Air France ne desservira pas Mayotte dès juillet 2021. La liaison Paris-Nairobi-Dzaoudzi était-elle un rêve ou une réalité ? Les Mahorais misaient beaucoup sur l’arrivée de la compagnie nationale pour faire baisser les prix des billets d’avion entre le département et l’Hexagone.
"Nous ne desservirons pas Mayotte cet été contrairement aux rumeurs qui circulent. D’ailleurs, nous n’avions jamais annoncé publiquement que nous allions le faire". C’est par ces mots laconiques que la direction d’Air France a confirmé à Outre-mer la 1ère qu’elle ne desservirait pas l’île aux parfums cet été comme l’avait annoncé Les Nouvelles de Mayotte, le 28 avril 2021. "Nous réfléchissons à toutes les opportunités de nous déployer partout où les liaisons peuvent être économiquement attractives, renchérit la compagnie nationale. Mais Mayotte n’est pas dans cette configuration-là."
Partie de poker menteur ?
"Il y a bien eu un projet de venue d’Air France à Mayotte !", insiste Cris Kordjee, la présidente de l’Association des Usagers de l’Aérien à Mayotte (AUTAM). Pour preuve, il y a eu des échanges de courrier entre des élus mahorais et notamment le ministre des transports. Cette annonce est un coup de couteau dans le dos des Mahorais. Nous avons le sentiment d’être de simples objets : quid des usagers qui ont besoin de circuler régulièrement entre le (101unième, ndlr) département et l’Hexagone à des prix raisonnables, aussi bien pour des raisons professionnelles, familiales que sanitaires ? Nous nous réjouissions grandement de pouvoir compter sur une troisième compagnie aérienne pour enfin faire baisser les prix et casser le quasi-monopole d’Air Austral. D’ailleurs, nous pensons que c’est justement cette dernière - la compagnie réunionnaise - qui a gagné. Elle a dû peser de tout son poids pour empêcher la venue d’Air France. On se demande même s’il n’y a finalement pas eu de tractation entre les trois compagnies (Corsair re-desservant Mayotte depuis mi-décembre 2020) sur la tête des Mahorais »…
Rêve ou réalité ?
L’annonce d’Air France de ne pas desservir Mayotte sonne la fin des espoirs des Mahorais de pouvoir voyager à des tarifs moins chers. Contactés, le ministère des transports comme celui des Outre-mer n’ont pas encore répondu à nos demandes de réponses sur ce dossier, notamment sur leur intervention ou pas dans ce qui semble être une guerre ouverte. Car derrière l’annonce par la presse locale de la venue d’Air France à Mayotte puis la déclaration de la compagnie nationale indiquant qu’elle ne viendrait pas, c’est bien d’une guerre économique dont il s’agit.
Car au-delà des enjeux de baisse des prix des billets d’avion pour les Mahorais qui dénoncent des prix exorbitants, c’est la concurrence des transporteurs aériens qui est en train de se jouer. D’autant plus en cette période de pandémie de covid-19 qui a entrainé la fermeture ou presque du ciel et des frontières avec nombre de pays étrangers, engendrant des déficits abyssaux pour les compagnies aériennes. Ces dernières se rabattant alors sur les destinations ultramarines pour survivre grâce à la continuité territoriale et au tourisme affinitaire, comme ce fut le cas durant l’été 2020 puis lors des dernières vacances de fin d’année. L’annonce de l’arrivée d’Air France à Mayotte est apparue aux yeux des spécialistes comme une stratégie opportuniste de prendre des parts de marché sur les rares routes aériennes à fort potentiel durant l’été 2021 en pleine période de crise sanitaire.
"Nous avons clairement le sentiment qu’Air Austral a gagné, insiste Cris Kordjee, la présidente d’AUTAM. Nous sommes persuadés qu’elle est intervenue auprès du gouvernement pour faire échec à la venue d’Air France. Elle a du peser de tout son poids pour continuer de garder la main sur la desserte de Mayotte via La Réunion, elle qui a bénéficié d’un monopole durant des années et a pu faire ce qu’elle voulait en matière de politique tarifaire, bien évidement sur le dos des Mahorais. Nous sommes convaincus que la compagnie réunionnaise a dû jouer sur les différences d’aides publiques entre les deux compagnies pour empêcher l’arrivée de ce concurrent".
En d’autres termes : une manière de faire valoir que Air France ne peut pas gagner sur les deux tableaux – aides publiques et concurrence forcenée – au détriment des petites compagnies privées qui elles n’ont pas bénéficié d’autant de soutien de la part de l’Etat.
Dans une lettre adressée le 29 mars dernier au Ministère des Finances, plusieurs patrons de compagnies aériennes évoquaient même une "distorsion de concurrence" s’agissant des aides faramineuses accordées par l’Etat à Air France. "Les Mahorais vont donc devoir encore payer des sommes exorbitantes pour se rendre en Hexagone en avion, renchérit Cris Kordjee. Nous sommes écoeurés ! Nous ne sommes pas naïfs : on a le sentiment d’être impuissants. Les mahorais ne comptent pas !"