L’écrivaine guadeloupéenne Gerty Dambury lauréate du prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde

Gerty Dambury, lauréate du prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde pour son ouvrage « Le Rêve de William Alexander Brown ».
Le prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde, qui récompense chaque année une œuvre littéraire de la Caraïbe ou des Amériques, a été décerné vendredi à l’écrivaine guadeloupéenne Gerty Dambury pour son ouvrage « Le Rêve de William Alexander Brown ». Interview. 
Pour sa 26e édition, le jury du prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde a choisi à l'unanimité comme lauréate, vendredi à Pointe-à-Pitre, la dramaturge et romancière guadeloupéenne Gerty Dambury pour son essai intitulé « Le Rêve de William Alexander Brown » (éditions du Manguier). Cet ouvrage, dont nous avions parlé à sa publication, retrace le parcours d’un Antillais de Saint-Vincent, William Alexander Brown, qui ouvrit le premier théâtre noir à New York en 1821, en pleine période esclavagiste.
Cette étude critique est suivie d’une pièce de l’écrivain noir américain contemporain Carlyle Brown (à ne pas confondre avec William Alexander), « La Compagnie africaine présente Richard III », traduit par Gerty Dambury. Signalons également qu’en 2008, la pièce « Trames » de l’écrivaine guadeloupéenne (éditions du Manguier) avait reçu le prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) de la dramaturgie de langue française.
A la notification de son prix, Gerty Dambury a accepté de répondre aux questions de La1ere.fr. Entretien.
 

Qu'est-ce que cette distinction représente pour vous ? 

Gerty Dambury : L’attribution du prix Carbet ne peut pas laisser indifférent. C’est l’un de nos plus prestigieux prix, dont l’objectif est de mettre en valeur une littérature à laquelle je suis très particulièrement attachée et que je m’efforce de mettre en valeur, depuis que j’en ai savouré les premiers titres. Angliciste de formation, je n’ai été, à l’université, confrontée qu’aux lettres anglaises ou américaines et les littératures de la Caraïbe m’ont véritablement été révélées à mon retour en Guadeloupe dans les années 80. Le prix Carbet marque pour moi un vrai moment de consécration de cet imaginaire. Il précède d’ailleurs, si l’on s’en souvient bien, l’attribution du Nobel à Derek Walcott en 1992, puisque la première édition du prix se tient en 1990 et consacre le roman de Patrick Chamoiseau, « Antan d’enfance ». C’est une formidable initiative d’Édouard Glissant, et je veux remercier les membres du jury, bien sûr et tous ceux, toutes celles qui ont fait ou continuent à faire vivre cette idée.

Cela marque une reconnaissance, un aboutissement… ?

Pour moi, le recevoir aujourd’hui est évidemment synonyme de l’inscription de mon artisanat d’écrivaine dans une famille, cette famille caribéenne que je revendique et mets à l’honneur à chacun de mes « Séna » (rencontres et lectures publiques organisées par l'auteur, ndlr). Ce n’est pas à proprement parler un aboutissement car il me reste beaucoup de chemin à parcourir, de pistes à explorer, d’histoires à bâtir, de fils à tisser. Je suis heureuse, oui et heureuse que ce soit cet ouvrage, « Le rêve de William Alexander Brown » qui soit distingué parmi d’autres car j’ai tenu à consigner cette histoire d’hommes et de femmes, caribéens pour certains, menant des vies d’esclaves ou de serviteurs qui ont l’insolence de s’emparer du théâtre et de textes quasi sacrés pour les tenants de la culture de l’époque, entre autres Shakespeare. Ils ne se laissent pas faire, s’entêtent même quand on les emprisonne et sans le moindre soutien, parviennent à occuper suffisamment l’espace pour que les représentations qu’ils donnent soient commentées, et longuement commentées chaque jour dans les journaux New Yorkais du XIXe siècle. Une leçon de courage, d’audace et d’indépendance qui nous servirait bien aujourd’hui encore. 
 
>>> A lire ici : la formidable histoire de William Alexander Brown, dramaturge noir durant l’esclavage, racontée par Gerty Dambury 
 

Une dédicace à quelqu'un, une cause, pour ce prix ? Une pensée particulière à cette occasion ?

Oui, une dédicace à Errol Hill, homme de théâtre de Trinidad et professeur d’université aux États-Unis, qui a écrit « L’histoire du théâtre africain-américain », qui a beaucoup étudié les formes théâtrales et artistiques de son pays. C’est grâce à lui que mon attention a été attirée sur ce qu’il appelait The Caribbean Connection, et j’y ai découvert l’existence et le rôle de William Alexander Brown.
Une cause : oui, la bataille que nous menons aujourd’hui, avec d’autres auteurs et autrices, comédiens et comédiennes, metteurs en scène et metteures en scène noirs, maghrébins et asiatiques au sein de l’association Décoloniser les Arts pour ouvrir les plateaux à la différence, pour faire entendre des récits divergents sur l’histoire de la France. Les oppositions sont moins violentes aujourd’hui qu’au temps des membres de la Compagnie africaine à New York, mais l’effet d’absence est tout aussi frappant.
Une pensée particulière ? Aucune phrase définitive et profonde, aucune citation. Il est temps de continuer à écrire. Et pour cette tâche que j’ai entreprise et qui m’attend encore, j’ai une pensée particulière pour mon éditeur qui m’encourage chaque jour à poursuivre mon cheminement.