Arrachée à La Réunion en 1962, Anne-Marie, SDF à Vitry-sur-Seine, a été retrouvée grâce aux enfants de la Creuse

Anne-Marie, SDF à Vitry-sur-Seine a été retrouvée grâce aux enfants de la Creuse.
C’est une Réunionnaise de la Creuse qui a retrouvé Anne-Marie, SDF à Vitry-sur-Seine, elle-même arrachée à son île en 1962. À Sainte-Suzanne à La Réunion, sa sœur Vivienne la recherchait depuis 40 ans. Aujourd'hui, sans logement, Anne-Marie vit dans sa voiture. La1ère.fr l'a rencontrée.
Emmitouflée dans un gilet de laine grise, capuche sur la tête, Anne-Marie est sur ses gardes. Assise sur le siège conducteur de sa vieille Renault 5, lunettes posées sur le bout de son nez, cette Réunionnaise vit dans sa voiture sur un parking de Vitry-sur-Seine, près de Paris. À 66 ans, Anne-Marie ne sait plus bien à qui faire confiance. "En 25 ans, je n’ai pas vu un Réunionnais et depuis quelques jours, tout’ do moune i vien koz ek mwin (tout le monde vient me parler)", s’exclame-t-elle avec méfiance.

Le 15 octobre dernier, sa sœur Vivienne a lancé un appel devant le mémorial des enfants de la Creuse à La Réunion, pour venir en aide à Anne-Marie dont elle n’avait plus de nouvelle depuis 40 ans. Suite à cette intervention, de nombreux Réunionnais de la région parisienne viennent à la rencontre de la SDF, peu habituée à tant de visites.

Des retrouvailles qui inquiètent

De son côté, Vivienne vient de recevoir un billet d’avion de la part d’une donatrice pour lui permettre d’aller à la rencontre de sa sœur, le 5 novembre. Un déplacement qui ne plaît guère à Anne-Marie. "Que va-t-elle faire ici ? Je n’ai rien pour la recevoir, rien à lui donner à manger. Comment va-t-elle rester ici ? Elle ne connaît pas la France, je ne veux pas qu’elle ait d’ennuis", s’inquiète Anne-Marie agacée par ce remue ménage qui perturbe son quotidien.

"Je rentrerai à La Réunion, mais pas tout de suite, assure-t-elle. J’ai des problèmes à régler, je ne veux pas qu’ils traversent la mer avec moi. J’aime ma sœur, mon frère, mon oncle, mais j’irai à La Réunion plus tard, dans la tranquillité et la quiétude, sans mes soucis".

Je me souviens de mon départ en 1962, ma grand-mère se tenait devant l'avion avec ma soeur et mon frère assis à ses pieds






 


Un départ de La Réunion en 1962

Si pour Vivienne, sa sœur est une Réunionnaise de la Creuse, Anne-Marie, elle, refuse cette situation. "Je n’ai jamais vu la Creuse, je n’ai pas nourri les cochons, ni dormi dans le foin", argumente Anne-Marie qui a pourtant quitté La Réunion en 1962 "avec la promesse d’un avenir meilleur en métropole".

"Ma mère est décédée et la DDASS a estimé que ma grand-mère était trop âgée pour s’occuper de nous trois, raconte la Réunionnaise. C’est pour ça que j’ai été envoyée en métropole. Je me souviens encore de mon départ en 1962, à 14 ans, ma grand-mère se tenait devant l’avion avec autour d’elle ma sœur et mon frère, assis à ses pieds". De son enfance à Sainte-Suzanne, Anne-Marie garde en mémoire "l’église, les boutiques chinois, les champs de canne et les pieds de letchis".

Partie de La Réunion en 1962 à l'âge de 14 ans, Anne-Marie n'a jamais revu sa sœur Vivienne.

