Au Salon de l'agriculture, le monde agricole ultramarin en manque de débouchés

Bibi Chanfi, vice-présidente du conseil départemental de Mayotte, s'exprime lors de l'inauguration du stand de Mayotte au Salon de l'agriculture de Paris, le 26 février 2024.
En Outre-mer, il est difficile pour les agriculteurs et producteurs d'étendre leurs marchés et de vendre à l'étranger, faute d'accords avec les pays voisins. Des représentants du monde agricole ultramarin doivent être reçus à l'Élysée par Emmanuel Macron, mercredi 28 février, à Paris.

Gabriel Patchane Lacane est accoudé à son stand. Avec son éternel chapeau noir vissé sur la tête, sa chemise à carreau et son exubérante moustache blanche, le producteur réunionnais ne passe pas inaperçu dans les allées du Salon de l'agriculture. Mais c'est surtout sur ses produits, délicatement placées dans des pots, qu'il veut que l'on se penche. "Le massalé, c'est un ensemble d'épices, commence-t-il à expliquer, en pointant du doigt chaque ingrédient. De la coriandre, du cumin, du fenugrec, des feuilles de caloupilé..." Le tout est torréfié "amoureusement" à l'aide d'un kolvy (une sorte de gros maillet) sur une pierre épaisse, appelée "Amy". Entre les effluves de rhum et les senteurs de bokit des stands avoisinants, une odeur pimentée vient alors chatouiller les narines.

Ce n'est pas la première fois que Gabriel Patchane Lacane, originaire de Saint-Pierre, à La Réunion, vient exposer son produit dans la capitale. Lui y voit un moyen de rayonner à l'international, de convaincre des clients venus du monde entier d'acheter son massalé malbar. 

Mais il sait aussi que le Salon de l'agriculture est un moment clé de la vie politique française, comme l'a encore démontré le passage d'Emmanuel Macron lors de l'inauguration du salon samedi, à la Porte de Versailles. Le président s'est frotté à des agriculteurs en colère. Le producteur réunionnais, lui, n'a pas grand-chose à revendiquer. "Moi, je travaille, je travaille, je travaille", dit-il. Les revendications, il laisse les syndicats gérer.

"Qu'on ne vienne pas nous parler d'empreinte carbone"

Pourtant, comme dans l'Hexagone, l'agriculture en Outre-mer est à la peine. Jean-Luk Le West, vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane, venu représenter l'institution guyanaise à Paris, le sait que trop bien. "Les agriculteurs métropolitains souffrent de problèmes de normalisation. Imaginez-vous en Outre-mer !", lance-t-il, depuis le stand de la CTG.

En 2023, la Cour des comptes estimait que "l'agriculture ultramarine est en déclin dans la plupart des territoires". La filière souffre à cause de la concurrence mondiale, mais aussi du manque d'attrait de la profession. Seules la banane et la canne à sucre parviennent à s'exporter. Mais les départements et régions d'Outre-mer sont encore bien loin de l'autosuffisance alimentaire.

La plantation de banane bio de Morne Capot, au Lorrain

Jean-Luk Le West, partisan d'une plus grande autonomie pour la Guyane, estime que le secteur agricole est entravé par des normes inadaptées aux territoires ultramarins. Les échanges avec les pays voisins sont limités, voire impossible. "Quand on mange du bœuf brésilien, nous, on mange du bœuf qui transite par Rungis [en région parisienne]. Alors qu'on ne vienne pas nous parler d'empreinte carbone", s'exclame-t-il.

[En Guyane,] on ne peut pas aller acheter 1 kg de bœuf de l'autre côté de la frontière [au Brésil] sans se faire taxer ou se prendre un PV de la part de la douane. C'est inadmissible.

Jean-Luk Le West, vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane

Que ce soit la Guyane, La Réunion ou la Polynésie française, l'ensemble des territoires ultramarins peinent à trouver des débouchés. Exporter leurs productions dépend d'accords de libre-échange avec les pays voisins. Mais ceux-ci sont négociés à l'échelle européenne.

Au stand de la Nouvelle-Calédonie, Porte de Versailles, les exposants ont parcouru plus de 16.500 km pour venir montrer leur artisanat à Paris. Disposant d'un statut unique, comparé aux DROM, le territoire du Pacifique aimerait trouver plus d'opportunité économiques pour exporter ses crevettes, son miel et sa viande. "On sait produire, on a un savoir-faire énorme", fait valoir Levay Roy, président de la foire de Bourail et présent au Salon de l'agriculture. Le Caillou ne compte que 270.000 têtes à nourrir. Les perspectives de croissance et d'extension de marché sont donc limitées.

Les vaches de la station zootechnique de Port-Laguerre.


Les Ultramarins reçus à l'Élysée

Dans un des coins du pavillon 5.2, où sont installés tous les stands d'Outre-mer, celui de Mayotte est timidement inauguré par Saïd Anthoumani, le président de la CAPAM, la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture locale. Il faut dire que les producteurs mahorais n'ont pas le cœur à la fête. Depuis des mois, ils subissent crises sur crises : sécheresse, insécurité, barrages... Difficile de se réjouir, même si la parenthèse parisienne sert justement à présenter les vertus de l'agriculture mahoraise.

Avec l'ensemble des acteurs du monde agricole ultramarins, des élus locaux et des exposants au Salon, M. Anthoumani devrait être reçu par Emmanuel Macron à l'Élysée, mercredi 28 février. Comme l'année dernière, le président souhaite s'adresser aux agriculteurs d'Outre-mer. Lors du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) en juillet dernier, le gouvernement avait promis de les accompagner dans leurs plans de souveraineté alimentaire respectifs.

"À Mayotte, on a deux saisons : la saison des pluies et la saison sèche. La saison des pluies, c'est là où on lance les cultures. Mais, aujourd'hui, avec le dérèglement climatique, il n'y a plus de saison", s'inquiète Saïd Anthoumani. Dans son costume bleu, l'homme n'est pas vraiment optimiste sur ses chances de pouvoir alerter le chef de l'État sur la situation des agriculteurs mahorais : "Ce n'est pas un tête-à-tête, donc on n'est pas sûr de pouvoir donner nos doléances directement."

"Si on veut qu'un territoire se développe, il faut lui donner les moyens de se développer", plaide Jean-Luc Le West, de la Collectivité territoriale de Guyane, qui profite du Salon de l'agriculture et de sa présence à Paris pour enchaîner les rendez-vous sur les différents enjeux de son territoire.

Jeudi, les exposants d'Outre-mer verront déambuler le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, qui ira notamment signer un contrat d'objectifs et de performance avec l'ODEADOM, l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-mer, qui fête ses 40 ans cette année. Mardi, dans l'après-midi, c'est le Premier ministre Gabriel Attal qui a fait un saut au pavillon 5.2, goûtant un sorbet coco au stand de Marie-Galante.