L’écrivaine et dramaturge guadeloupéenne Gerty Dambury publie son deuxième roman, « La Sérénade à Poinsettia » (Les éditions du Manguier). Un texte musical et parfois intimiste qui explore les contours de sa Guadeloupe natale. Entretien.
Avec « La Sérénade à Poinsettia », Gerty Dambury publie son deuxième roman, après « Les Rétifs » en 2012 (Les éditions du Manguier). L’ouvrage conte l’histoire de Poinsettia, une quadragénaire vivant dans une petite commune de Guadeloupe, et de Joseph, très épris d’elle, qui finissent par avoir une relation un peu particulière. Leur aventure se déroule sous le regard de Paul, musicien désenchanté et solitaire, à la fois et témoin et acteur de leur complicité. L’histoire basculera au moment où Poinsettia partira à la recherche de ses racines familiales, découvrant un lourd secret.
Dans ce roman à l’écriture vive et poétique, Gerty Dambury trace une géographie de sa Guadeloupe natale, de ses sinuosités historiques et humaines. A travers le personnage de Paul, le pianiste, se dégage une réflexion sur le processus créatif, et sans doute la solitude et le désordre intérieur que cela implique. Le texte est souvent teinté d’émotion, que l’on comprend mieux quand on sait que Gerty Dambury a dédié son ouvrage à son frère Philippe, décédé en juillet, qui était un brillant musicien. Interview.
Votre nouvel ouvrage, « La Sérénade à Poinsettia », c’est un roman d’amour ?
Gerty Dambury : Une étrange histoire d'amour, en tous cas. Je pense, avant toute chose, que c'est une histoire d'insatisfaction et d'ennui. Il y a là des vies qui ne s'accomplissent pas totalement, qui sont comme à l'arrêt. C'est le cas des trois personnages principaux et je dirais même, de quasiment tous les personnages. Leurs vies ne sont pas celles qu'ils auraient aimé vivre, celles dont, d'une certaine façon, ils rêvent encore. Un fort sentiment d'inachèvement traverse tous ces personnages et peut-être qu'à un moment donné, ils croient que l'amour viendra leur apporter une réponse, viendra combler un vide.
Poinsettia est enfermée dans sa grande maison, elle y vit seule, sans parents, ni amis. Elle vit dans un univers qu'elle se crée à partir de ses lectures et des musiques qu'elle écoute, deux éléments qui viennent à la fois apporter une touche de passion dans sa vie et exacerber l'absence dont elle souffre, en comparaison de toutes ces passions que vivent les personnages qu'elle admire.
Je crois que l'on peut décliner les formes d'ennui et de sentiment d'échec qui sont ressentis de manières diverses par tous les personnages : Joseph, Paul, Marietta, Félix, Pangnol et quelques autres. Tout à coup, dans ces journées mornes, un "grain de passion lancé à toute volée" vient bousculer le quotidien. En même temps, c'est un roman d'amour fou dont l'issue ne réside que dans la fuite, comme si un tel amour, à ce moment de la vie des personnages concernés, était trop et qu'on ne pouvait pas le vivre totalement, qu'il était trop tard pour la passion.
Vous m’avez confié à la sortie du livre que l’un des principaux protagonistes, Paul, le musicien, incarne Philippe, votre frère décédé récemment. Vous souhaitiez lui rendre hommage ?
En effet, je dédie ce livre à mon frère Philippe. Non pas parce qu'il est décédé récemment (le 09 juillet 2015) mais parce que ce roman, commencé depuis de nombreuses années, avait été écrit en le regardant vivre, en le regardant se battre avec la musique, l'absence de débouchés, une sorte d'échouage sur une île déserte. Cependant, le personnage de Paul ne représente pas entièrement mon frère, qui était bien plus complexe encore que Paul. Certains aspects de la vie de mon frère lui appartenaient en propre ou appartenaient à la famille et il est hors de question que je les étale sur la place publique.
