"Le bilan est catastrophique. Nous avons près de 50 entreprises de un à trois salariés qui sont amenées à disparaître, et ce n'est qu'un premier jet." A la tête d'une entreprise de sécurité, Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises de Mayotte (CPMEM), dresse un tableau cataclysmique des conséquences des barrages mis en place par des collectifs citoyens protestant contre l'insécurité et l'immigration irrégulière.
Administrations fermées, chantiers arrêtés, approvisionnements des supermarchés au ralenti... Entre le 22 janvier et le 1er mars, date de la fin du mouvement, l'économie a été totalement à l'arrêt.
"C'est très simple: en temps normal, nous faisons 70 à 80 repas par jour (...) Durant les blocages, en plus des ruptures d'approvisionnement, nous avons sorti au maximum 18 plats sur une bonne journée", témoigne Nadia, une restauratrice de Mamoudzou qui n'a pas souhaité donner son nom de famille. Elle a même dû fermer une semaine pour ne pas perdre trop d'argent, ajoute-t-elle.
L'économie sociale et solidaire (EES), qui représente près du quart des emplois privés du département, a fait ses comptes. Selon une enquête mandatée par sa Chambre régionale, 62% de ses structures ont subi un impact fort et 25% un impact modéré. Quatre-vingt-douze créations de poste ont été annulées et près de la moitié des entreprises de l'ESS peinent à payer leurs créances, d'après l'enquête.
Une difficulté de plus pour l'économie mahoraise. Entre les violences, qui rendent chaque déplacement hasardeux, et la sécheresse, qui a obligé les Mahorais à vivre sans eau courante jusqu'à deux jours sur trois, entreprises et administrations disent toutes la difficulté qu'elles ont à recruter et garder des employés partis en masse ces derniers mois.
"Aide dérisoire"
De passage sur l'archipel le 27 février, la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, a rencontré les acteurs économiques du territoire. Elle a annoncé le prolongement et l'élargissement des mesures de soutien prises en octobre dans le cadre de la crise de l'eau, soit une aide mensuelle pouvant atteindre 20.000 euros ou 20% du chiffre d'affaires des entreprises.
Jusqu'à présent, seules celles sans dette fiscale pouvaient y prétendre. Cette condition a été levée pour les entreprises ne dépassant pas 1.500 euros de dette, de quoi "permettre à 75% des dossiers rejetés de pouvoir être à nouveau réexaminés et pouvoir en bénéficier", a déclaré la ministre. S'y ajoute une aide forfaitaire "dans la limite de 4.000 euros", a-t-elle annoncé. Mais pour les 80% de petites et moyennes entreprises qui composent le tissu économique mahorais, l'aide est jugée "décevante", selon Bourahima Ali Ousseni.
"4.000 euros alors qu'un loyer sur Mamoudzou s'élève déjà à près de 2.500 euros, c'est complètement dérisoire", déplore-t-il, davantage satisfait de l'assouplissement de l'aide sur l'eau. Le Medef local, qui compte une centaine d'entreprises adhérentes totalisant plus de 3.500 salariés, est sur la même ligne. "Cette aide est insignifiante", regrette la présidente de l'organisation patronale départementale, Carla Baltus.
"La vraie solution, au-delà de cette aide qui se doit d'être revue à la hausse, est très facile à mettre en place: une exonération des charges patronales pour cette année. Nous sommes déjà en train de constituer un dossier", précise-t-elle. Une demande similaire à celle réclamée par les entreprises de l'ESS, "essoufflées par une permacrise" touchant Mayotte depuis dix ans, selon la Chambre régionale de l'ESS, qui estime que "la reprise sera difficile sans un soutien fort de la puissance publique".
D'autant plus dommageable qu'en dépit de ces handicaps, l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), saluait encore dans sa dernière note conjoncturelle, publiée en décembre, le "dynamisme observé tout au long de l'année 2023" par l'économie mahoraise, tout en reconnaissant "l'inquiétude" des chefs d'entreprises locaux.