À Paris, la diaspora haïtienne impuissante s'inquiète

Face au chaos, la communauté haïtienne d'Île-de-France reste solidaire.
En Haïti, malgré la démission du premier ministre Ariel Henry, le chaos continue. Qu'ils soient bloqués ou résident de l'Hexagone, les haïtiens d'Île-de-France témoignent de leur impuissance. Ils restent connectés jour et nuit à leurs proches sur place.

Ils sont trois, membres de la Fédération des haïtiens d'Europe, ce matin-là, à avoir accepté notre invitation à Paris. Trois haïtiens vivant depuis de nombreuses années en Ile-de-France. Depuis la terrasse du café où nous avons rendez-vous, ils regrettent leur impuissance. "En Haïti, ça kidnappe, ça viole, ça assassine en pleine rue. Parfois, on peut voir une personne qui découpe une autre personne dans la rue, qui la brule, qui mange sa chair.", raconte Fedner Milfort pour planter le décor.

Colère et impuissance

"Nous essayons d'agir, mais dans la situation actuelle, il est extrêmement difficile pour la diaspora de peser sur ce qu'il se passe", se désole l'homme, président de l'association "Cœur d'Haïti". Il avoue vivre la situation "très durement" dans un sentiment alliant impuissance et colère. "Colère de voir où nous ont mené ceux qui ont dirigé le pays" poursuit-il. Sous la contrainte des gangs armés notamment, le premier ministre Ariel Henry a démissionné mardi 12 mars après plusieurs jours de chaos.

Tous les jours, ces militants associatifs sont en contact avec leurs familles et leurs proches sur place. "Je dirais même tous les jours et toute la nuit", complète Pierre Willer Rivière.

Je suis ici physiquement, mais j'ai comme l'impression que toute ma tête est là-bas.

Jean-Paleme Mathurin, haitien bloqué à Paris

L'économie en péril

Les Haïtiens s'inquiètent aussi de la situation économique de leur pays d'origine déjà fragile. "On risque la famine" lance Jacquelin Calitxe. Le jeune haïtien a lancé il y a un peu plus de dix ans une filière de cacao en Haïti. "On a pu créer des dizaines d'emplois sur place. Ce sont autant de personnes en moins qui vont grossir la précarité dans les grandes villes du pays." Les violences des dernières semaines inquiètent Jacquelin Calitxe. "Avant, il nous fallait environ une semaine pour faire partir un conteneur d'Haïti. Dernièrement, il m'a fallu un mois et demi. Tout est compliqué. Si la paix ne revient pas, tout le système qu'on essaie de mettre en place, tout le tissu économique va s'effondrer."

Autre problème, les transactions financières sont rendues difficiles par les blocages et l'insécurité." On a 200 jeunes en difficulté qui sont coincés en Haïti, qui ne peuvent pas aller à l'école, qui ne peut pas manger.", raconte Pierre Willer Rivière, président du Groupe de Recherches et d'Animation sociale. Lorsqu'il essaie d'envoyer de l'argent à son association, le retrait est impossible. Quand ce n'est pas la connexion internet qui manque.

Rentrer malgré les risques 

Mais tous n'ont qu'une envie malgré les risques : "aller sur place" revendique Jacquelin Calitxe. "Moi, je suis un combattant, lance à son tour Pierre Willer Rivière. C'est pour ça que je suis là, c'est pour me battre pour pouvoir renverser cette situation. Parce qu'on n'a pas le choix. On ne peut pas baisser les bras.

Il va falloir qu’on affronte cette réalité et faire revivre le pays. Et ça ne va pas se faire tout seul.

Jean-Paleme Mathurin

Autre témoin du chaos, Jean-Paleme Mathurin, économiste et professeur à l'université de Port-au-Prince, est bloqué à Paris où il est venu rendre visite à sa famille. "Quand on a des pays de rechange, on peut hésiter à ne pas rentrer. Je n’ai pas de pays de rechange" scande l'haïtien. Pourtant, en novembre 2022, il a été mis en joue par quatre hommes armés, forcé de leur laisser sa propriété. Sa famille à Paris soutient malgré tout ses envies de retour. "Il y a beaucoup de souffrance de leur côté. Ils ont beaucoup de chagrin de me voir repartir, beaucoup de peur aussi, mais elle ne peut pas m’empêcher d’y retourner."