemin, il croisera plutôt une multitude d'artistes tels que les chanteurs antillais Kery James ou E.sy Kennenga.
 
Magie des effets spéciaux : Davy Coumba danse sous les yeux d'E.sy Kennenga dans son clip "Pa Diggin".
 

Une immense fierté

En parallèle, Davy Coumba passe un diplôme d'éducateur spécialisé. Un peu pour travailler ("j'ai toujours apprécié les relations humaines et aider les personnes en difficulté", confie-t-il), un peu pour rassurer ses proches. Car à l'époque, dans son entourage, beaucoup s'inquiètent pour lui. A commencer par sa mère. Inquiets aussi ses oncles et ses tantes ("ils travaillaient tous à l'hôpital, bien loin de l'univers de la danse...") et ses grands-parents, restés à Sainte-Anne en Guadeloupe. "Ma mère ne voulait pas que je continue dans cette voie. Ses parents avaient porté l'espoir qu'elle s'en sorte en métropole avec le Bumidom. A son tour, elle portait l'espoir que je m'en sorte malgré la banlieue. J'ai compris bien plus tard qu'elle s'était saignée pour m'inscrire en collège et en lycée privés."

 

Je suis le premier de ma famille à atteindre ce niveau d'études

 





Aujourd'hui, l'inquiétude a laissé place à la fierté. "Quand j'ai appris que j'étais pris à la Sorbonne, j'ai reçu plein de coups de fil de mes proches !, se souvient-il, ému. Je suis le premier de ma famille à entrer à l'université. Maintenant, je voudrais leur envoyer mon mémoire. C'est notre nom inscrit dessus : C.O.U.M.B.A." Ce mémoire de première année, 90 pages, 16/20, il n'en est pas peu fier. "Quatre mois de quasi-isolement, de recherche, d'écriture et... 10 kg en plus", résume-t-il. Peu importe, il est prêt à recommencer l'année prochaine, quitte à poursuivre en doctorat l'année d'après.
 
Davy Coumba a obtenu 16/20 à son mémoire intitulé "Gester la voix et vocaliser le geste".
 

Afrika Bambaataa

La Sorbonne, c'est pour la théorie. Question pratique, même si tout n'est pas toujours rose sur le plan financier, il cumule les projets sous la casquette d'auto-entrepreneur (voir son site internet). Mieux, voilà un an que le Guyano-guadeloupéen se forme aux côtés de l'une des figures majeures de la danse-thérapie : la psychanalyste France Schott-Billmann. "France, j'essaye de l'intégrer dans le monde hip-hop. Elle ne connaît pas la banlieue, encore moins les maux de la banlieue", explique Davy avec tendresse.

 

Davy ? J'ai senti qu'il avait des possibilités, je voulais lui donner cette chance

 






"J'ai senti qu'il avait des possibilités, je voulais lui donner cette chance, explique pour sa part France Schott-Billman. Il est très charismatique, très spontané dans ce qu'il dit, très authentique." Et d'ajouter avec douceur : "Quelque part, il me fait penser à ce pionnier américain qui a vraiment fait du hip-hop un art de paix. Oui, Davy Coumba a quelque chose d'Afrika Bambaataa."