D'ailleurs, ce qui me plaît c'est de faire un travail de recréation, de recherche sur un personnage et j'aime travailler sur la limite entre le réel et l'imaginaire. Je suis sûre qu'il arrivera que certains épisodes concernant Paul seront lus comme ayant appartenu à Philippe, quand ce ne sera pas du tout le cas. Comme dit Maryse Condé : "reprocher à un écrivain de trahir le réel est un non-sens. Car pour lui, il n'y a de réel que l'imaginaire."
J’ai ressenti dans votre roman comme une certaine nostalgie de la Guadeloupe d’antan, même si quelquefois perce une réalité sociale très dure…
Je partage votre point de vue sur la description d'une réalité sociale dure, mais je pense avoir écrit sans nostalgie aucune. Je ne veux pas confondre tendresse et nostalgie, et pas davantage souvenirs et nostalgie. La Guadeloupe d'antan ne me manque pas, ne manque pas non plus à mes personnages. Il se trouve que ces hommes et ces femmes sont en transition entre deux mondes, ils sont en train de vivre le passage d'une Guadeloupe qui se transforme. L'usine Darboussier est en train de fermer. Nous sommes entre les années quatre-vingt et la fin des années quatre-vingt dix. L'usine de Pointe-à-Pitre est une sorte de navire rouillé en bord de mer, les vieux ont la charge de radoter sur les temps anciens, les dockers, les paquebots etc, mais il est bien noté qu'ils radotent.
Pendant ce temps, on vit à toute allure, les véhicules s'embourbent dans des embouteillages interminables, klaxonnent, je note qu’"on est pressé sur ces mille sept cents kilomètres carrés". Le pays avance, se transforme, les femmes occupent d'autres places, les bâtiments s'élèvent, les cases disparaissent, les boîtes de nuit se transforment, les femmes marquent leur territoire, les hommes sont un peu dépassés par ces femmes qui en veulent davantage et le roman se termine sur la référence aux réactions violentes de ces hommes qui ne savent comment répondre aux nouvelles relations amoureuses auxquelles ils doivent faire face. De la nostalgie ? Non. Une tentative de regarder ce pays dans le mitan des yeux mais de le romancer en même temps, sinon ce ne serait que de la photographie du réel. Il faut que la photo soit marquée du geste de l'artiste, non ?
Dans ce roman à l’écriture vive et poétique, Gerty Dambury trace une géographie de sa Guadeloupe natale, de ses sinuosités historiques et humaines. A travers le personnage de Paul, le pianiste, se dégage une réflexion sur le processus créatif, et sans doute la solitude et le désordre intérieur que cela implique. Le texte est souvent teinté d’émotion, que l’on comprend mieux quand on sait que Gerty Dambury a dédié son ouvrage à son frère Philippe, décédé en juillet, qui était un brillant musicien. Interview.
Votre nouvel ouvrage, « La Sérénade à Poinsettia », c’est un roman d’amour ?
Gerty Dambury : Une étrange histoire d'amour, en tous cas. Je pense, avant toute chose, que c'est une histoire d'insatisfaction et d'ennui. Il y a là des vies qui ne s'accomplissent pas totalement, qui sont comme à l'arrêt. C'est le cas des trois personnages principaux et je dirais même, de quasiment tous les personnages. Leurs vies ne sont pas celles qu'ils auraient aimé vivre, celles dont, d'une certaine façon, ils rêvent encore. Un fort sentiment d'inachèvement traverse tous ces personnages et peut-être qu'à un moment donné, ils croient que l'amour viendra leur apporter une réponse, viendra combler un vide.
Poinsettia est enfermée dans sa grande maison, elle y vit seule, sans parents, ni amis. Elle vit dans un univers qu'elle se crée à partir de ses lectures et des musiques qu'elle écoute, deux éléments qui viennent à la fois apporter une touche de passion dans sa vie et exacerber l'absence dont elle souffre, en comparaison de toutes ces passions que vivent les personnages qu'elle admire.
