Christiane Taubira, fragilisée, en porte-à-faux sur la déchéance de la nationalité

Christiane Taubira à la sortie du conseil des ministres, le 23 décembre 2015.
Connue pour son fort caractère et son franc-parler, cible récurrente de la droite, Christiane Taubira a dû faire amende honorable mercredi, après avoir annoncé à tort que l'extension de la déchéance de nationalité ne serait pas retenue dans le projet de réforme constitutionnelle. Analyse.
Une fois de plus, la question d'un éventuel départ du gouvernement de la ministre de la Justice refait surface, après ce dérapage sur la question sensible de la déchéance de la nationalité des binationaux nés en France. Elle "n'est plus en mesure de porter la réforme constitutionnelle", a estimé Eric Woerth pour Les Républicains, d'autres députés LR réclamant eux sa démission. La question lui a été directement posée mercredi lors du point presse qui a suivi le Conseil des ministres consacré à la réforme constitutionnelle, mais la garde des Sceaux a éludé la réponse.
        
"Ce qui est important dans la situation actuelle, ce n'est pas ma présence ou non au gouvernement, c'est la capacité pour le président de la République et le gouvernement de faire face au danger auquel nous sommes confrontés", a-t-elle déclaré, en ironisant sur ces journalistes qui depuis trois ans s'interrogent sur son départ du gouvernement.
        

Sibylline 

La ministre avait créé la surprise en annonçant prématurément en début de semaine à une radio algérienne l'abandon de l'article sur la déchéance de la nationalité du projet constitutionnel. Elle confiait ses doutes sur l'efficacité de la mesure et soulignait le problème qu'elle posait, selon elle, au principe fondamental du droit du sol. Fureur à la tête de l'exécutif où l'on somme mardi soir la ministre de rectifier ses propos. Son entourage tente alors une marche arrière pour convaincre les médias que la garde des Sceaux n'a évoqué qu'une "orientation", que rien n'est fait et que la décision sera tranchée dans la nuit et officialisée mercredi.
        
"La dernière parole est celle du président de la République prononcée ce matin en Conseil des ministres", a commenté, sibylline, Christiane Taubira devant la presse. Manuel Valls a lui tenté de mettre fin à la cacophonie en concédant que "chacun a droit à des doutes" et que c'est bien lui et Christiane Taubira qui défendront ensemble la réforme au Parlement.
        

Equilibriste

Ce jeu d'équilibriste n'est pas une nouveauté dans le parcours ministériel de Christiane Taubira, qui depuis son arrivée place Vendôme navigue avec aisance entre critiques feutrées et discipline gouvernementale. Loi sur le renseignement où elle défendait un amendement destiné à empêcher l'utilisation des techniques de renseignement en milieu pénitentiaire, affichage politique avec les frondeurs de l'aile gauche de la majorité, critique sur "les mots de la droite" adoptés par la gauche... la ministre a multiplié les piques, se taillant une réputation d'indomptabilité tout en restant sous les ors de la Chancellerie.
        
C'est pour mettre sa marque sur la justice avec des réformes ambitieuses, veulent croire ses défenseurs. Parce qu'il vaut mieux être à l'intérieur pour défendre ses idées, disent d'autres. Mais sur ces fronts aussi, les résultats tardent à venir. Depuis le succès de la loi sur le mariage homosexuel de 2013 qui l'a consacrée en icône de la gauche, la ministre peine à imposer son tempo. Elle a perdu ses arbitrages sur la réforme pénale et son projet de réforme de la justice des mineurs semble mal parti.
        

Discrète

En quelques jours courant octobre, policiers, surveillants de prison et avocats mécontents ont défilé sous ses fenêtres avant de trouver une oreille attentive à l'Elysée, Matignon, Beauvau ou Bercy. Et les attentats de janvier et de novembre ont isolé un peu plus encore la ministre régalienne dont le discours progressiste ne pouvait que détonner en période d'état d'urgence. Derrière le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, omniprésent et martial, Christiane Taubira s'est donc faite discrète, mettant en avant son action en faveur des victimes. Une déception de plus pour tous ceux qui, à gauche, voyaient en elle un dernier rempart pour la défense des libertés publiques.