L’affiche annonce la couleur avec, au centre, un homme blanc entouré de femmes et d’hommes noirs. Un choix d’inversion du théâtre classique pour Othello. Reportage.
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Au Théâtre de la Ville de Paris, sur le site des Abbesses, Othello. Le metteur en scène Arnaud Churin a choisi d’inverser ce que le théâtre classique avait pour habitude de représenter : Othello ou "le Maure de Venise" est l’un des rares rôles importants du répertoire à être joué par un comédien noir, tel Bakary Sangaré, en 2014, à la Comédie-Française. Étant donné la sous-représentation des comédiens noirs sur les scènes, un Othello blanc avait, en 2015, fait poser la question au quotidien Le Monde : "le théâtre français est-il raciste ?"
Lors de la répétition générale à laquelle nous avons pu assister, les jeux de Daddy Moanda Kamono (Iago), Nelson-Rafaell Madel (Cassio) et Ulrich N’toyo (Brabantio) chez les hommes étaient particulièrement convaincants. Parmi les comédiennes, Astrid Bayiha (Émilia) impose crescendo sa belle présence.
Othello en une phrase
En une phrase, disons qu’Othello c’est l’histoire d’un général d’une république de Venise qui régnait au XVIIe siècle sur la Méditerranée pris au jeu d’une langue qui le fera chuter, la jalousie l’aveuglant jusqu’à l’assassinat de sa propre jeune femme, Desdémone, une jalousie distillée avec malice par son enseigne, Iago, personnage intrigant en diable. Pour le metteur en scène Arnaud Churin, la marque voire le stigmate d’Othello n’est pas la couleur de sa peau mais le fait qu’il soit Autre, différent. Alors pourquoi ne pas confier ce rôle à un comédien blanc ? Othello blanc… dans une Venise noire.Venise, les Ottomans et la route de l’Orient
Il était habituel de considérer que la question de la couleur fut au centre de la pièce écrite par Shakespeare en 1605 : Othello était un "Maure de Venise", peut-être Arabe de Mauritanie, général métèque d’une république appelée officiellement "la Sérénissime", au faîte de sa gloire et prête à en découdre avec les Ottomans en Méditerranée, ce qu’elle fit, comme le raconte la pièce (à l’époque Venise avait parmi ses possessions ultramarines l’île de Chypre sur la route de l’Orient).Othello, dit "le Caucasien"
L’inversion des couleurs est soutenue par un changement logique : le texte ne dit plus "noir" quand il s’agit d’Othello mais "caucasien". Et l’on comprend vite que le sénateur Brabantio refuse la main de sa fille, la belle Desdémone, au "Caucasien" parce qu’il est… blanc (cette nouvelle traduction-adaptation est signée Emanuela Pace). Mais l’innovation ne se limite pas à cette inversion. Ainsi nous sommes transportés dans un fort samouraï où les personnages ponctuent certains de leurs mouvements et de leurs paroles par des katas, ces gestes du karaté. "Il y a une universalité venue de ce signe-là", explique Arnaud Churin. "Tous les enfants du monde connaissent les films de karaté quel que soit leur milieu social. Ça me plaisait beaucoup cette Venise qui parlait au monde entier parce qu’elle était l’endroit des samouraïs."Une distribution par cooptation
Des couleurs inversées, une esthétique japonisante et troisième ingrédient de cet Othello d’Arnaud Churin : les comédiens n’ont pas été recrutés par casting comme il est d’usage au théâtre (le metteur en scène cherche tel profil d’acteur pour interpréter tel rôle) mais cooptés, c’est-à-dire qu’ils se connaissaient avant de commencer à travailler. Et c’est un bonheur de les voir évoluer ensemble. Cette distribution fait monde comme elle fait France. Une France aux multiples origines, congolaise, camerounaise, martiniquaise (Nelson-Rafaell Madel) et calédonienne (Denis Pourawa).Lors de la répétition générale à laquelle nous avons pu assister, les jeux de Daddy Moanda Kamono (Iago), Nelson-Rafaell Madel (Cassio) et Ulrich N’toyo (Brabantio) chez les hommes étaient particulièrement convaincants. Parmi les comédiennes, Astrid Bayiha (Émilia) impose crescendo sa belle présence.