Cadre juridique

À son arrivée en métropole à l'âge de 14 ans, la Réunionnaise explique avoir été envoyée "dans un pensionnat avec des sœurs, près de Nantes". "Un endroit très bien, où l’on m’a appris à cuisiner, à coudre et à gérer mon budget", se souvient-elle. Adoptée, Anne-Marie a suivi des études pour devenir "cadre juridique". "Jusqu’à mes 18 ans, je n’avais pas le droit de prendre contact avec ma famille à La Réunion", explique-t-elle.

Mère de deux enfants dont elle n’a plus de nouvelle, Anne-Marie entasse aujourd’hui ce qui lui reste de sa vie dans sa voiture : des dossiers, des livres, des vêtements, des couvertures et quelques réserves de nourriture. Sans argent, elle se dit dans l’attente d’un logement en région parisienne.

Retrouvée par une Réunionnaise de la Creuse

Il y a un mois et demi, c’est une enfant de la Creuse qui a permis à Vivienne de retrouver la trace de sa sœur à Vitry-sur-Seine. "Chaque jour, je voyais cette femme derrière la vitre de sa voiture, raconte Christiane (le prénom a été modifié). Un jour, j’ai décidé de m’arrêter. Je pensais qu’elle était Antillaise et lorsqu’elle a commencé à parler, j’ai reconnu son accent réunionnais". Les deux femmes se mettent alors à "kozer créole".

Une Réunionnaise de la Creuse qui en retrouve une autre ! J’ai l’impression que le bon dieu l'a mise sur mon chemin







 

Anne-Marie lui demande si elle connaît Vivienne, sa sœur, surnommée "Téline", à La Réunion. "Ça a fait tilt dans ma tête, se souvient Christiane encore sous le choc. Téline ! C'était cette femme qui avait pris contact avec des associations de Réunionnais de la Creuse, et notamment Génération Brisée, pour retrouver sa sœur au moment de la résolution votée par l'Assemblée nationale, il y a plus d’un an et demi".

"Elle nous avait dit que sa sœur était SDF depuis 25 ans et qu’elle devait se trouver dans les Yvelines. J’avais fait des recherches, mais sans succès,
se souvient Christiane encore retournée par cette situation à peine croyable. Une Réunionnaise de la Creuse qui en retrouve une autre ! J’ai l’impression que le bon dieu l'a mise sur mon chemin".

Le combat des associations

De fil en aiguille, les associations de Réunionnais de la Creuse se mobilisent entre l’Océan indien et la métropole, grâce aux réseaux sociaux. D’après leurs informations, Anne-Marie est bien une enfant de la Creuse. L’association Génération Brisée prend alors contact avec Vivienne pour lui annoncer qu'elle a retrouvé sa sœur.

Cette nouvelle histoire des enfants de la Creuse vient rappeler la difficulté qu’ont encore ces Réunionnais à retrouver leurs proches. "Nous sommes seuls à nous débrouiller, à aider les personnes qui font appel à nous, s’agace Jean-Charles Pitou, président de l’association Génération Brisée. On voudrait pouvoir mettre Anne-Marie au chaud, accueillir Vivienne, mais nous n’avons même pas les moyens financiers pour intervenir".

Jean-Charles Pitou, président de l'association Génération brisée

Que devient la Commission ?

Dans les années 60, plus de 1 600 enfants réunionnais ont été arrachés à leur île pour repeupler des départements français. En février 2015, la ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin, avait annoncé la mise en place d’une Commission chargée de faire toute la lumière sur l’histoire des Réunionnais de la Creuse, et destinée à aider les victimes à découvrir leur passé.

"Depuis cette date, on n'a plus de nouvelle, déplore Jean-Charles Pitou, président de l’association Génération Brisée. L’histoire de Vivienne et d’Anne-Marie est celle de dizaines d’autres personnes qui ont besoin d’aide". Le 18 février, cela fera deux ans que la résolution mémorielle sur l’Histoire des Réunionnais de la Creuse a été adoptée à l’Assemblée. "Si rien n’est fait d’ici là, nous nous ferons entendre", promet Jean-Charles Pitou qui se dit prêt à "entamer une grève de la faim devant le ministère des Outre-mer ou l’Élysée".