À Paris, un rassemblement contre l'opération Wuambushu à Mayotte

Rassemblement contre l'opération Wuambushu à Mayotte sur la place de la République à Paris, le dimanche 16 avril 2023.
Dans quelques jours, un millier de policiers et gendarmes sont attendus à Mayotte pour mener une opération d'expulsion massive des clandestins sur l'île. L'opération Wuambushu, orchestrée par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin, suscite de vives oppositions. Des manifestations contre Wuambushu se sont tenues dans plusieurs villes de France. Illustration dans la capitale.

"Ça fait 20 ans qu’on parle de bombe qui va éclater à Mayotte. La bombe est là !" s'agace Mohamed Nabhane, un professeur agrégé d'Arabe à la retraite. D'origine comorienne, il a vécu 17 ans dans le 101e département français. Aujourd'hui, il réside dans l'Hexagone et il a fait le déplacement jusqu'à Paris pour manifester son profond désaccord avec la future opération Wuambushu à Mayotte.

À l'initiative du Collectif Stop Uwambushu à Mayotte (CSUM), il était plus d'une centaine à se rassembler ce dimanche place de la République, dans le troisième arrondissement de la capitale. Danses et prises de parole ont ponctué la manifestation. Ali Said Achimo, le chargé de communication de l'association, est "satisfait" de l'action menée : "Nous sommes un collectif récent. Pour cette première manifestation, on a voulu multiplier notre visibilité avec des opérations de grandes envergures partout en France. Si on veut être audible, il faut qu'on mette en place ce type d'opération". D'autres rassemblements ont eu lieu en France, notamment à Marseille, Lyon, Nice, Nantes et Saint-Denis de La Réunion.

Ali Said Achimo, chargé de communication du Collectif Stop Uwuambushu à Mayotte.

"Illégal"

Le CSUM s'est formé après l'annonce de cette opération de "décasage". Dévoilé par le journal satirique Le canard enchaîné, Wuambushu doit commencer le 22 avril prochain pour une durée de deux mois. 1 000 policiers et gendarmes devraient se rendre à Mayotte, dans l'optique de lutter contre l'immigration clandestine. L'opération s'annonce musclée, entre expulsion massive des personnes en situations irrégulières, destructions des logements illégaux (un millier, ce qui concernerait 100 000 personnes) et arrestations des délinquants.

Pour Ali Said Achimo, Wuambushu n'est qu'autre qu'une "déportation de masse et forcée de personnes vers les îles Comores", îles voisines dont la plus proche, Anjouan, est située à 70 km de Mayotte. "Ces actes sont illégaux. L'État français ne respecte ni son droit ni le droit international", fustige le chargé de communication du CSUM. Le Comorien estime que Mayotte est "occupé" par la France, puisqu'aucune organisation internationale, y compris l'ONU, reconnaît l'île comme un territoire français. Pour lui, "le territoire fait partie des quatre îles comoriennes."

Même pensée du côté du professeur agrégé d'Arabe, Mohamed Nabhane : "Il n'y a pas de respect du droit français, car normalement, la loi [ELAN, ndlr] prévoit de reloger les gens. Est-ce que la France va être capable de reloger ces gens, même ceux en situation régulière qui n'auront plus de toit ?", s'interroge le septuagénaire.

"Ce n'est pas humain"

Au-delà du non-respect du droit contesté par les opposants à Wuambushu, ce sont leurs valeurs humaines et morales qui les rassemblent surtout. Originaire de La Réunion, Nadia Latchimy dit être venue par "solidarité pour les Outre-mer et pour les Comoriens de Mayotte". Elle est également exaspérée par la situation : "Ce qui va se passer est indicible, je n'ai pas de mots. Ça va être des déportations, des rapts, et en 2023 ce n'est pas possible d'assister à cela et de tourner la tête."

Mvukisho ye masiwa soutient l'initiative du CSUM. A droite, la présidente de l'association Nouria N'Gazi.

"Beaucoup de ces personnes [qui vont être expulsées, ndlr] ont grandi à Mayotte, ils vont aller sur une île sur laquelle ils n'ont aucunes attaches, ce n'est pas humain", déplore Nouria N'Gazi, présidente de l'association Mvukisho ye masiwa qui signifie "préservation de nos îles" en Comoriens. 

Oui, il faut régler le problème du logement insalubre, de la délinquance et de l'insécurité à Mayotte, mais pas en déplaçant les gens. Cela ne fait que déplacer le problème et engorger les autres îles qui n'ont souvent pas de solution d'accueil.

Nouria N'Gazi, présidente de l'association Mvukisho ye masiwa

"Dialoguer"

"On ne peut pas continuer avec ce système. Considérer les gens qui viennent des autres îles comme des étrangers, alors que ce sont des gens qui parlent la même langue, qui ont la même religion et qui ont des liens familiaux", pose Mohamed Nabhane. Le professeur comorien voudrait qu'une sortie de ce conflit -qui dure depuis plus de 20 ans- se fasse par le dialogue et les discussions et non par la violence. Pareil pour Ali Said Achimo, qui propose "une organisation indépendante qui soit l'arbitre entre la France et les Comores pour régler cette situation. Jusqu'à présent, le duel n'a pas marché, et ça continuera ainsi", expose le chargé de communication du collectif, résigné.

Wuambushu n'a pas encore débuté, mais elle est déjà devancée. Mohamed Nabhane est persuadé que l'opération de "décasage" massif ne freinera pas l'arrivée des prochains migrants. "Vous savez à Mayotte, quand les gendarmes renvoient les gens dans les autres îles, ils leurs disent 'au revoir, on se reverra demain'. Ça veut dire qu'ils rentrent, mais ils reviennent aussitôt en kwassa-kwassa [bateau de pêche utilisé par les migrants pour traverser l'Océan Indien jusqu'à Mayotte, ndlr]. Il y aura encore des Wuambushu dans 10 ans, c'est éternel et j'espère être encore là pour protester'", termine Mohamed Nabhane. 

Les contours de l'opération sont encore flous, et pour le moment aucune communication officielle n'a été faite par le gouvernement.