Je crois que l'on peut décliner les formes d'ennui et de sentiment d'échec qui sont ressentis de manières diverses par tous les personnages : Joseph, Paul, Marietta, Félix, Pangnol et quelques autres. Tout à coup, dans ces journées mornes, un "grain de passion lancé à toute volée" vient bousculer le quotidien. En même temps, c'est un roman d'amour fou dont l'issue ne réside que dans la fuite, comme si un tel amour, à ce moment de la vie des personnages concernés, était trop et qu'on ne pouvait pas le vivre totalement, qu'il était trop tard pour la passion.
LIRE UN EXTRAIT de « La Sérénade à Poinsettia »
Vous m’avez confié à la sortie du livre que l’un des principaux protagonistes, Paul, le musicien, incarne Philippe, votre frère décédé récemment. Vous souhaitiez lui rendre hommage ?
En effet, je dédie ce livre à mon frère Philippe. Non pas parce qu'il est décédé récemment (le 09 juillet 2015) mais parce que ce roman, commencé depuis de nombreuses années, avait été écrit en le regardant vivre, en le regardant se battre avec la musique, l'absence de débouchés, une sorte d'échouage sur une île déserte. Cependant, le personnage de Paul ne représente pas entièrement mon frère, qui était bien plus complexe encore que Paul. Certains aspects de la vie de mon frère lui appartenaient en propre ou appartenaient à la famille et il est hors de question que je les étale sur la place publique.
D'ailleurs, ce qui me plaît c'est de faire un travail de recréation, de recherche sur un personnage et j'aime travailler sur la limite entre le réel et l'imaginaire. Je suis sûre qu'il arrivera que certains épisodes concernant Paul seront lus comme ayant appartenu à Philippe, quand ce ne sera pas du tout le cas. Comme dit Maryse Condé : "reprocher à un écrivain de trahir le réel est un non-sens. Car pour lui, il n'y a de réel que l'imaginaire."
J’ai ressenti dans votre roman comme une certaine nostalgie de la Guadeloupe d’antan, même si quelquefois perce une réalité sociale très dure…
Je partage votre point de vue sur la description d'une réalité sociale dure, mais je pense avoir écrit sans nostalgie aucune. Je ne veux pas confondre tendresse et nostalgie, et pas davantage souvenirs et nostalgie. La Guadeloupe d'antan ne me manque pas, ne manque pas non plus à mes personnages. Il se trouve que ces hommes et ces femmes sont en transition entre deux mondes, ils sont en train de vivre le passage d'une Guadeloupe qui se transforme. L'usine Darboussier est en train de fermer. Nous sommes entre les années quatre-vingt et la fin des années quatre-vingt dix. L'usine de Pointe-à-Pitre est une sorte de navire rouillé en bord de mer, les vieux ont la charge de radoter sur les temps anciens, les dockers, les paquebots etc, mais il est bien noté qu'ils radotent.
Pendant ce temps, on vit à toute allure, les véhicules s'embourbent dans des embouteillages interminables, klaxonnent, je note qu’"on est pressé sur ces mille sept cents kilomètres carrés". Le pays avance, se transforme, les femmes occupent d'autres places, les bâtiments s'élèvent, les cases disparaissent, les boîtes de nuit se transforment, les femmes marquent leur territoire, les hommes sont un peu dépassés par ces femmes qui en veulent davantage et le roman se termine sur la référence aux réactions violentes de ces hommes qui ne savent comment répondre aux nouvelles relations amoureuses auxquelles ils doivent faire face. De la nostalgie ? Non. Une tentative de regarder ce pays dans le mitan des yeux mais de le romancer en même temps, sinon ce ne serait que de la photographie du réel. Il faut que la photo soit marquée du geste de l'artiste, non ?