Audrey Célestine, politologue : "J’ai adoré grandir en Martinique" #MaParole

Audrey Célestine
"D’une famille française, des Antilles à Dunkerque en passant par l’Algérie" (Textuel) à "Des vies de combats" (L’Iconoclaste), Audrey Célestine a dressé un panorama à la fois saisissant et personnel de la Martinique et de la Guadeloupe. Rencontre dans #MaParole avec une sociologue à l’approche sensible.

Politologue et professeur en sociologie à l’Université de Lille, Audrey Célestine a beaucoup œuvré pour une meilleure connaissance de l’histoire des Antilles. Avec Des vies de combat paru en 2020 (Éditions Iconoclaste), elle dresse le portrait de plusieurs femmes noires inspirantes. Parmi elles, Paulette Nardal, Darling Légitimus, Simone Schwarz-Bart, Françoise Ega, Jenny Alpha, Ina Césaire, Maryse Condé, Marie-José Pérec et bien d’autres encore. Dans Une famille française, sorti en 2018 chez Textuel elle retrace le parcours de sa famille à travers le prisme de la sociologie. Une histoire passionnante qui éclaire d’un jour nouveau l’histoire des migrations entre les Antilles et l’Hexagone.

1 Une histoire française

Audrey Célestine naît à Dunkerque. Dans cette ville du nord, célèbre pour son carnaval et pour la bataille qui a marqué le début de la Seconde Guerre Mondiale, s’est noué une grande partie du destin de sa famille. C’est là que ses grands-parents se sont rencontrés ainsi que ses parents.

Son grand-père Marcel a quitté Marie-Galante pour Dunkerque. Il travaillait alors dans la marine marchande et avait fait la connaissance de Ginette. Quand il venait chercher son amoureuse à la sortie de l’usine, il entendait : "Eh Ginette, y’a bamboula qui t’attend". Une fois son amoureux parti en mer, Ginette a réalisé qu'elle était enceinte. Marcel ne le savait pas. Chantal est née quand il était en Chine. À son retour en 1962, Ginette était mariée avec un kabyle. Ensemble, ils ont eu 6 enfants. Chantal est la mère d’Audrey Célestine.

Pierrot lui a grandi en Martinique. C’est le père d’Audrey Célestine. Sa mère Monique était femme de ménage. Une belle femme pleine d’énergie et de joie de vivre. Elle a eu 7 enfants de 6 pères différents. Pierrot a été élevé par par Monique, sa mère et Geneviève, la femme de son père, l'accueillait pour les devoirs. Toutefois, Pierrot avait une nette préférence pour l’école de la rue aux études. Sa mère a donc décide dé l’envoyer à Dunkerque pour qu’il travaille. Serveur au tropicana, le restau de Marcel, Pierrot a rencontré Chantal. Et c’est ainsi qu'Audrey Célestine a pu voir le jour.

Chantal rêve d’aller vivre en Guadeloupe. Elle parvient à convaincre toute la famille. En Guadeloupe, ça ne se passe pas comme elle le souhaite. La situation est tendue. La famille déménage pour la Martinique et s’y installe durablement. "J’ai grandi avec le sentiment d’avoir échappé à quelque chose d’un peu terrible et de traumatisant en traversant l’Atlantique", écrit Audrey Célestine dans son livre Une famille française.

 

2 La Martinique et le SERMAC

En Martinique, Audrey Célestine découvre le SERMAC, le service municipal d’actions culturelles. Elle fait du théâtre et s’épanouit. Sa mère Chantal Defontaine passe un diplôme d’esthétique. Elle enchaîne les boulots de standardiste ou de serveuse. Elle ne loupe aucun spectacle ou film proposés qui lui permettent de comprendre son histoire. Elle se passionne pour le SERMAC au point d’écrire un documentaire à son sujet. Pour son père, la situation est plus compliquée. Il doit de temps en temps repartir à Dunkerque pour travailler et faire vivre sa famille.

De son côté, Audrey Célestine étudie au lycée Schoelcher et se met la pression pour avoir très bons résultats. Après le Bac obtenu mention Très bien pour la plus grande fierté de sa famille, c’est le départ pour l’Hexagone en prépa littéraire, en hypokhâgne.  Audrey Célestine s’adapte, mais ressent un manque. À Sciences Po Paris, elle parvient à combler ce vide grâce à un café, Le rendez-vous des amis, qu’elle a monté avec d’autres étudiants, dont le futur père de ses enfants.  

Dans le cadre de Sciences Po Paris, elle part étudier à l’Université Johns Hopkins à Baltimore. Elle se souvient qu’on l’avait assignée dans une collocation composée essentiellement d’étudiantes noires. Étrange. En revanche, elle apprécie le système universitaire américain et son ouverture d’esprit.  Après les États-Unis, elle choisit de faire une thèse qui porte sur la construction identitaire chez les Antillais en France et les Portoricains aux États-Unis.

Aujourd’hui, la professeure travaille sur les mobilisations des minorités en France et aux États-Unis. Elle a suivi de près le mouvement Black Lives Matter né en 2013, mais dont l’action a connu un coup d’accélérateur avec la mort de George Floyd tué par un policier américain. Dans le journal Le Monde en 2020, Audrey Célestine affirmait que même s’il y avait plus de morts aux États-Unis, le problème était similaire en France. Elle n’a pas changé d’avis.

3 Des vies de combat

En octobre 2020, Audrey Célestine se lance dans la rédaction d’un livre intitulé Des vies de combats. Il parle du parcours de 60 femmes noires et libres. On y trouve la Martiniquaise Paulette Nardal. Elle avait été oubliée alors qu’elle tenait un salon à Clamart qui rassemblait toute l’intelligentsia africaine et antillaise de Paris dont Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor. Elle écrivait. Bref, c’était une intellectuelle. Et quand elle est revenue en Martinique, elle a échappé de peu à la mort, car son bateau avait été torpillé par les Allemands. Quel destin. Il y a aussi un portrait assez triste, celui de Darling Légitimus. Son petit-fils Pascal Légitimus était dans #MaParole, il y a quelques semaines. Lui, a fait une très belle carrière, elle, on sent qu’elle a vraiment « ramé » en raison de sa couleur. Pour Audrey Célestine, elle fait partie des pionnières, de celles qui n’ont jamais renoncé à monter des pièces de théâtre intéressantes.

Il y en a une qui a été la première un peu partout. Première femme députée des Antilles, première femme avocate inscrite au barreau de Pointe-à-Pitre, c’est Gerty Archimède. Elle a réussi à défoncer tous les plafonds de verre. Il y a une femme méconnue qui aurait pu faire partie de ce livre. C’est Chantal Defontaine, la mère d’Audrey Célestine, partie trop tôt. Elle avait un diplôme d’esthéticienne, elle était en recherche permanente, comme sa fille.

 

♦♦Audrey Célestine en 5 dates ♦♦♦

1980

Naissance à Dunkerque

2000

Étudiante à l’université Johns Hopkins (Baltimore)

2004-2009

Étudiante à Science-Po Paris

►2018

Une famille française : des Antilles à Dunkerque en passant par l’Algérie (Textuel)

2021

Des vies de combats (Éditions L’Iconoclaste)